Il y a de
ces dates commémoratives, celles qui forcent le temps de s'arrêter pour mieux
lire l'instant imagé et raconté, de mémoire à mémoire, pour ne pas oublier. Le
8 mai 1945 est l'une de ces dates phares. Elle avait mis à nu le monde
«civilisé» et en a fait ressortir toute la sauvagerie qu'il portait sous son
déguisement. Mais au-delà de la lecture de l'Histoire, ce sont les leçons à en
tirer qui sont les plus importantes.
Or, la
réalité quotidienne semble dicter l'oubli et entretenir l'amnésie d'un peuple
qui croit être né seigneur dans un monde d'opulence. Il y a juste un peu plus
d'un demi-siècle, l'écrasante majorité des Algériens vivait dans des douars et dechras coupés du monde, dans la misère absolue, dans
l'ignorance la plus totale, touchés par des maladies comme la peste, le typhus,
la tuberculose, et soumis à la mortalité infantile, à la sénilité précoce des
hommes et des femmes qui ne pouvaient pas espérer vivre longtemps. Les temps
ont changé, les générations aussi, et avec la dernière ? celle qui attend son
tour- le passé est balayé d'un revers de main. Elle constate que les sacrifices
de l'Histoire ne cadrent plus avec ce que renvoient les dignitaires de la société.
C'est de cet anachronisme entre un présent qui n'a plus d'ancrage et un passé
qui ne s'est pas relayé que le fossé ne cesse de s'élargir. Heureusement, pour
tout peuple qui compte parmi lui une élite ?minoritaire soit-elle -
désintéressée des bassesses matérielles et cupides, et puisant sa fierté et sa
satisfaction dans son enracinement à sa terre, que l'histoire lui sera lue au
présent pour que nul n'oublie. Il y a juste une semaine, un ami chirurgien en
orthopédie-dento-faciale par accident ?comme il aime
le dire -, mais bluesman dans l'âme, est allé sur les cimes de l'Ouarsenis avec
d'autres intellectuels pour partager, le temps d'une fête ancestrale, des
moments sans pareil avec les habitants de la région. Il est revenu avec plein
d'émotions et des rythmes qui l'inspirent dans ses mélodies. Mais plus que ça !
Ils ont été hypnotisés par la simplicité des gens, leur hospitalité, leur
authenticité et l'attachement au sol duquel ils tirent leur origine. Si tous
ceux qui sont arrivés là où ils sont aujourd'hui, au sommet de la pyramide,
soit par mérite soit par un coup de pousse de l'histoire, reviennent sans
complexe, juste un moment, à leurs origines pour se ressourcer, méditer et
honorer la mémoire de ceux qui se sont sacrifiés non pas pour les leurs, mais
pour l'égalité réelle de tout un peuple, vivant sans toit de verre, ni chape de
plomb? Ce sont ces principes et ces valeurs qui rendent un bout de terre, un
pays, une nation.