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Ne pas être généreux, ce n'est pas un crime

par Benkoula S. M. El Habib

«Savoir aimer sans rien attendre en retour». Ce sont bien les paroles d'une chanson de Pascal Obispo qui résonnent encore dans la tête de ceux qui l'ont entendue et chantonnée dans leur intimité, une chanson qui rappelle à la mémoire la force de la générosité, une vertu morale ou religieuse, ou les deux.

Mais qu'en est-il aujourd'hui ? La vie devient difficile pour les Algériens, le dinar fait une chute suicidaire, certains aliments se retrouvent plus chers qu'en France et les prix s'agitent jusqu'à rendre fous les porte-monnaies d'une classe de riches à moitié inconsciente du danger qui la guette, d'une classe moyenne éminemment fragilisée, et d'une classe de pauvres poussés aux affres de la misère. Les uns et les autres sombrent dans la méfiance la plus totale de survivre dans une Algérie où la vie échappe à toute règle logique.

Ainsi donc, dans ce décor vétuste, où tout est à faire, on peut voir sous la tente informelle d'un marchand de légumes, une mendiante s'approcher d'un homme à l'air respectable qui choisit ses tomates méticuleusement avec des yeux pleinement fixés sur le prix du kilo et qui remâche sa crainte de voir les prix se lancer dans une folle rehausse. Comme la semaine dernière, où toutes les fois qui lui ont fait dire que les années qui arrivent seront toutes des veilles d'Aïds et de ramadans. Quelle psychose la fête en Algérie ?

La mendiante lui demande de lui offrir une banane. Il demande le prix du kilo qu'il trouve cher. Et s'excuse de ne pas pouvoir la lui payer. «Je ne peux l'acheter même pour moi-même».

Alors se pose la question existentielle pour une culture interdite aux questionnements. La générosité doit-elle dépasser ses moyens ? Faut-il faire plaisir à des mendiants de classe qui n'ont pas froid aux yeux et qui vous obligent, presque, à leur offrir...des produits de luxe? Comme les bananes ? Qui peut s'offrir des kiwis et les offrir ? La plupart des yeux passent dessus sans s'y arrêter. Nombreux sont ceux qui ne connaissent pas le fruit, et ne veulent même pas s'en enquérir, car la barrière est là. Un prix rebutant. Un prix qui les chasse comme s'il se dépoussiérait d'un regard envieux et incapable de parvenir.

La vue impossible fabrique la violence de ne pas pouvoir, surtout là où la justice se confond désespérément avec l'injustice, là où tous les signes d'une décadence économique plus que morale interdisent le partage, parce que tout a été fait pour que les rôles soient injustement accomplis.

Refuser d'être généreux n'est pas un crime. Non. C'est l'être où c'est possible de l'être.