Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Migration: «L'Aquarius» ou l'insoutenable vilenie de l'Europe

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

  Après avoir élevé des barrières physiques et législatives face aux réfugiés de guerre et de misère dont elle est responsable en grande partie, l'Europe se déchire, lamentablement et sans honte, face à des naufragés en détresse.

Première indignation: le «rejet» en mer, lundi dernier, de quelque 629 migrants subsahariens, en détresse en Méditerranée par les gouvernements italien et maltais. Deuxième indignation: le doigt accusateur du reste de l'Europe - excepté l'Espagne- pointé sur les gouvernements italien et maltais. L'Europe et sa Commission de Bruxelles peuvent-elles pousser leur cynisme face au drame des migrants à ce point, sans sourciller ? Hormis l'autre exception allemande qui a accueilli près d'un million de réfugiés de guerre et de misère en 2015, l'Europe n'a, depuis, cessé d'élever des barrières autant physiques que législatives, à ses frontières internes et externes, alors qu'elle a une grande responsabilité dans les raisons de la fuite désespérée de centaines de milliers de pauvres gens, affrontant les bombes et la misère.

L'Europe, dans son ensemble, s'était fixé des quotas d'accueil par pays comme on décide de quotas de marchandises importées. Un million de migrants pour 2015 (que pratiquement seule l'Allemagne a eu à faire face), puis 372.000 pour 2016 pour chuter à 172.000, pour l'année 2017 à répartir, selon la taille démographique et le niveau de son économie, entre les 28 membres de l'Union européenne, plus la Suisse et la Norvège qui, sans être membre de l'UE, se sont portées volontaires pour accueillir quelques milliers de réfugiés. A ce jour, moins du tiers de ces chiffres ont été atteints. L'UE a failli à son engagement. Et pour cause, elle a négocié et signé, en mars 2016, un accord avec la Turquie d'Erdogan pour que son pays serve de barrage aux réfugiés syriens, irakiens, afghans, pakistanais, somaliens, etc. enfin tous les désespérés transitant par son «royaume» contre un chèque de 6 milliards d'euros. Moins de 20.000 réfugiés accueillis, à la fin avril, de cette année 2018.

Oser pointer du doigt l'Italie et Malte après les avoir abandonnées, seules, face aux vagues successives de migrants de la guerre et de la misère, traduit toute la vilenie dont se pare l'UE et sa Commission de Bruxelles. La Grèce a eu, elle aussi, sa part d'abandon par ses pairs, sur ce sujet, alors qu'elle vivait une crise économique aiguë, particulièrement, entre les années 2010-2016. Dans ce drame, vécu par les migrants, l'UE a tout simplement failli à ce qu'elle prétend défendre au plus haut prix: la liberté et l'humanisme. Certains de ses membres comme la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie ont carrément fermé leurs portes aux damnés de la terre et n'ont accueilli pas le moindre réfugié à ce jour ! Comment les partenaires de la même famille européenne peuvent-ils accuser l'Italie et Malte de non assistance à personnes en danger de mort alors qu'eux mêmes ont fui leurs responsabilités et trahi leur engagement au moment des pics de la crise migratoire? S'étonner, après, de l'arrivée au pouvoir de partis populiste et d'extrême droite, en Italie, est hypocrite, bas, vilain. Bombarder en Syrie et en Libye après avoir ruiné l'Irak puis s'effrayer face aux colonnes de réfugiés de guerre relève du cynisme le plus abject. Oui, l'Europe, en particulier la France et la Grande-Bretagne sont responsables de la tragédie de ces peuples qui se noient dans les vagues furieuses de la Méditerranée et meurent sur les chemins de l'exil. Lundi, pendant que les gouvernements européens accablaient ceux d'Italie et de Malte qui ont, rappelons-le accueilli plus que leurs «quotas» initiaux, c'est de l'Espagne que des voix se sont élevées pour sauver ce qui reste de l'honneur européen: les maires de deux grandes villes portuaires, Valence et Barcelone, se sont déclarés prêts à accueillir les naufragés de ?l'Aquarius', en rade au large des côtes maltaises. Le tout nouveau chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez d'obédience socialiste, a répondu «oui», sans hésiter, alors que son pays sort à peine de l'impact de la crise financière internationale, de 2008, et vit un taux de chômage des plus élevé d'Europe. Comme quoi la générosité mais aussi le courage et l'humanisme ne sont pas tributaires du niveau de richesse et de confort. La gestion et les réactions indignes de la plupart des gouvernements européens de l'épisode de ?l'Aquarius' , bateau de sauvetage humanitaire, rappelons-le, font découvrir au reste du monde une Europe, égoïsme, peureuse. L'Europe sidérée découvre, à son tour, son plus gros échec: son incapacité à construire la paix, la solidarité et l'humanisme universel dont elle se réclame. L'UE vit, en réalité, une immense solitude faite de peurs fantasmées et d'inquiétudes auto-suggérées. Quel gâchis!