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«J'ai
rencontré au cours d'un après-midi de la fin Mars 2001, par un hasard
miraculeux (c'est bien le cas de le dire), Nicolas Flamel(1) et Dame Perrenelle. C'était dans le salon de l'aéroport Charles de
Gaulle, quelques minutes avant le vol Paris-Constantine que je devais prendre
ce jour là.
Je l'avais tout de suite réalisé en les observant plus attentivement, car ils semblaient être bizarrement d'un autre temps, et j'étais persuadé que c'était bien le fameux couple mythique en regardant longuement Dame Perrenelle, qui avait un physique assez grand, un visage absolument étranger à toute les femmes présentes dans la salle d'attente de l'aéroport, et les traits d'une voyante et d'un derviche au maintien assez noble, les deux apparentes distinctions ou postures étant extraordinairement amalgamés ; elle donnait l'air d'avoir la soixantaine à peine entamée, mais avec le port majestueux d'une femme qui, vue de profil, lui donnerait beaucoup moins. Elle avait remarqué mon regard dirigé vers elle, et aussitôt s'étais déplacée et mêlée à la petite foule présente dans la salle. Elle revint quelques temps plus tard, et se tint debout prés d'un vieillard, au regard alerte, qui devait avoir atteint à peine les soixante dix ans, ou peut être moins, et qui paraissait être en bonne santé physique. Je me mis à le regarder, à la dérobée, et je pouvais jurer que c'était Nicolas Flamel (Il y avait dans un des dictionnaires Larousse des années 1930 un dessin représentant le visage de Flamel, et celui du vieil homme assis à quelques pas de moi, dans ce même salon de l'aéroport, lui ressemblait tellement que j'étais définitivement persuadé que c'étais le même personnage qui se trouvait là, devant moi, en 2001 ?!) Quand nous montâmes dans l'avion, ce même vieillard se trouva, comme par un hasard extraordinaire, placé à coté de moi. Il me demanda, quand l'avion était en plein vol, de lui remplir un formulaire qu'on donnait à tous les passagers qui se déplacent d'un pays à un autre. J'acceptais de le lui remplir, et il me remercia en m'offrant quelques gouttes d'un encens d'une fiole assez étrange. Cet encens dégageait un parfum très fort mais parfaitement réconfortant. Je l'en remerciais vivement. Je remarquais que la femme à haute stature n'était plus là, à ses cotés. Avait-elle pris le même avion ? Avait-elle un numéro de siège qui était plus haut ou plus bas que la rangée de sièges où je me trouvais avec cet alerte vieillard ? Avait-elle disparue ? Je ne sais. Le vieillard au regard incroyablement vif, m'observait de temps à autre, à la dérobée. Ayant senti son regard jeté furtivement dans ma direction, je me tournai vers lui et sourit ; puis je m'enhardis à lui adresser la parole et lui dit tout bonnement s'il était bien confortable dans son siège et s'il ne trouvait pas ce voyage dans les airs ennuyeux. Il me répondit ; « Merci pour votre gentille attention à mon égard, jeune homme. Je me trouve assez bien », dans un français châtié qui m'étonna grandement, étant à peu prés sûr, dés le départ, que son français était approximatif, du fait que son formulaire de voyage avait été rempli par mes soins. Après une petite pose de quelques instants, il se tourna vers moi et me dit ceci : « Je vais vous raconter quelque chose (avec ce même français impeccable et un accent que j'ai entendu nulle part) qui va peut-être vous vous ennuyer ? » Il hésita un temps, avec l'air de quelqu'un qui semblait cacher quelque chose comme un grand secret, puis finit par ajouter : « mais je prends le risque de vous le raconter, jeune homme, s'il plait à Dieu que je ne dise pas plus qu'il ne m'est permis de dire. « Au commencement était l'espace, l'espace comme cadre de la Création. Ensuite se produisit le miracle de l'éclair qui a donné le feu, et dans cette continuité ininterrompue, il y eut l'embrasement. De cet embrasement nait ? après le long processus de calcination, conséquence de la progressive et inéluctable extinction de ce feu embrasant ? la matière. Une série de transformations eurent lieu après la consolidation de cette matière, et Ô miracle ! L'eau jaillit de ce qui représente les divers états de la