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Les
premières élections municipales tunisiennes qui se déroulent après 2011 seront
significatives par le taux de participation qu'elles auront enregistré. Elles
adviennent dans un climat brouillé, semé de perturbations et suscitent des
débats nouveaux. La lecture de leurs résultats dépendra de la mobilisation
citoyenne et des indices de diversification des listes issues du système
électoral choisi.
Essais et erreurs Reportées à trois reprises (elles devaient se passer en 2015), ces élections ont attendu, entre autres, la proclamation de la loi de juin 2016 sur les élections et les référendums. En mai 2017, une grave crise au sein de l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) entraîne la démission du deuxième président (et 3 membres) de l'Isie, ayant succédé à Kamel Jendoubi, empêché de poursuivre sa tâche, après avoir mené les élections d'octobre 2011. Chafik Sarsar qui officie avec les élections présidentielles et législatives d'octobre-décembre 2014, laisse la place à Mohamed Tlili Mansri élu en novembre 2017, après plusieurs tours à l'Assemblée des représentants du peuple. Ces secousses sont à l'image des difficultés économiques, de la persistance des remous sociaux et de l'impuissance du second gouvernement de Youssef Chahed (premier ministre depuis l'été 2016) à lutter efficacement contre le chômage et la corruption et à engager les réformes indispensables dans l'appareillage des lois. Elles traduisent surtout les lenteurs de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) qui, s'ajoutant à l'inertie de l'administration expliquent l'absence de textes définissant les fonctions municipales. Alors que la Constitution de 2014 introduit la nouveauté de la décentralisation régionale (chapitre VII), les outils nécessaires à la gouvernance locale n'ont pas été mis au point quatre ans après. L'exemple du code des collectivités locales est parlant : après avoir traîné dans les bureaux de l'ARP, il est voté dans la précipitation et de justesse le 27 avril 2018. De nouvelles dispositions Le nouveau découpage administratif a permis de créer 87 communes de plus dans les 24 gouvernorats du pays. Les 350 municipalités vont pouvoir remplacer les « délégations spéciales » mises en place en 2011 et constituées des autorités administratives locales. Le wali (préfet) et le mou?tamad (délégué) de chaque région président depuis 2014 les formations provisoires officiant pour les affaires municipales. La parité Hommes/Femmes renforcée depuis 2014 a hissé plusieurs femmes en tête de liste. Le principe est louable mais favoriser l'accès des femmes à la gestion des affaires locales alors que les mentalités, les lois et l'exemple du pouvoir central restent inchangés, est-ce bien réaliste ? On « envoie les femmes au charbon » et elles affrontent l'inconnu. Cependant, si cette disposition paritaire comporte une dose d'hypocrisie, l'occasion est à exploiter par les futures élues pour renforcer l'acquis et changer pragmatiquement la représentation encore largement masculine et vieillissante du pouvoir central. La jeunesse est nettement plus présente dans les 2.074 listes car, comme pour la parité et la présence des handicapés, les textes imposent dans chaque liste trois candidats au moins ayant entre 18 et 35 ans. Ils forment 32, 65% des 5.369.892 inscrits. Voteront-ils davantage qu'en 2011 et 2014 ? Face à la supériorité numérique de Nida Tounès et d'Ennahdha, on enregistre la présence d'indépendants de divers horizons et d'une coalition civile regroupant 11 partis pour une centaine de listes Si ce premier scrutin municipal ne garantit pas la décentralisation, il constitue un mécanisme de fabrication de responsables locaux en mesure de diversifier l'éco -système politique tunisien limité aux besoins des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Controverses publiques L'encre électorale a constitué un des multiples suspens de ces élections. Utilisée en 2011 et 2014, sa suppression est annoncée début 2018. Elle est finalement reconduite et offerte par la Chine. Son usage pose la question de l'efficacité du contrôle de l'Isie et de sa capacité à garantir l'intégrité du scrutin. Alors que les doigts bleus étaient fièrement brandis après les élections de 2011 et 2014, le procédé alimente les débats sur la nécessité de dépasser ce procédé fruste et indigne des contextes démocratiques. Avant et après la campagne (14 avril - 4 mai 2018), les débats publics se diversifient. Le scrutin à la proportionnelle aux plus forts restes est discuté et donne lieu à des propositions. A propos des candidats, on pointe des repris de justice et des suspects de terrorisme et on note le retour -en rangs dispersés- des réseaux du Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD, parti de Ben Ali), dissous en mars 2011. Les interventions de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAÏCA) ont permis de discuter des contours de la participation des médias, les difficultés de la gestion du pluralisme et de la neutralité de l'administration. Les frictions entre les listes sur le terrain mettent sur le tapis la morale des élections. On dénonce des prêches du parti islamiste dans les mosquées et la distribution de vivres et d'argent. Les promesses d'introduire le wi-fi dans les communes qui éliraient Ennahdha, indiquent la « modernisation » de la communication politique de ce parti en même temps qu'une baisse de l'offre de récompenses aux votants, variable essentielle mais incertaine. Voter : une des voies de la citoyenneté 12% des 36.000 policiers et militaires votent pour la 1ère fois le 29 avril 2018. Ce taux traduit-il un manque de foi dans le vote propre aux forces de sécurité ? La faiblesse de la proportion fait craindre la froideur de la participation attendue le dimanche 6 mai. Le classement respectif d'Ennahdha et Nida Tounès est un résultat attendu surtout par les partis et notamment au sein du duopole hégémonique. Il servira à réaménager, en fonction des régions, l'équilibre des deux formations qui se partagent le pouvoir depuis 2014 et ont besoin de compter leurs forces respectives pour les élections présidentielles de 2019. Au-delà des repositionnements qui se feront au sein de l'alliance Ennahdha/Nida Tounès et parce qu'elle bloque le jeu démocratique, on attend justement de ces élections des signes du côté de la place que pourront avoir les listes indépendantes, les femmes et les jeunes. C'est en effet par ces brèches que le jeu électoral montrera les possibilités de s'ouvrir à de nouvelles couleurs politiques, d'introduire d'autres types de coalitions et de donner une place à des sensibilités et des pratiques, développées pour l'essentiel dans le bouillonnement de la société civile post-2011 et face à une situation politique paralysée par les tractations d'intérêts et la lourdeur des appareils. Sachant que le changement ne peut advenir d'un coup ni par les seules élections, ce scrutin municipal illustre, une fois de plus la lenteur et les aléas d'un processus civique et politique qui prouve concrètement l'insuffisance des institutions centrales, la nécessité de passer par le débat public et la difficulté de construire la citoyenneté par les comportements sociaux. La genèse des conditions de base du fonctionnement démocratique est plus longue et plus laborieuse que la mise en place des dispositifs et procédures juridiques. |
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