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Livres
Histoire politique de l?Afrique du Nord. Essai de Mohand Tazerout (présentation de Sadek Sellam ). Editions Alem el Afkar Alger 2012, 190 pages, 450 dinars. Il part de l'idée (une conclusion tirée de ses lectures, de ses réflexions et de son expérience) qu'il existe un être collectif appelé «Nation nord-africaine». C'est cela qui l'entraîne à apporter sa contribution à l'étude de l'histoire de cette entité... qui, selon lui, a été rendue homogène par l'islam. Assez engagée comme thèse qui se tient par bien de ses aspects (mais pas tous !). Tout d'abord, dans sa bibliographie, il ne retient que les sources arabes: Ibn Khaldoun, Haïdar Bamate, Mouqaddassi, Abou al Arab..., faisant exception pour quelques auteurs latins et allemands... et, il y a deux auteurs français atypiques: Egretaut et Habart. Exit Charles André Julien ! Il va, donc, passer en revue les principales périodes de l'histoire de l'Afrique du Nord depuis l'Antiquité, dans le but de démentir ceux qui dénient au peuple nord-africain «le droit à la liberté de disposer de lui-même» sous prétexte que «ce peuple ne constituerait pas une nation»: Une première partie sur «L'Afrique du Nord avant l'islam»; une seconde sur «L'Afrique du Nord et l'Islam» (une partie, assez longue, traitée de manière assez philosophique, un peu trop explicative des concepts religieux et des dogmes - Qu'est-ce que l'islam conscient ?/Les deux dogmes fondamentaux du Coran/L'Ijtihad et la conversion/L'Ikhtilaf et la tolérance... - et quelque peu idyllisante) et, enfin, une troisième partie sur «La colonisation de l'Afrique du Nord et sa libération». A signaler, en fin d'ouvrage, en plus de la bibliographie, une liste, très instructive, comportant la traduction des mots en italique (arabe, berbère et turc/autres langues) se trouvant dans le texte... et ils sont nombreux. L'auteur: Mohand Tazerout, 1893-1973. Originaire de Kabylie, né à Tazerout (Aghribs) et décédé à Tanger. Brillant élève du «Cours Normal» de Bouzaréah, instituteur (à Théniet El-Had), décrochant (préparation par correspondance) le baccalauréat «Latin-Langues», naturalisé français, en 1914, «pour échapper aux discriminations coloniales», mobilisé durant la Première Guerre mondiale, licence d'allemand, professeur dans plusieurs lycées parisiens, grand traducteur (il maîtrise l'allemand, le russe, le perse, le mandarin...), résistant sous l'Occupation nazie, assimilationniste au départ, il découvre par la suite la gravité des problèmes coloniaux. Revenu de l'illusion assimilationniste, sans doute sous l'effet de la «guerre totale» menée par la France en Algérie, ce sera alors un retournement qui l'amène à une profonde révision de sa culture historique. Extraits : «Placé historiquement sous les régimes successifs de l'esclavage antique, du servage chrétien, de la piraterie internationale et du capitalisme colonisateur, le peuple nord-africain s'est toujours conduit en protestataire véhément, contre toutes les atteintes portées à sa liberté native d'homme égal aux autres hommes de la création adamique» (avant-propos, p 37), «Toute l'industrie algérienne (durant la colonisation), dans la faible mesure où elle existe, ne produit pas pour l'Algérie, mais pour la France et à l'étranger» (p 41), «Les Nord-Africains, particulièrement en Algérie, n'ont jamais perdu dans l'antiquité la pleine conscience de leur personnalité ethnique et leur irréductibilité foncière aux Carthaginois, aux Romains et aux Chrétiens» (p 49), «L'on accuse encore aujourd'hui les indigènes d'Algérie de faire des séances d'une journée entière dans les cafés maures, devant une demi-tasse de liquide noirâtre, qui constitue souvent toute leur nourriture quotidienne, c'est que le colonisateur les avait déjà réduits à cette extrémité désespérante. Il est difficile aux hommes de remonter le courant en cherchant vainement à se débarrasser de mauvaises habitudes