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L'opacité
politique conduit à multiplier les supputations et les hypothèses sur le
fonctionnement du pouvoir algérien. Chacun y va de sa propre analyse présentée
comme étant de l'ordre la certitude (« je sais»).
C hacun d'entre nous tente de faire valoir sa maitrise incontestée et incontestable des arcanes du pouvoir. Mais La colère, les frustrations et la pas sion au cœur de ces discussions ne favorisent pas toujours le questionnement. On préfère souvent les affirmations toujours « vraies », s'appuyant sur les dires de tel ou tel personnage influent, les métaphores qui frappent, le dévoilement d'un fait jugé très « confidentiel » que personne n'a encore avancé. On peut devenir, le temps d'une soirée, un interprète du politique très écouté face à une attente légitime qui consiste à glaner quelques informations jugées crédibles pour tenter de décoder le mode de gouvernance en Algérie. Pourtant, les scénarios construits et déconstruits par la population, sur le fonctionnement du politique, dévoilent deux éléments importants : en premier lieu, une volonté de savoir. Que se passe-t-il réellement dans cette « boite cadenassée » par certains acteurs politiques qui dictent, dans une logique de fermeture, des décisions qui nous concernent, sans que l'on soit partie prenante ? Par ailleurs, l'imaginaire populaire peu écouté, sous-estimé et méprisé, n'en n'est pas moins pertinent. A partir de leur vie quotidienne, les gens de peu observent les multiples flous socio-organisationnels au cœur de la société, issus en partie du politique (« bled ralia » ; « eh diro sha breho homa »). Le sociologue camerounais Mbembe n'hésite pas à rappeler la profondeur du discrédit des populations africaines à l'égard de leurs pouvoirs respectifs. « L'effondrement des grands mythes qui avaient pour prétention de mobiliser les africains, conduisant à une période de stress idéologique, de cynisme et d'incrédulité populaire face aux prétentions messianiques des pouvoirs post-coloniaux. Le politique et les langages qui les supportent sont discrédités » (Mbembe, 1988). Sinueux et complexe, le pouvoir algérien fonctionne et se reproduit à partir de non-dits, privilégiant les multiples méandres empruntés par un clan dominant à une période donnée. Celui-ci aura pour mission de placer l'homme considéré toujours à ses yeux, comme le « sauveur ». Dans ses mémoires, le général Nezzar évoque clairement le processus de désignation de Bouteflika en 1994, identifié comme le « moins mauvais ». C'est autour d'un café, dit-il, que ses compagnons ont pu accéder à un compromis propulsant par le haut le président de la république. L'incorporation du culte du secret est un élément invariant et structurel, indissociable du fonctionnement du politique en Algérie. La société à l'écart du jeu politique réel Quel sens faut-il donner au terme d'opacité politique ? On ne peut que fonctionner politiquement dans l'ombre, quand il s'agit, non pas de mobiliser de façon autonome des convictions politiques, mais plutôt d'intérioriser, même temporairement, la dépendance à l'égard de ceux qui ont été à l'origine de la cooptation de la personne intégrant la haute hiérarchie du monde politique. La spécificité du politique en Algérie, consiste précisément à faire uniquement confiance à des « compagnons » bien placés, devenant incontournables dans la fabrication du responsable politique brutalement propulsé dans l'arène politique. Propulsion, dépendance, clientélisme, inclusion-exclusion, coup de force, violence, désignation de facto, semblent des termes significatifs pour caractériser les pratiques du pouvoir en Algérie. Le sociologue américain Goffman (1992) évoque l'importance des coulisses. Elles représentent l'espace qui donne sens aux interactions réelles mais socialement invisibles. Il s'agit de ne pas perdre la face, de se retirer discrètement, d'acquérir avec l'expérience, « un savoir-vivre » politique caractérisé par l'usage d'un langage codé qui ne doit surtout pas offenser ses chefs, en continuant à louer sa fidélité et sa dépendance à leurs égards. Sait-on jamais ? La société est à l'écart de ce jeu réel. Celui où se trame la lutte pour le pouvoir, même si les acteurs politiques évoqueront, après coup dans l'espace dit public, l'importance formelle et toute symbolique des élections. L'observateur assiste à une véritable mise en scène déployée par une nomenklatura locale cooptée et politiquement dépendante de l'Autre, à l'origine de son « placement ». Elle a pour mission de mettre en branle les rites savamment conçus par le pouvoir central. Pour Marc Augé (2013), « le rite a ses règles. Son exécution passe par une