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Ne pas entamer
sa journée, c'est faire l'économie d'une déception. Éviter le poids de la
rencontre de la dégradation que rien ne semble vouloir freiner, tellement
l'allure du pis-aller est effrénée. Pourtant, il faut bien y aller. Même au
cœur lourd, ne pas céder à l'imposture qui a envahi l'écran, la radio,
l'administration, la rue, et surtout le moindre recoin des cœurs. Y a-t-il,
désormais, plus de cœurs morts que de cœurs vivants ? Ce n'est pas facile de
répondre à cette question. Mais ce qui est certain, si les rides des visages
avachis des vieux laissent transparaître des signes flagrants d'une amertume
profonde, les désinvoltures des jeunes expriment les plis repassés de
l'insouciance. Car, «en Algérie, rien ne compte, répètent les étudiants. Le
chômage est notre destin. L'argent c'est pour eux. Pourquoi se lever donc» ? En
effet, quand le soleil se lève pour ceux qui lâchent les policiers pour
tabasser les médecins et qualifient les enseignants de corsaires, que
reste-t-il pour celui qui arrive dans la vie et se trouve, déjà, confronté au
spectacle d'espoirs désenfilés et fatalement perdus, au nom d'une indépendance
doublement arrachée ? Une première fois, à la colonisation ; une seconde fois
au peuple ou ce qu'il en reste après avoir cru l'avoir gagnée. Ainsi, donc,
l'Algérien de tout âge se trouve depuis 62, poussé à embarquer dans une
sempiternelle désillusion, les genoux comme le cœur, calés de planches devant
l'aider à surmonter les turbulences du lac méditerranéen, pourvu qu'il puisse
atteindre la lumière qui l'a tant fait rêver.
Oui rêver. Le rêve n'est plus public depuis longtemps, il ne faut, surtout pas en parler, au risque d'être taxé de fou. Il n'est pas privé ou presque, puisqu'il ne devient réalité que pour la race des apparatchiks. En Algérie, beaucoup se sont rendu compte, que le rêve est impossible. Enfin possible pour ceux qui ont dominé au nom d'une république aux méthodes califales et posé leurs progénitures un peu partout dans le monde développé. Ce qui est possible pour «le reste», la masse de ce qui ne se consomme pas mais se consume, ce sont les restes qui font le sous-développement. Dans ces conditions de débâcle en cours, un jeune a une jeunesse réduite presque au néant, espère tout juste pouvoir s'offrir une cigarette tant que le dinar, en désenchantement, le permet encore, une table au fond d'un café qui affiche l'image d'un wahhabite dans un écran suspendu dans une ambiance de désespoir diffus et un café noir, dans une tasse noire à siroter. Le marasme ne donne pas envie de s'éterniser dans les lieux. Mais ça ne donne pas, aussi, envie de les quitter. Parce que mine de rien, chacun se lève juste pour montrer qu'il «s'assoit debout» (rah ga3ed waguef). Qu'il aura l'occasion de dire non j'ai fait. Oui je n'ai pas fait. |
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