prises, que d'autres font tout leur possible pour les rendre invétérées à leur détriment». (p 56) Avis : Un livre «oublié» - qui date certes et au style quelque peu désuet - mais une production qui mérite amplement d'être re-découverte. Et, son auteur avec ! Bref, «un Kabyle hors du commun»(J-P Peroncel Hugoz)... mais «injustement ignoré» (K. M'hamsadji). Auteur de plusieurs ouvrages, près d'une quinzaine dont l'un en 5 tomes («Au congrès des civilisés», 1955-1959). Un hommage, le seul, lui a été rendu, à l a Bibliothèque nationale d'Alger en 2015. Hélas, il n'est pas le seul. Citations: «L'obscurité relative qui règne aujourd'hui sur l'histoire de l'Afrique du Nord provient de ce qu'elle a toujours été écrite par des étrangers. Chacun de ceux-ci s'ingénie le plus naturellement du monde à décrier les envahisseurs précédents, sans jamais chercher à connaître pour autant la mentalité des autochtones, qu'il se borne à exploiter dans l'intérêt exclusif des conquérants momentanés» (p 45), «La propagnade des idées, même les plus manifestement fausses, n'a rien de comparable à une «guerre sainte» de conquérants ou de colonisateurs; elle provoque la critique et l'autocritique comme propagande contraire; mais non la croisade et la répression racistes des peuples momentanément forts contre leurs adversaires momentanément faibles». (p 114) Le grain magique. Contes, poèmes et proverbes berbères de Kabylie. Recueil de Taos Amrouche. Hibr Editions, Alger 2017 (Librairie François Maspero, Paris 1966/Editions La Découverte, Paris 1996, 2007), 253 pages, 500 dinars, Des proverbes en quantité, vingt-trois contes, des complaintes, des chants (d'amour, religieux, d'exil, satiriques, du berceau, de pèlerins, de méditation, de récoltes, des morts, de danse, des olives, de noces, de progression, épiques...), des rondes. Chaque chapitre du livre s'ordonne autour d'un conte, parfois bref mais le plus souvent long, précédé d'un certain nombre de proverbes et d'un ou plusieurs poèmes, en général assez courts et de genres divers. Tout est beau, écrit avec le réalisme le plus cru mais aussi avec de l'humour, côtoyant le fantastique et le merveilleux, nous transportant, «magiquement», avec ou sans grain, dans un monde - certes, pour nous, assez lointain, mais pour notre âme, encore enfantine quelque part, si près - à jamais perdu ? Un monde qui ne concerne pas la Kabylie seulement, mais toute la Berbérie, toute l'Algérie, celle des villes, mais surtout celle profonde, celle des villages et des douars... certes alors pliant et souffrant sous le joug de l'oppression d'envahisseurs venus d'ailleurs, mais ne se brisant jamais, se réfugiant dans une littérature orale - en apparence de rêve - mais la plupart du temps, en réalité, de résistance et d'espoir. Et, de l'amour et de la foi en toutes circonstances ! Un exemple de chant épique (extraits): O toi, aigle à la tête bleue, Déploie tes ailes dans les nuées Et fonds sur le pénitencier Salue pour nous les prisonniers Salue tous les prisonniers Qui souffrent un exil sans fin. La patience est l'amie de Dieu L'auteure: Marie-Louise Taos Amrouche, fille de Fadhma Aïth Mansour Amrouche et sœur de El Mouhoub Jean Amrouche, est née à Tunis le 4 mars 1913, ville d'exil de sa famille (1910)et décédée le 2 avril 1976, en France. Romancière, chanteuse de double culture française et berbère. Immense aède berbère ! «Une petite bonne femme gigantesque» selon André Breton ! A publié quatre romans, des recueils de contes de la tradition orale et donné de nombreux concerts. Elle a produit pour la radio française, à partir de septembre 1961, une émission littéraire recevant Audisio, Mouloudji, Kateb Y., M. Dib, J. Pelegri, A. Césaire, F. Maspéro, M. Haddad, A. Memmi, N. Farès... Décédée en France en 1976. Taos Amrouche a participé à la fondation de l'Académie berbère de Paris en 1966 («qu'elle a quittée dès qu'elle s'est aperçue qu'elle prenait une tournure politique» selon