matière. De nouveau d'autres transformations se produisirent : c'est la vie végétale d'abord, ensuite la vie animale intervient en dernier lieu. Le reste est une histoire de l'évolution des ramifications et des complexifications de ce phénomène inouï qu'est la vie, à travers le temps ou les temps historiques. L'alchimie a intégré tous ces processus dans son sacerdoce » J'étais totalement sidéré par le discours de l'homme que j'avais pris pour un vieil émigré de retour à sa terre natale. Il enchaina immédiatement après cette introduction, pour le moins ésotérique dans l'esprit d'un profane, avec la parfaite maitrise d'un docte qui s'adresserait à un néophyte : « Maintenant, si vous le voulez-bien, je vais me mettre dans la posture d'un homme obnubilé par l'explication dite scientifique de l'évolution de l'homme et de son intelligence. Comme vous devez l'imaginer, je ne fais qu'ironiser, en prenant cette posture de l'homme de science, sur des possibles scientifiques. Dans cette optique, l'hypothèse est que l'homme d'abord curieux naturellement ? instinct et intelligence combinés pour la survie ? devient de plus en plus inquiet sur son rapport avec l'environnement physique et animale, se pose des questions, s'adapte avec douleur, invente des techniques de survie, décuple son intelligence, s'éloigne à pas de géant des autres espèces animales, et de l'espèce la plus proche de l'homme, moins heureuse que lui dans ses tentatives de domination de l'environnement naturel, avec des conséquences négatives lointaines sur le développement de son intelligence (c'est-à-dire, les chimpanzés, les gorilles). Une fois la séparation d'avec l'espèce la plus proche définitivement consommée, de l'homo habilis à l'homo sapiens et l'homo sapiens-sapiens, en passant par toutes les autres phases de l'évolution, il en vint à inventer une multitude d'outils, consolider son habitat, et enfin à se sédentariser, pour inventer l'agriculture, la cité, le langage, et entrer dans l'Histoire. En se posant davantage de questions il en vint à s'enquérir sur ses origines, et à inventer la métaphysique de ses fins dernières. De plus en plus angoissé par ce questionnement, effrayé par tout ce silence des espaces infinis au dessus de sa tête, qu'il est encore très loin de pouvoir comprendre et encore moins d'expliquer, il en vint à inventer un Être suprême, régulateur du Cosmos et de toute vie sur terre, et éviter ainsi de sombrer dans le désespoir le plus total en inventant de la sorte un Être responsable de la Création. Dés lors toute chose et toute vie sur terre ont un but dans l'existence. On invente alors le ?Paradis' l'Enfer', le « Retour cyclique » l? « Eternel retour » qui continuent d'exister en parallèle avec les certitudes (entre guillemets) des sciences physiques et expérimentales au développement vertigineux, jusqu'au moment d'une catastrophe finale, qu'elle soit atomique, naturelle ou tellurique, ou qu'elle vienne de l'espace, et c'en est fini, une fois pour toutes, de l'humanité » L'extraordinaire vieillard continua sur sa formidable lancée et toucha, sans transition, au paradoxe du temps. Tout récemment encore, des hommes avec de grandes connaissances scientifiques, je dirais polyvalentes, (vous trouverez vous-mêmes leurs noms), ont abordé le problème extrêmement complexe du paradoxe du temps, lequel paradoxe transpose en physique le dilemme du déterminisme. De Newton à Boltzmann et de Boltzmann à la mécanique quantique : comment incorporer la flèche du temps sans détruire les constructions de l'esprit humain ? Depuis les lois newtoniennes jusqu'à la mécanique quantique, une contradiction demeure entre cette physique basée sur l'équivalence entre passé et futur, et toute tentative de formulation évolutionniste affirmant une distinction essentielle entre passé et futur. La flèche du temps a été reléguée dans le domaine de la phénoménologie. Ce serait donc nous, humains, observateurs limités, qui serions responsables de la différence entre passé et futur. Cette thèse, qui réduit la flèche du temps au caractère approximatif de notre description de la matière, est encore soutenue dans la plupart des livres récents. Depuis Boltzmann, la situation