|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le « fake news » est un terme anglais passé en usage dans toutes
les langues du monde pour désigner les mensonges présentés sous formes
d'informations authentiques et dont les auteurs ne visent pas à éclairer
l'opinion, mais à la manipuler au profit de leurs objectifs cachés ou visibles.
La longue vie des «Fake News» Il ne s'agit pas de faire avancer la vérité, mais de la remplacer par des faits, des paroles, des gestes, des actes qui n'ont que des rapports circonstanciels avec la réalité. Il s'agit de présenter, dans une masse d'informations incontestablement vraies et vérifiables, un fait qui présente tous les aspects de la réalité, mais est un pur produit de l'imagination de son auteur. Ce qui compte pour celui-ci, c'est de donner plus de crédibilité à ses propres vues, politiques, religieuses ou autres, en ajoutant un détail totalement faux à une série de faits ou autres dont l'authenticité est au dessus de tout doute. Le phénomène des « fake news » n'a rien de moderne. Il a été maintes fois utilisé au cours de l'histoire du monde par des auteurs de toutes croyances religieuses et de toutes langues. Certaines de ces « fake news » ont perdu de leur crédibilité au cours des âges. D'autres, passées d'une génération à une autre, malgré les multiples démentis auxquels elles ont donné lieu par des érudits dont l'objectivité n'est entachée d'aucun biais, continuent à survivre et à servir, bref à garder leur puissance de persuasion et , donc, à être exploitées pour argumenter telle ou telle prise de position, tel ou tel préjugé, telle ou telle haine cachée ou visible. La destruction des bibliothèques d'Alexandrie, modèle de « Fake News » Parmi ces « fake news, » il y en est une, qui semblait avoir perdu sa crédibilité, au vu des multiples failles dont elle souffre et des centaines de contestations de sa véracité avancées par des chercheurs occidentaux du XVIIème et XIXème, mais, qui a été remise en circulation au cours des ces premiers jours de la 17ème année du XXIème siècle. Apparemment , cette « fake news, maintenant plusieurs centenaire, a gardé de sa vigueur, malgré son âge, qui est loin de sa prime jeunesse, et qui rappelle une ère où le fanatisme religieux était à la fois légalement instauré et accepté comme une norme sociale encouragée et digne de louanges. La « fake news » dont il est question ici est le prétendu incendie, en 642, de la bibliothèque d'Alexandrie par le conquérant arabe de l'Egypte, sur ordre du second khalife de l'Islam Omar Ibn El Khettab. C'est un certain Edward Pococke (1604-1691), prêtre ayant servi la communauté de marchands anglais résidant à Alep, et instruit en arabe et en syriaque, langue liturgique des Chrétiens de la Grande Syrie, qui est à l'origine de la diffusion de cette « fake news » à travers le monde occidental. Il faut souligner que Pecocke n'est pas l'auteur de cette fausse information. Il l'a trouvé dans le manuscrit d'une histoire du monde dont l'auteur est Bar Hebraeus (1226-1286), connu également sous le nom de Abou El Faraj,( Abulpharagius en Latin) Juif d'origine arménienne converti au Christianisme, qui fut évêque d'Alep, proclamé saint de l'Eglise Syriaque, et dont la fête se tient le 30 Juillet. Abou El Faraj fut un écrivain prolifique, auteur de livres tant en arabe qu'en Syriaque, apologiste et historien de l'Eglise chrétienne. L'ouvrage d'histoire, qu'il rédigea, en arabe, porte le titre de « Mutaar ta'rî al-duwal.» Dans cet ouvrage , il relate, entre autre, l'histoire de la l'apparition de l'Islam, des khalifes « rachidoun, » ainis que des khalifas omeyades et abbassides jusqu'à El Nasir. Pococke édita et traduisit en latin le manuscrit de cette histoire, qui fut publiée en 1650 sous le titre latin abrégé de « Specimen Historiae Arabum. » Dans les pages 180 et 181 de cette édition, Abou EL Faraj rapporte que Amrou El As aurait été questionné par une délégation d'hommes de sciences originaires de la ville d'Alexandrie,- qu'il venait de soumettre par la voie de la négociation, et dont il avait fait détruire les murailles extérieures,- sur le sort à donner aux livres qui se seraient trouvé dans les bibliothèques de cette ville. Amrou el As aurait répondu qu'il ne pouvait pas trancher cette question de son propre chef et qu'il devait en référer à Omar ElKhattab , alors «émir el mouminine) . Celui-ci aurait répondu, selon Abou ElFaraj, « si il s'y trouve qui en accord avec le Livre de Dieu, on peut s'en passer, et s'il en est qui contredisent le Livre de Dieu, on n'en a pas besoin . » Abou el Faraj continue en