sa fille).. Elle fut l'épouse du peintre français André Bourdil, avec lequel elle eut une fille, Laurence, comédienne qui a joué avec des metteurs en scène de renom tels Peter Brook ou Patrice Chéreau. Pour mieux connaître Taos Amrouche, lire le témoignage de Laurence Bourdil recueilli par Marie Virolle (revue Algérie-Littérature-Action, n°3, septembre-octobre 1996, p179-186 ou www.devoirdemémoire.wordpress.com) Extrait: «Il m'était donné de contempler notre tradition comme un pur paysage à travers une vitre de cristal. J'avais affaire à une mémoire presque infaillible en Marguerite Fadhma Aïth Mansour. Il se peut qu'inconsciemment ma mère ait apporté sa contribution aux récits qu'elle m'a légués: elle n'aurait fait, en cela, que continuer la tradition. Car, j'ai voulu considérer ces contes et légendes de mon pays moins comme des documents que comme des œuvres d'art bien vivantes». (Prologue, p 8) Avis : Ouvrage majeur de la littérature algérienne francophone, sorte d'abrégé de la culture berbère. Il peut être lu comme une introduction à la culture populaire d'Afrique du Nord (soit en berbère, soit en arabe dialectal) même s'il est très loin de présenter tous les aspects du répertoire local. Bien sûr, ce ne sont pas les anthologies de contes publiées en français qui manquent, mais pour l'instant, on n'a pas fait beaucoup mieux et, surtout, de plus émouvant. Un ouvrage qui donne ses lettres de noblesse à la littérature orale alors dénigrée et négligée... et fi des esprits chagrins qui trouvent que la traduction française a fait perdre aux contes présentés, entre autres, leurs propriétés orales. Citation: «Le choix du conteur est primordial dès qu'il s'agit d'une histoire: c'est la beauté, la composition et l'authenticité mêmes du récit qui sont en jeu, une légende pouvant être appauvrie ou enrichie selon la personne qui perpétue la tradition, une légende étant l'œuvre d'une chaîne ininterrompue de conteurs à travers le temps». (Prologue, p 8) Les Berbères. Mémoire et identité. Essai de Gabriel Camps (préface de Salem Chaker, professeur à l'Inalco-Paris, spécialiste de linguistique berbère). Editions Barzakh, Alger2007 (1re publication, Editions des Hespérides, 1980). 351 pages, 750 dinars. Pour le préfacier, Salem Chaker, l'auteur, Gabriel Camps, grâce à son œuvre scientifique - synthétisant près d'un demi-siècle de recherches sur le monde berbère «qu'il a parcouru en tous sens, à travers les temps, les lieux et les disciplines» - a «indiscutablement ouvert une nouvelle ère, une nouvelle approche de l'histoire et des faits de culture, sur la longue durée». Bien sûr, sur le sujet, des noms restent, encore aujourd'hui, des références obligées: Hanoteau, Masqueray, René Basset, Stéphane Gsell et bien d'autres, auquels on ajoutera Mouloud Mammeri, Salem Chaker, Hachi S... et, bien sûr, bien avant eux, Ibn Khaldoun. Avant Camps, la recherche, «à l'exception de quelques très rares francs-tireurs isolés dont les travaux n'étaient pas exempts de grandes fragilités», tous les savoirs «sont caractérisés par la fragmentation et l'étanchéité entre les périodes historiques et entre les disciplines». D'où l'impression désagréable (car, à mon avis, aux conséquences malheureuses sur l'interprétation de notre société) d'une étanchéité assez marquée avec des «compartiments» étrangers les uns des autres, juxtaposant une série de «mondes disjoints». L'Afrique du Nord (et l'Algérie), pour abonder dans le sens de Salem Chaker, ne s'est pas constituée sur un vide humain ou a, à chaque fois, d'un seul coup, sans transition ou continuité, totalement renouvelé son environnement humain... et linguistique. Ni linguiste, ni berbérisant au sens étroit du terme, ni ethnologue de formation, surtout préhistorien et protohistorien, Camps a, dans une approche des relations entre langue, culture et société, re-construit le savoir sur les Berbères sur la base de la continuité et l'unité gépographique du monde