rigoureuse fidélité au rituel tel qu'il a été établi par les anciens ; mais il est tourné vers l'avenir, et l'émotion qui s'attache à sa célébration naît du sentiment qu'il a réussi à faire naître quelque chose, qu'il a produit un commencement ». L'Etat-pouvoir produit de façon renouvelée ses rites et ses croyances teintées de populisme, dans des moments décisifs (élections) pour tenter de façon théâtrale d'élargir sa base sociale, sans pour autant que le succès en soit garanti. La société a les capacités de réinventer au quotidien une multiplicité de postures (indifférence, retrait, distanciation, ruses, etc.) et un langage parfois virulent pour s'inscrire dans des formes de désengagement et de défiance quand elle ne se reconnait pas dans la façon de faire de la politique. Le patriarcat politique La « mobilisation » ou plutôt la tentative de captation factice, mercantile et artificielle de la population (louer des bus pour obliger les gens à se déplacer pour faire semblant d'applaudir, les payer pour assister au meeting ou pour coller les affiches), est une constante théâtrale marquant durablement le fonctionnement du système politique algérien. Le patriarcat politique - entendu comme un processus d'infantilisation des personnes qu'il s'agit de prendre en charge politiquement - semble doublement prégnant : il a d'une part, un caractère populiste, en payant une petite partie de sa dette à l'égard du « bon » peuple que celui-ci considère d'ailleurs comme « son » droit le plus absolu (Hours, Ould Ahmed, 2013). En outre, dans cet échange identifié à une logique de don et de contre-don, il est important de lui faire admettre que seul le statu quo politique défini et imposé de façon autoritaire par le pouvoir a du sens ! Pour ce faire, l'opacité n'est nullement un simple déficit de communication institutionnelle, mais apparait au contraire, comme une dimension incontournable et indissociable du fonctionnement du politique. L'histoire politique de l'Algérie est caractérisée par la quête constante de l'homme providentiel, le « sauveur », agissant en surplomb de la société. Celle-ci « mériterait », selon cette façon de faire de la politique, d'être prise en main pour son « bien », mais sans elle. Peut-être, peut-on évoquer la force de cette dramaturgie récurrente qui se perpétue depuis l'indépendance, projetant une image réductrice de la société étiquetée faussement dans sa passivité. Elle aurait, selon bon nombre d'acteurs politiques, « besoin » d'être sous tutelle du politique, seul à même, de lui montrer le « bon » chemin. Mais force est d'observer que les différents pouvoirs n'ont pas pris toute la mesure du fonctionnement réel de la société porteuse de dynamiques, de logiques, de stratégies, de ruses, de multiples détours déployés par ses différents agents sociaux (Mebtoul, eds, 2015). Certains effets pervers liés à la production politique d'une citoyenneté étriquée (Mebtoul, 2013), peuvent être rappelés : frustrations d'une grande partie de la population de se percevoir à l'extérieur du jeu politique opaque. Critiques sociales acerbes à l'égard de l'Etat, « c'est l'Autre » (Mebtoul, 2017), de par son absence à réguler les conflits dans la société. Défiance d'une majorité de la population refusant explicitement et fortement de cautionner les dernières élections législatives avec un taux de participation officiel de 38% et deux millions de bulletins blancs. L'opacité politique est intrinsèque au jeu social obscur, déroutant, versatile, refusant toute alternance (addiction au pouvoir). On le voit, le pouvoir n'est pas un état qu'on peut décrypter de façon statique. Il s'inscrit nécessairement dans une dynamique relationnelle très fluctuante, peu prévisible, dépendante de la conjoncture politique et économique, des différents espaces de confrontation où se jouent les rapports de force entre les différents groupes sociaux et de la pression internationale. Références bibliographiques Augé M., (2013), L'anthropologie et le monde global, Paris, Armand Colin. Goffman E., (1992), La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Editions de Minuit. Hours B., Ould Hamed P., (2013), Dette de qui, dette de quoi ? Une économie anthropologique de la dette, Paris, L'Harmattan. Mbembe A., (1988), Afriques indociles, christianisme, pouvoir et Etat en société post-coloniale, Paris, Karthala. Mebtoul M., (2017), « L'Etat, c'est l'autre », Revue Chimères, N°90: 231-238. Mebtoul M., (2013), La citoyenneté en question, Oran, Dar EL Adib. Mebtoul M. eds, (2015), Les Sciences Sociales à l'épreuve du terrain : Algérie, Belgique, France, Québec, Laos, Vietnam, Oran, l'Harmattan-Gras. |
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