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Ce qu'il en reste !

par Kamal Guerroua

Dans son présent hypothéqué, l'Algérien marche mais ne sait plus vers où. Il porte la difficulté de vivre et l'appréhension de poser le prochain pas comme un lourd fardeau sur les épaules. Et sous peine de trébucher ou que chancelle cet espoir que quelque chose allait changer, il râle. Il craint de tomber sur les prévisions lugubres de certains connaisseurs attitrés dans les médias et parmi les élites, cogner à la lucarne de l'échec, «retomber» sur ce visage hideux des années de sang et sur la grimace du temps mort. Ou le vide. À bout de souffle et au bout du gouffre, sa patrie en rade ne l'enchante guère, ses officiels le découragent et il voit malheureusement ses rêves s'effriter, de jour en jour. Paquets d'illusions agglutinés sur le fumier des fausses promesses, mouillés de surcroît par des averses de déception. Méprisé ; trompé ; désabusé ; arnaqué et que sais-je encore, l'Algérien n'a plus besoin de définition ni de diagnostic du malaise de son pays parce qu'il s'en rend compte, lui-même, lorsqu'il constate, le vague à l'âme, les incroyables péripéties de l'affaire de ce jeune «ministre de 48 heures»! Un désormais ex-ministre qui, lui, ne sait plus ce qu'il lui est arrivé.

Il arbore par une belle matinée de printemps un costard trois pièces, s'engouffre dans un cortège officiel haut en couleurs, accompagné de policiers, de gardes du corps et de gyrophares, fait son discours d'investiture sur son maroquin «fier de la confiance que son excellence le président de la République aurait placée en lui en ces moments durs d'austérité», puis, couic, comme dans une comédie de mauvais goût, le piège, le néant et retour à la case départ, dès la première journée passée, dans son bureau ! Car limogé sitôt désigné par ce même président via un communiqué parvenu directement des arcanes du palais d'El-Mouradia. Motif : non précisé. Mais juste la minute d'après, les spéculations sont allées bon train, dans cette Algérie férue des rumeurs, chaînes de télés interposées. L'histoire de ce «plus éphémère ministre» de la République résume, à elle seule, le drame de l'Algérie et de l'Algérien lui-même. A la fois victime et coupable de son triste sort, celui-ci rêve comme dans un monde immobile, ne sachant guère composer avec le solfège du changement. Puis, ramassé dans un long silence, ce qui fait pour lui une consolation et un redoublement de l'horreur en même temps, il digère mal la bouffe pourrie des mensonges qu'on lui sert.

Cependant, il dort avec la certitude naïve que les autres citoyens, partout ailleurs dans le monde, lui ressemblent et souffrent comme lui, se cherchant des complices fictifs dans son statu-quo. Une sorte de commisération fortifiante, à plus d'un titre, dans les affres d'un drame sans fin : «Si je voyais un de ces visages qui aurait pu être le mien, écrit le poète italien Jean Louis Giovani, serais-je enfin soulagé ?». Oui, répondrait l'Algérien sans doute! D'autant qu'aucun jeu ne peut déplacer cette certitude d'immobilisme qui pend au bord de son lit, amulette de gris-gris sans effets abracadabrantesques, hélas! La preuve : s'il ne sort pas dans la rue pour réclamer des logements AADL ou crier fort au complot et à la main de l'étranger, sous les auspices de ceux qui l'ont, pourtant, arnaqués, il se tait! Est-il définitivement désespéré de la politique ? Reste-t-il encore quelque chose de sa fierté et de sa dignité d'antan ? Puis, serions-nous, vraiment, en Algérie ou dans ce pays foutu et irrécupérable de l'Arnaquie ?