berbère. Bref ! Les Berbères sont là, avec leur langue et leur culture, depuis longtemps, depuis les temps préhistoriques. Et, «derrière et à côté de tous les apports extérieurs, puniques, latins, arabo-musulmans... il y a, toujours et partout, le même fil conducteur: le Berbère, la langue berbère». Un sommaire assez riche: les origines (antiques et modernes) des peuples à côté de l'histoire (temps protohistoriques, antiquité, moyen-âge), les dominations étrangères et les acculturations, le Berbère et le divin, la permanence berbère (l'écriture libyque, les tifinagh, l'art, le pouvoir, la vie sociale...). L'auteur : Né en Algérie en 1927, décédé en 2002, Gabriel Camps a consacré sa vie à l'étude des Berbères. Professeur émerite de l'université de Provence, il a occupé de hautes fonctions scientifiques en Algérie et en France. Préhistorien et protohistorien, il était le plus grand spécialiste de l'histoire des Berbères et il avait créé, à ce titre, l'«Encyclopédie berbère» dont il a dirigé la publication jusqu'à sa mort (vingt-huit volumes). Extraits : «Rares sont les peuples comme les Berbères dont les origines ont été recherchées avec autant de constance et d'imagination. Dès la plus haute Antiquité, des récits circulaient dans les milieux savants et chez les mythographes sur les origines des habitants de l'Afrique» (p 35), «L'histoire du Maghreb n'est souvent, pour les auteurs, que l'histoire des dominations étrangères. Elle n'est que la succession des maîtres d'un moment (...). Cette vue coloniale de l?Histoire est aujourd'hui dépassée (....). En bref, à toutes les époques, les Berbères sont les oubliés de l'Histoire» ( p 151), «Il fallait distinguer l'islamisation de l'arabisation. De fait, la première se fit à un rythme bien plus rapide que la seconde. La Berbérie devient musulmane en moins de deux siècles alors qu'elle n'est pas encore entièrement arabisée treize siècles après la première conquête arabe» (p 187), «Le chiisme avait ses bases en Orient, et cependant ce fut le Maghreb qui assura son triomphe». (p 257) Avis : Un ouvrage «qui remet les Berbères au centre de l'histoire et de la culture de l'Afrique du Nord». Une référence pour qui veut s'informer à une source sérieuse (scientifique) sur le peuple berbère que nous sommes et notre identité, à travers les âges.... Il concerne t.o.u.s les Algériens. Citations: «L'Histoire a horreur des simplifications, surtout lorsqu'elles sont abusives et prêtent aux siècles passés des conceptions politiques actuelles» (Salem Chaker, préface, p 28), «La formation de la population berbère, ou plus exactement des différents groupes berbères, demeure une question très controversée parce qu'elle fut mal posée. Les théories diffusionnistes ont tellement pesé depuis l'origine des recherches que toute tentative d'explication reposait traditionnellement sur des invasions, des migrations, des conquêtes, des dominations. Et, si les Berbères ne venaient de nulle part ?» (p 51), «Il existe une permanence berbère dans laquelle baigne l'ensemble nord-africain (...). C'est elle qui fait l'originalité du Maghreb à la fois dans le monde arabe et dans le monde africain» (p 269), «L'une des principales raisons de la faiblesse des Etats, en pays berbère, réside dans les règles ou l'absence de règles de transmission du pouvoir... Le modèle politique ainsi proposé est une anarchie équilibrée» (pp 315 et 322), «A vrai dire, le commun des mortels, dans la société berbère traditionnelle, ne se soucie guère des grands problèmes politiques et encore moins de définir une philosophie du pouvoir. Ce qui compte le plus, en premier lieu , est de s'insérer pleinement dans le milieu familial, dans son çoff, son village, sa fraction...» (p 323), «Le Berbère a le nez chatouilleux... Pour ne pas perdre la face, l'individu consentira des sacrifices inouïs, sa famille supportera les pires privations». (p 326) |
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