affirmant que « Alors Amrou ibn el As fit distribuer ces livres parmi les bains d'Alexandrie, où ils furent brulés dans leurs chaudières. Il fallut 6 mois pour que ces livres soient entièrement consumés.» Une ville à l'Histoire tourmentée et violente La contexte historique de cette « fake news » ne souffre pas de contestation. Il est vrai que la conquête de l'Egypte fut faite au temps du khalifat d' Omar el Khettab. Il est vrai également qu'elle fut confié à Amrou el As. Et on ne peut pas contester le fait qu'il soumit la ville d'Alexandrie, après plusieurs mois de siège et de rebondissements, et qu'il finit par l'occuper après avoir signé avec le prélat chrétien en charge du gouvernement de la ville pour le compte de l'Empire byzantin, dont l'Egypte était une possession avant l'arrivée des troupes musulmanes. Donc, tout le contexte autour duquel tourne ce grossier mensonge est incontestable. Il est tout aussi vrai que la dynastie grecque des Ptolémée, dont le fondateur avait reçu l'Egypte ( conquise sur les Perses en 331 avant Jésus Christ) en héritage, lors de la mort d'Alexandre, en 328 avant Jésus Christ, avait encouragé non seulement la poursuite des activités scientifiques, au point au l'antique Memphis des Pharaons, à laquelle avait été donné le nom d'Alexandre, qui est supposé y avoir été enterré, était devenu le symbole de la civilisation grecque dans tout son éclat. Il ne s'agit pas ici de rappeler tous les détails de l'histoire de la ville d'Alexandrie depuis qu'avait été instaurée la dynastie lagide en 305 avant Jésus-Chirst, mais seulement de souligner qu'elle fut particulièrement tumultueuse, en particulier avec la conquête romaine, au Premier siècle avant Jésus-Christ et la montée du Christianisme. Les aventures de la reine Cléopâtre avec Jules César, Pompée et Antoine, les trois protagonistes de la guerre civile qui éclata à Rome à la suite de l'effondrement de la démocratie patricienne au cours du 1er siècle avant Jésus Christ, ont été popularisées par une multitude de films et de livres. La main de César Le fait est que cette ville fut, au cours des siècles qui ont séparé la chute de la dynastie des Ptolémée de l'arrivée des armées arabes, l'objet d'attaques extérieures, de sièges violents, comme de soulèvements intérieurs provoqués par l'hostilité de la population païenne contre les Chrétiens, puis par la division des Chrétiens en différentes sectes. Tous ces évènements dramatiques eurent des effets dévastateurs non seulement sur les monuments de la ville, érigés par les Ptolémée , mais également sur les bibliothèques dont les immenses collections de livres avaient été établies au cours des quelque trois siècles que dura cette dynastie éclairée. La plus grande destruction de livres, documentée par Aulu-Gelle (125-180 après Jésus Christ), historien romain, eut lieu lors de la bataille navale que Jules César en 48 /47 avant Jésus Christ mena contre l'armée des Ptoléméens, alliés de Pompée, son concurrent au pouvoir, César fit mettre le feu à la flotte de ses ennemis. L'incendie, selon Aulu-Gelle (chapitre XVII du livre VI des « Nuits Attiques») se répandit dans la ville et atteignit la bibliothèque des Lagides, la principale bibliothèque d'Alexandrie. Dans le chapitre, dont la référence est donnée plus haut, Aullu Gelle traite des bibliothèques publiques et de leur histoire dans le monde gréco-romain. Voici ce qu'il dit de la bibliothèque d'Alexandrie « Un nombre prodigieux de livres fut recueilli en Egypte, à travers les siècles, par les Ptolémée, au nombre de prés de 700 mille. Mais, pendant la première guerre alexandrine (guerre de Jules César contre Pompée, voir plus haut, nda), au cours du pillage de la ville, toute la bibliothèque fut détruite par le feu, non de manière intentionnelle, mais par les soldats auxiliaires.» (dans «Les Nuits Attiques, » traduction anglaise par W. Beloe, Londres, 1795, page 48) Quant à la bibliothèque du Sérapion, qui reçut les livres confisqués par Jules César à Pergame (présentement Bergama au nord-ouest de la Turquie) et offerts à Cléopâtre elle fut détruite par les Chrétiens sous le règne de l'empereur romain Théodose Le Grand (346-395) Abdelatif, le médecin de Baghdad, un témoin contestable Un autre écrivain arabe, le médecin baghdadi Abdelatif, écrit, au cours du 13 ème siècle, quelques années avant Abou El Faraj, un ouvrage intitulé « Relation de l'Egypte » (traduction française de Sylvestre de Sacy, Imprimerie Royale à Paris, 1810) rapporte, sans donner de détails, la même « fake news » que l'évêque chrétien. Mais, F. Chatelain, un érudit français met en doute