La crise
économique est en train d'enterrer l'Algérie. Façon de parler car la crise est
mondiale et rare les pays heureux d'y échapper car, ailleurs, on réfléchit, on
programme et on se projette dans l'avenir. On prévoit, on rationalise, enfin on
gère un pays comme une entreprise économique pas comme le haouch
de Lala Aïni. Chez nous, c'est le gaspillage grandeur
nature, on lance des projets du siècle, un siècle pour le projet à vrai dire et
on rebouche les nids-de-poules de l'autoroute avec
l'argent public. On a distribué la rente, acheté à l'étranger et investi pour
les enfants. A défaut, on a servi des chiffres au petit-déj et des statistiques
à midi avec un peu de sauce hrissa-mayo. Vous voulez
des chiffres ? Donnez autant que vous pouvez. On a créé 128 mille emplois, non
500 mille, arrondissez c'est mieux. On a monté 1200 usines, mettez 1500 ça
sonne mieux, vous ne trouvez pas ?? C'est gratuit et ça nous donne du répit. Le
chômage est en baisse, qui va vérifier ?? Malgré tous les discours rassurants
de nos têtes pensantes, la crise a frappé dans un premier temps par ricochet et
dans une deuxième mesure, de plein fouet, les flancs osseux de notre économie.
Le sang
noir de la terre avait fini de dégringoler dans les mercuriales et les
prévisions les plus pessimistes s'inscrivaient alors dans les proches
lendemains d'un réveil brutal. L'embellie pétrolière n'aura duré donc, pour la
masse des Algériens, que le temps de compter l'argent qu'ils ne toucheront
jamais. 140 dollars le baril qu'il faisait, un lointain et merveilleux souvenir
pour ceux d'en haut. 140, 60 ou un milliard de dollars le baril, cela n'a
jamais changé grand-chose aux locataires de l'Algérie d'en bas. Sauf les
enfoncer davantage dans la gadoue et leur marcher dessus. Pour eux, le
primordial réside dans le prix de la baguette de pain quand le boulanger ne
menace pas de faire grève, du sachet de lait quand la vache se laisse traire et
du flashage de leur démo pour rêver gratis. Le change parallèle de l'euro étant
ce qu'il est, il faut taxer tous les voyageurs en partance vers l'étranger de
l'ISF. Qu'il monte ou qu'il se casse la gueule, le prix du pétrole n'intéresse
au fond que ceux qui y goûtent. A travers des salaires dopés ou en mouillant un
doigt dans le pot au miel. A travers des commissions cachetées ou un poste à
squatter. Pour le reste, il y a Dieu, le foot et la parabole. Pas la peine donc
de la ramener et s'interroger sur où va la différence ? Qui prend quoi et le
donne à qui ? Comment on s'arrange pour presser la terre et frapper le peuple ?
Ces interrogations frappées de censure officielles sont subversives dans un
pays où les «horizontaux» sont plus nombreux que les «debout» et les «debout»
sont davantage fatigués. Toute une philosophie de la vie qui renseigne sur la
composante sociale du pays et ses attentes enracinées dans le besoin d'une
restructuration autant mentale que structurelle, pour paraphraser inutilement
un sociologue en mal de s'entendre s'écouter. Toute cette digression pour dire
et répéter qu'en dehors des cercles d'initiés à l'argent, de leurs proches, de
leurs maîtresses et des voisins de la tribu, la crise financière peut être
internationale, continentale, régionale, de quartier ou ethnique, elle
n'intéresse pas l'Algérien. Ou si. Un peu quand même.