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Dans le cadre du mois sur le patrimoine local qui se déroule du 18
avril au 18 mai 2018, un colloque national sur la Numidie se tiendra les 28 et
29 avril à la maison de la culture d'Aïn-Temouchent
en attendant le symposium sur Syphax prévu au mois de septembre prochain sous
le patronage du haut commissariat à l'amazighité.
Le regain d'intérêt que l'on perçoit à travers l'organisation de journées d'études et la publication de nombreux écrits sur l'histoire nationale depuis la période numide est un signe encourageant qui prouve, si besoin est, le farouche désir des Algériens de se réapproprier leur passé. Ces témoignages mémoriels, directs ou indirects, constituent au -delà de leur impact factuel et de leur caractère souvent passionnel, des éléments intéressants susceptibles d'enclencher des débats constructifs parfois indispensables pour rétablir nombre de vérités historiques. Comme on s'en doute, l'entreprise réserve parfois bien des surprises et les intentions des uns et des autres ne convergent pas toutes vers une approche saine et objective de notre tumultueux passé. Mais ces productions prolifiques au sens large du terme - l'évolution de l'histoire tient davantage au contexte politique sur lequel elle agit- nous permettent, cependant, d'aiguiser notre jugement et de comprendre les enjeux du présent. Si l'histoire de la révolution, riche de références et d'indices vivants est un champ encore en friche qui n'a pas fini de livrer ses secret, il parait en revanche risqué pour les non initiés, s'agissant de l'histoire de l'Antiquité, de s'impliquer dans une dimension minée par les non-dits et sujette à de récurrents rebondissements, voire des controverses. Probablement parce qu'il est admis que cette période se nourrit de textes apocryphes, légendaires, empruntant à la mythologie gréco-latine ainsi que de découvertes archéologiques. Le manque de sources bibliographiques constitue à cet égard un bel argument pour interpréter ou s'approprier les grands évènements qui ont marqué les siècles antiques et qui ont failli dégénérer en conflit mondial, Carthage et Rome se disputant le contrôle de toute la Méditerranée. En ces temps les côtes oranaises, avec l'île de Rachgoun abritaient de nombreuses peuplades : Ibéro-maurassiens, Crétois, Mycéniens, Phéniciens, Numides, Carthaginois, Massassyles et Massyles. Lorsque les guerres puniques éclatèrent en 264 av. J.-C., les Romains appelaient «Afrique» les territoires propres de Carthage et «Numidie» la région comprise entre Tabarka (Tunisie) et la Moulaya (Maroc) qui englobaient deux royaumes. Les Massyles à l'Est avec pour capitale Cirta (Constantine) et les Massassyles à l'Ouest qui ont choisi de faire de Siga, créée par les Romains, leur capitale, dont les vestiges ont été retrouvés après les premières fouilles archéologiques menées en 1977 à quatre kilomètres de l'embouchure de la Tafna dans la localité de Oulhaça rattachée à la wilaya d'Aïn-Temouchent. Le royaume des Massassyles se distinguait par sa richesse en hommes, ses produits du sol, la culture des céréales et l'élevage du bétail. Carthage recrutait chez les Numides, qui passaient pour les meilleurs cavaliers du monde. La majeure partie des soldats était attirée par les butins de la guerre. Ce fut avec ses soldats que le grand général carthaginois Hannibal s'illustra lors des conquêtes de l'Espagne et de l'Italie, traversant les Pyrénées puis les Alpes. La cavalerie numide, forte de milliers de cavaliers, remporta la célèbre bataille de Cannes (216 av. J.-C.), qui demeure à ce jour dans les annales militaires comme un exemple de stratégie et de tactique. Sur les traces de la reine Sophonisbe Les royaumes numides, mêlés par leurs mercenaires au conflit de Rome avec Carthage, sont alors courtisés par l'une et l'autre puissance. Rome joua la division et arma fortement les Massassyles sous le roi Syphax, tandis que les Massyles, conduits par Massinissa, devinrent d'abord des protégés de Carthage. Le conflit, entre les deux hommes, prit un tournant historique quand Syphax dut abandonner sa capitale, Siga, près des rivages de Rachgoun, pour fuir dans les montagnes de la Mauritanie Césarienne, c'est-à-dire le Maroc actuel (212 av. J.-C.) Scipion l'Africain, vainqueur en Espagne des généraux carthaginois, parvint à rallier à sa cause Massinissa et conclut, en outre, une traite d'alliance avec Syphax, qui était parvenu à recouvrer ses Etats (206 av. J.-C.) Le général carthaginois Hasdrubal fit alors entrer en scène un personnage inattendu, sa fille Sophonisbe, dont la beauté et sa haine pour les Romains allaient accélérer le tour des événements. Dotée d'une rare beauté, aussi instruite dans les belles lettres qu'excellente musicienne, Sophonisbe la Carthaginoise fut élevée dans le culte de la soumission à la patrie. Vers 205 av. J.-C., son père Hasdrubal la maria à Syphax presque octogénaire mais encore rois des Berbères Massassyles de Numidie occidentale afin d'entraîner ce dernier dans l'alliance carthaginoise. Par dépit, Massinissa, roi des Berbères Massyles de Numidie orientale, qui était épris également de Sophonisbe et à qui elle aurait été initialement promise, s'allia à Scipion l'Africain. Syphax et Massinissa luttèrent pendant deux années l'un contre l'autre, Massinissa, vaincu à différentes reprises, s'enfuit dans le désert et Syphax resta roi de toute la Numidie (204 av. J.