les affirmations du médecin. Dans un mémoire de 15 pages, publié en 1831, et intitulé : « Recherches Historiques sur la Bibliothèque d'Alexandrie, et sur son incendie, attribué faussement au calife Omar » (Imprimerie de N. Duviella, Rue St Remy, Bordeaux), voici ce que Chatelain écrit à ce sujet ; « Comment ajouter foi à un écrivain qui raconte avoir vu ce qu'on sait qu'il n'existait plus de son temps ? « J'ai vu, » dit-il, « le portique et le collège qu'Alexandre le Grand fit bâtir, et dans lequel et dans lequel était renfermée la superbe bibliothèque. » Or, ces deux bâtiments étaient placés dans l'enceinte du Bruchion, et depuis le règne d'Aurélien, qui l'avait fait détruire, c'est-à-dire au moins 900 ans avant Abdelatif, le Bruchion n'était plus qu'un espace désert, couvert de ruines et décombres. »(p.9 du mémoire). Chatelain ajoute, mettant définitivement à nu cette calomnie qui vient ternir l'image tant d'un khalife que de l'Islam tout entier, et qui, est colportée de siècle en siècle, en rapportant ce que Gibbon,(1737-1794) le fameux auteur de « L'Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain, » a écrit sur ce sujet : « Gibbon remarque d'abord que deux historiens, tous deux de l'Egypte, n'ont pas dit un mot d'une aventure si remarquable. Le premier est Eutychius, patriarche d'Alexandrie, qui y vivait 500 après la prise de cette ville par les Sarrazins, et qui, dans ses annales, a donné très au long l'histoire du siège et des évènements qui l'ont suivi ; le second est Elmacin , écrivain très véridique, auteur d'Une Histoire des Sarrazins, et qui, surtout, rapporte dans un grand détail, la vie d'Omar et le siège d'Alexandrie. Est-il concevable, est-il croyable que ces deux historiens aient ignoré une circonstance si importante ?( p.9 du mémoire) En conclusion Il a été présenté suffisamment de preuves, au vu de la dimension choisie pour traiter du sujet, pour innocenter tant le khalife Omar El khattab que Amrou el As du crime qui leur est imputé, et dont une grande responsabilité peut être portée par Jules César et par les pouvoirs politiques et religieux qui ont régné sur l'Egypte après la disparition des Ptolémée. Quand les armées musulmanes ont occupé Alexandrie, il n'y avait plus ni bibliothèques à détruite, ni livres à brûler. Les occupants qui les avaient précédés entre le Premier Siècle Avant Jésus Christ et 646, avaient accompli l'œuvre de destruction de la production intellectuelle de l'école alexandrine, dont le phare, même gisant au fonds de la Méditerranée, continue à éclairer le monde, et dont les Arabes ont conservé et traduit une bonne partie de ce qui a été préservé dans les bibliothèques helléniques à travers le Moyen Orient. Dans un ouvrage intitulé « Dissertations sur quelques points curieux de l'Histoire de France, et de l'Histoire Littéraire, » (Techner, Libraire-Editeur, Paris, 1839, un certain P. L. Jacob, bibliophile, est même allé à tourner en ridicule cette invraisemblable « fake news » par une pastiche humoriste qui représente le Khalife Omar EL Khettab assiégé de bibliothécaires et d'amoureux du livre dont certains plaident pour le maintien de la bibliothèque d'Alexandrie, et dont d'autres, excédés par le nombre de livres qui s'y trouvent, en demandent la destruction. Pourquoi alors continue-t-on à maintenir en circultion cette « fake news » si caricaturale que sa seule lecture pousse le lecteur quelque peu attentif à en rire ? Comment se fait-il que des « intellectuels, » qui se piquent de vouloir réformer l'Islam continuent à la maintenir en vie ? Pourquoi ne parle-t-on pas de la bibliothèque de Byzance, qui contenait 30000 volumes, et qui a été incendié sur ordre de Léon III l'Isaurien (régna de 717 à 741) ; selon Ludovic Lalanne (« Curiosités Bibliographiques, » Adolphe Delahays, libraire-éditeur, Paris, 1857) cet empereur iconoclaste « fit entourer la basilique d'un grand amas de matières sèches et combustibles, et y fit mettre le feu qui consuma ainsi les bibliothécaires et les livres. » (p. 216) Pourquoi passe-t-on sous silence le fait attesté par l'histoire que « pour obéir à une ordonnance de Jean de Zummaraga, moine franciscain, premier évêque de Mexico, toutes les archives de l'histoire ancienne du Mexique furent rassemblées et livrées aux flammes ? » (op. cit. p.224) Pourquoi ne mentionne-t-on que rarement les autodafés dans lesquels des millions de livres écrits en arabe ont été brulés sur ordre de l'Inquisition espagnole, sous la tutelle de la Papauté, à la fin de la Reconquista, et à la suite de l'expulsion des Musulmans d'Espagne au début du 17ème siècle? |
|