Les
Algériens ont appris à souffrir en silence. Ils ne rouspètent plus. Enfin, plus
tellement, quand ils n'y peuvent rien. Comme ces dernières semaines sont, en
attendant un bilan définitif, les plus chaudes de ces dix dernières années, il
est tout à fait dans l'air du temps de parler des incendies, qui non seulement
ravagent des centaines d'hectares de forêts, sèment la terreur, la panique et
la désolation dans nombre de villages de montagnes. Et installent une chaleur
étouffante, chronique, maladive dans les villes touchées par ce fléau des
incendies de forêts, qui semblent s'acharner sur notre pays. Au cours de ces derniers
jours, des habitants de villages côtiers de la wilaya de Béjaia,
à Beni K'sila, se sont réfugiés près des plages,
fuyant les feux et la fournaise de la forêt toute proche, devenue un immense
brasier. Non, contre les feux de forêts, les Algériens restent ?'zen», car ils
savent que le phénomène est au-dessus de tous, qu'un incendie de forêt est une
chose compliquée à traiter, pas comme demander un logement ou l'AEP. Ils
souffrent de cette canicule rendue encore plus dramatique par les feux de forêts,
en silence, acceptant leur sort. Dans les régions d'Aïn
Defla ou Chlef, Relizane ou Mohammadia, l'ex-''Barigou'' (Perrégaux) si célèbre avec ses ?'navels», ses ?'cara cara», et ses ?'washington», ses agrumes, il fait en moyenne, sans les feux
de forêts, 45 degrés à l'ombre en plein été. Et avec les incendies ? ?'L'air
s'est arrêté de circuler, ici'', a commenté un habitant d'Aïn
Defla à la question d'un Blidéen
?'quel temps il fait chez vous?'' jeudi. Mais, tous
ces Algériens des montagnes et des dechras, des
villages de la ?'ceinture de feu'', qui n'ont ni climatiseurs, ni les moyens
d'aller en vacances le temps que la tempête passe, n'ont jamais été consultés
sur l'opportunité par la Protection civile de se doter de ces avions qui
bombardent les forêts en feu de milliers de tonnes d'eau. Non, les Algériens,
qui ne sont pas, d'ailleurs, consultés sur les autres questions régissant leur
pénible vie quotidienne, auraient cette fois-ci donné leur avis bien volontiers
sur l'achat de canadairs, s'ils avaient été consultés, même à travers le
Parlement. Car ces Algériens de l'intérieur du pays, qui vivent près de la
terre qu'ils cultivent, avec leur bétail qu'ils élèvent, proches de leurs
jardins qui leur apportent fruits et légumes, qui n'ont pas encore accès à une
route goudronnée, ni à la TV et encore moins à l'Internet, savent que la
protection de la forêt, où ils élèvent des colonies d'abeilles pour leur miel,
est une chose essentielle dans leur mode de vie, qu'ils ont hérité de leurs
parents et de leurs ancêtres. Ils ne savent pas pourquoi, en réalité ils ne se
sont pas posé la question, l'Algérie, un si grand pays dans la région et en
Afrique, qui produit du pétrole et du gaz, n'a pas encore une flotte de
bombardiers d'eau pour éteindre les incendies, qui déciment chaque année un peu
plus de leurs pâturages, de leurs colonies d'abeilles, de leur mode de vie. Eux, ces Algériens du ?'bled», qui font encore du ?'S'men», mangent
du ?'khliee et le kedid»
(viande salée que l'on étend comme un linge pour le séchage) ne râlent pas
autant que ces étranges habitants des villes, qui guerroient chaque nuit contre
les invasions terribles de minuscules volatiles ou d'insectes rampants, les
attaques successives d'escadrilles de moustiques, qui trouvent un climat
propice avec le temps des grandes canicules, les coupures d'électricité, et le
cycle infernal des feux de forêts, chaque année. Dans ce décorum
fantastique, irréel, qui aurait ravi un Ray Bradbury ou un Isaac Asimov pour
charpenter un roman de SF, il y a ce qui révolte le plus les Algériens :
qu'attend ?'Eddoula» pour soulager ses peuples
silencieux de la forêt pour moderniser ses équipements de lutte contre les
incendies, et acheter, enfin !, ces satanés canadairs ?