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La
charge du ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel,
contre le Maroc, a constitué une aubaine pour Rabat.
Maintenant que la tempête s'est un calmée, il est possible de revenir avec un peu de sérénité sur la dernière crise algéro-marocaine. Et puisque tout -plutôt n'importe quoi- a été dit sur cette affaire, pourquoi ne pas l'aborder sous un angle différent, pour dire que, par ses propos, Abdelkader Messahel a donné un coup de pouce inattendu au Maroc ? Alors que des commentaires rageurs, parfois proches de l'insulte, émanant aussi bien d'Algériens que de Marocains étaient adressés au ministre des Affaires étrangères après ses déclarations controversées, d'autres se délectaient discrètement de cette sortie, qui a offert à Rabat une bouée de sauvetage inespérée, à un moment très délicat. Les faits d'abord. M. Messahel était, comme nombre de membres du gouvernement algérien, invité à s'exprimer à l'université d'été du Forum des Chefs d'Entreprises, l'organisation qui résume le mieux la puissance acquise par les forces de l'argent en Algérie. Comme d'autres ministres, M. Messahel a tenu un discours supposé ultranationaliste, à la limite de l'arrogance, pour affirmer la supériorité de l'Algérie et de son économie dans la région. Il a inutilement égratigné la Tunisie et l'Egypte, passant rapidement sur le vide libyen, avant de sonner une charge d'une rare violence contre le Maroc. Deux formules ont particulièrement retenu l'attention : la compagnie aérienne marocaine, la RAM, très présente en Afrique, servirait à transporter le kif produit au Maroc, et les banques marocaines, également très implantées dans le continent, blanchissent l'argent de la drogue. Encombrant Doing business Les propos sont plutôt inhabituels chez un ministre des Affaires étrangères. Du point de vue de M. Messahel, ces arguments étaient supposés contrer la rhétorique selon laquelle l'économie marocaine serait mieux gérée que l'économie algérienne. La référence en la matière est, en l'occurrence, le fameux classement du doing business, dans lequel le Maroc avance, alors que l'Algérie recule. Le nouveau classement 2018 est tombé quelques jours plus tard, confirmant la tendance: le Maroc continue d'améliorer ses positions, alors que l'Algérie perd dix places, rétrogradant de la 156ème à la 166ème place. Elle est désormais parmi les pays les moins attractifs au monde. La messe était dite. Les adversaires de M. Messahel jubilaient. Manque de tact, manque de diplomatie, propos irresponsables, rien ne lui a été épargné. Il a été accusé de saper les efforts de construction du Maghreb, de freiner la marche de l'histoire. Des commentateurs aussi improbables que Hafidh Derradji et le chanteur Khaled l'ont violemment critiqué. Ceci sans oublier, évidemment, les commentateurs marocains qui se sont déchaînés. Rares étaient ceux qui l'ont défendu. Certains ont évoqué des paroles tenues sous le coup de la fatigue. Ou de la colère. D'autres ont dit qu'il parlait dans une rencontre non officielle. Comme s'il pouvait s'agir d'excuses recevables. Mais là encore, aucun argument ne tient: un homme qui assume cette fonction reste ministre même en slip de bain, et M. Messahel, qui navigue au cœur du pouvoir depuis plus de quarante ans ne peut se laisser aller à la colère. Calendrier défavorable au Maroc Pendant que la polémique enflait, la partie marocaine accueillait avec délice toute cette agitation. Car le Maroc était confronté à un calendrier très délicat. Rabat devait, coup sur coup, gérer le premier anniversaire de la contestation dans le Rif, préparer la tournée que devait effectuer dans la région l'envoyé spécial de l'ONU pour le Sahara Occidental, et trouver une parade à la participation de la RASD au sommet Europe-Afrique, qui pourrait constituer une consécration pour les Sahraouis. En ébullition depuis une année, le Rif menaçait de basculer dans une nouvelle étape d'une contestation qui ne faiblissait pas. C'est d'autant plus évident que le roi Mohamed VI a été contraint de limoger trois ministres, dont celui de l'Intérieur. En outre, le retour de la question sahraouie au premier plan de l'actualité onusienne a toujours constitué un moment de crispation dans les relations algéro-marocaines. La tournée de M. Horst Kohler à la mi-octobre, ne pouvait échapper à cette règle. Pour le Maroc, c'était d'autant plus inquiétant que le calendrier pouvait s'emballer, lors du sommet Afrique-Europe prévu à Abidjan. Les tentatives maladroites de la Côte d'Ivoire de ne pas inviter la RASD ont ajouté un élément de tension supplémentaire. Main de l'étranger Sur ces entrefaites, intervient M. Messahel. Voulait-il, par des propos très durs, augmenter la pression sur le Maroc, en montrant ses muscles avant le sommet d'Abidjan, tout en faisant mine de défendre les choix économiques du gouvernement algérien? A-t-il envisagé l'éventualité que le Maroc récupère ses déclarations sorties à son profit ? Toujours est-il que le ministre des Affaires étrangères a offert une porte de sortie inespérée au Maroc, qui a saisi ses déclarations comme une bouée de sauvetage. C'est de bonne guerre, pourrait-on dire. Comme le nationalisme algérien est largement bâti sur un sentiment anti-français, le nationalisme marocain se nourrit abondamment de l'adversité algérienne. Rien n'est plus utile au Maroc, en temps de crise, qu'une initiative algérienne considérée comme hostile. Elle permet d'évacuer la pression, en essayant de ressouder l'unité nationale. La main de l'étranger peut ainsi se révéler très utile. Celle de M. Messahel a été salutaire pour le Maroc ces dernières semaines. Mais comme pour l'Algérie, cela permet de se détourner momentanément des vrais problèmes, pas de les résoudre. |
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