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Fuite en avant

par Mahdi Boukhalfa

Il y a comme une fuite en avant du gouvernement face au douloureux phénomène de l'émigration clandestine. L'exacerbation des tensions sociales, le chômage, des horizons bouchés, des promesses politiques non tenues, le sentiment d'injustice, le désir d'aller vivre ailleurs, autant de facteurs explicatifs qui ont fait que beaucoup de jeunes ont tenté l'aventure. Très peu ont réussi, beaucoup ont été arrêtés, certains sont en prison et d'autres, au sort dramatique, seraient morts. Jusqu'à ce que certains pays européens n'élèvent la voix pour rappeler aux autorités algériennes leur engagement de lutter plus efficacement contre l'émigration clandestine, rien n'a été fait, hormis des courses-poursuites en mer, pour prendre en charge un fait social hautement préoccupant.

Le fait de pousser le Haut conseil islamique (HCI) à sortir de ses prérogatives pour décréter «haram» l'émigration clandestine est tout simplement une autre fuite en avant du gouvernement qui n'a pas, jusqu'à présent, mis en place une politique publique volontariste de prise en charge du fléau. Mieux, la décision du HCI résonne comme un aveu d'échec des politiques gouvernementales vis-à-vis de ce phénomène et, au delà, de son incapacité à établir des ponts de dialogue et de communication avec la jeunesse. L'erreur fatale aura été de croire que les jeunes Algériens, dont beaucoup sont des diplômés universitaires au chômage, allaient tous adhérer à un abracadabrant programme d'insertion sociale, dont celui de l'Ansej, qui a depuis longtemps montré ses limites. Et surtout ses tares.

Les jeunes Algériens n'ont pas été compris, et ils ne le sont toujours pas aujourd'hui, par des décideurs qui ne veulent pas sortir de leurs bureaux, ni descendre de leur piédestal, pour aller jauger la température sociale. Et lorsqu'un Premier ministre, l'actuel pour le désigner, décrète que le pays est au bord de la catastrophe, qu'il n'a plus les moyens de payer le salaire des parlementaires, que penseront alors ceux qui n'ont ni salaire, ni statut social, encore moins un emploi? Il faut être doublement inconséquent avec soi-même pour développer un tel discours socialement nihiliste, au moment même où le flux des harraga augmente, gonfle et grossit dans le sillage d'une situation politique désastreuse, d'une situation économique oppressante, et au milieu d'une sinistrose amplifiée par un discours officiel qui fait la part belle à un état des lieux économique et financier des plus déprimant.

Il ne faudrait dès lors plus chercher à contrôler un flux monstrueux de harraga qui envahissent les côtes de certains pays européens. C'est en fait cette marginalisation politique d'un phénomène social qui s'est enraciné dans la société algérienne, cette manie des politiques et des décideurs de dénoncer avant d'essayer de comprendre le mal et la grande déception qui rongent les Algériens qui auront amplifié au cours des deux dernières années cet irrésistible désir des jeunes et moins jeunes Algériens et Algériennes d'aller tenter leurs chances de survie là où ils auront le plus de moyens d'affirmer leur personnalité, de s'adapter culturellement et de s'intégrer socialement. Par la force des choses, le gouvernement, sinon tous les gouvernements successifs depuis la fin de la décennie noire et même avant, n'a à aucun moment mis en place des politiques publiques en direction de ces jeunes, ouvert un dialogue franc sur leurs attentes sociales. Et, entretemps, le pays s'enfonçait doucement dans le marasme social, la crise économique, le flou culturel et d'inutiles interrogations identitaires.