-C.). Scipion obtint du sénat romain l'autorisation de porter la guerre en Afrique. Il débarque avec une grande armée à Utique, qu'il encercla et, est rejoint pas Massinissa affaibli. Syphax réunit alors ses impressionnantes troupes de cavaliers pour porter secours à ses alliés carthaginois et, après avoir forcé Scipion à lever le siège d'Utique, il éprouva d'énormes difficultés à maintenir sa suprématie. La victoire des Romains à Zama en 202 av. J.-C. a mis fin au règne de Syphax et à la deuxième guerre punique. La partie occidentale, avec Siga, fut donnée à Vermina, le fils de Syphax, qui avait fait soumission à Rome. Massinissa savoura son triomphe, remettant le prisonnier Syphax aux Romains et prit Sophonisbe comme unique part du butin. Toujours amoureux, il l'épousa le jour même de sa capture. Mais les Romains, craignant les conséquences politiques de cette liaison, exigèrent que la princesse leur soit livrée. Préférant la mort au déshonneur de la captivité, Sophonisbe supplia son époux de ne pas la remettre vivante à Laelius, lieutenant de Scipion. Massinissa se résignera à ce sort et lui tendit une coupe de poison qu'elle but sans hésitation. Scipion se félicita de la conduite de son allié et honora, dès lors Massinissa du titre de roi. Cette histoire a inspiré plusieurs tragédies dont «La Sophonisbe» de Mairet (1634), Corneille (1663) et Voltaire (1770). Massinissa régnera pendant 54 ans jusqu'à sa mort en 148 av. J.-C. Il unifiera les royaumes de Numidie et assurera un essor économique, politique et militaire considérable à son Aguellid (Afrique du Nord). Le comptoir de Siga et l'île de Rachgoun constituaient à l'époque une place forte commerciale. Aujourd'hui, le mausolée du roi Syphax, construit en son temps, veille sur ce passé tumultueux. Bâti à 221 mètres d'altitude, sur les monts de Takemdit, le monument fait 2,60 mètres de hauteur et 2 mètres de largeur. Découvert en 1964, l'on pense que, avant les premières fouilles officielles de 1977, de nombreuses reliques, poteries, amphores, pièces de monnaie et autres objets de valeur disparurent du fait de pillages. Même les touristes étrangers, en visite sur les côtes de Rachgoun, n'ont pas hésité à subtiliser des objets anciens avec la complicité de certains autochtones. Non loin du site, sur une grande falaise surplombant la mer, a été réalisé un vaste ensemble hôtelier, dénommé «Complexe de Syphax», en souvenir de celui qui incarna les débuts de la fondation du premier Etat algérien. Une ?'Halqua'' dédiée à Syphax ou l'histoire triturée Au vu de ces bouleversements l'époque numide ne semble pas encore à la portée de n'importe quel féru d'histoire, c'est pour cela que la prudence est de mise lorsqu'on veut, lanterne à la main, visiter les galeries de la mémoire antique. L'exemple de la pièce «Syphax» présentée en 2011 à l'occasion de l'évènement «Tlemcen, capitale de la culture islamique», est en soi une excellente chose en ce qu'elle rappelle aux générations actuelles que la terre d'Algérie a enfanté de glorieux chefs de guerre comme «Syphax» et «Massinissa» qui, s'ils s'étaient entendus n'auraient peut-être jamais permis aux Romains d'ouvrir le pays des Berbères aux multiples envahisseurs. Une alliance Syphax-Massinissa aurait pu changer la face du Maghreb. Hélas, de «Syphax» à l'Emir Abdelkader en passant par la guerre de libération nationale, l'unité de la nation a longtemps souffert des querelles intestines et fratricides entretenues par les convoitises territoriales et les ambitions personnelles des uns et des autres. Ces identités meurtrières, selon la belle formule de Maalouf Amin, ont au fil des temps laissé des plaies indélébiles et provoqué des stigmates dans l'inconscient collectif. Osons une achronie : l'identité amazigh, dont tout le pays se réclame et doit se réclamer, ne serait peut-être pas aujourd'hui l'enjeu de luttes politiciennes si les chefs berbères dont Massinissa ne s'étaient pas combattus et trahis mutuellement pour rester au pouvoir. Le Dr Djennas Messaoud dans son livre «La Saga des rois numides» l'a souligné avec une rare perspicacité. «Invité» au rendez-vous culturel de Tlemcen en 2011, le roi «Syphax» a malgré lui fait un clin d'œil à l'actualité politique. L'Islam est venu bien après son époque mais son ancienne capitale, Siga, est proche de Tlemcen. C'est l'unique affinité qui a fait que la pièce «Syphax» a été en dernière minute programmée lors de cette manifestation qui n'a pas laissé que de bons souvenirs. La pièce a vécu le temps d'un Ramadhan avant de sombrer dans l'oubli une fois tout l'argent consommé. Passons, car l'essentiel est ailleurs. Affirmer que l'historiographie héritée des Romains a minoré le rôle de Syphax -ce ne sont pas les spécialistes qui le disent malheureusement- ne milite pas en faveur d'une approche objective des faits qui ont émaillé la période antique. Des assertions sans fondements historiques qui contribuent à remodeler les personnages selon les convenances de l'écriture. Un droit d'ingérence au nom d'une prétendue réécriture de l'histoire. La voie est alors ouverte pour une réhabilitation dans la fiction du Roi berbère «Syphax ». Comment a-t-on pu savoir que le souverain numide fut au cœur des rivalités guerrières de l'époque et qu'à ce titre il a eu droit à tous les égards, courtisé qu'il était et par Carthage et par Rome ? Son influence et son pouvoir pesaient sur les décisions des dignitaires des deux camps qui cherchaient à pactiser avec lui. A suivre |
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