a profondément changé. Le développement spectaculaire de la physique de non-équilibre et de la dynamique des systèmes dynamiques instables, associés à l'idée de chaos, nous force à réviser la notion de temps telle qu'elle est formulée depuis Galilée. » Maintenant, me lança-t-il (en me scru-tant du fond de ses yeux malicieux) une question à moins d'un denier parisis : peut-être que ce Big Bang qui accapare la pensée de plusieurs hommes de sciences depuis bon nombre d'années, cette explosion primitive qui représente le commencement ou l'origine du temps, est le commencement d'un ordre après le désordre ? L'univers constitué après le Big Bang est un ordre résultant (à travers les processus irréversibles de la flèche du temps) d'un désordre. Y aurait-il une répétition incommensurable de ces alternances entre ordre et désordre à chaque constitution d'univers n+ « - 1 ? « Une autre manière, autrement plus inventive sur l'après Big Bang, que d'aucuns lanceraient telle une bouteille égarée dans la mer des Sargasses, est de dire que la vie dans l'univers est pareille à une petite bulle de gaz perdue au dessus de l'immensité de l'océan. L'agitation à l'intérieur de cette bulle, c'est, toute proportion gardée, un dérisoire petit feu d'artifice dans l'incommensurable vide silencieux des espaces infinis du cosmos. D'où l'importance de la Relativité ; relativité de l'espèce humaine par rapport aux autres espèces animales ; relativité de la position de la terre par rapport aux autres planètes du système solaire ; insignifiance du Soleil eu égard aux milliards d'étoiles de notre galaxie? « Mais tout ceci est peu dire, pour le moins détourné, sur notre art chymique que je ne pourrais, en aucune manière, vous révéler » Après un tel discours qui m'a laissé sans voix, le vieillard me regarda une dernière fois du fond de ses yeux d'un bleu sombre, me sourit, et se tint silencieux. Quel est le secret de Nicolas Flamel, de Basil Valentin, du Philalèthe, de Fulcanelli ? Sont-ils de vaillants immortels ? C'est toute l'histoire de l'alchimie qu'il faut revoir et comprendre, non pas en simple initié, mais en véritable Adepte pour pouvoir en parler dans le langage des dignes hermétistes. L'alchimie ! Art hermétique, mystérieux, mais aussi traditionnel (parce que transmis d'Adepte en Adepte, c'est un art qui n'a pas d'histoire, donc pas d'évolution : l'art alchimique se transmet, il ne se développe pas), c'est l'aspiration la plus recherchée, la plus adulée, la plus secrète, la plus éprouvante, la plus énigmatique, la plus déconcertante, la plus décriée (par les hommes de sciences), mais la plus secrètement recherchée (voyez Newton !), la plus impossible ! Comment appréhender cet art aussi ancien que les textes sacrés ! Il ne faut jamais avoir de préjugés, de jugements hâtifs, de lectures superficielles, de présomptions de pseudo-scientifiques, quant à sa teneur en vérité dite scientifique. L'historien ou plutôt l'exégète de l'alchimie doit se munir de patience, d'imagination, de vastes connaissances, de flexibilité, de poésie même (oui, de poésie!) pour pouvoir un jour parler de cet art avec respect et considération. C'est toute la stratégie dont un écrivain ? doublé d'un poète ? doit s'armer pour aborder l'alchimie. L'alchimie traditionnelle, c'est plus qu'une métaphysique, c'est une spiritualité du devenir de l'être humain. La science, c'est le réel observé, expérimenté, décrit, expliqué, concrétisé?et de ce fait ce réel « construit » devient, ou finit par être, en fin de compte, à la portée de tous. L'alchimie, c'est le rêve dans toute son étrangeté, son énigmatique mystère de Sphinx à jamais invaincu, et tout homme est porté à rêver à l'inaccessible. Des deux (la science et l'alchimie) c'est le rêve qui l'a toujours emporté. Et le rêve, du fait même de cette inaccessibilité, est éternellement désiré. C'est « le désir désiré » ! Expression heureuse de Nicolas Flamel qui résume toute l'aspiration à l'art « chymique ». Pour clore ce tout petit voyage autour d'une figure mythique de l'alchimie, art sacré par excellence, je ne saurais mieux faire que de citer Fulcanelli (dernier grand Adepte dont la vie conserve toujours son aura de mystère, et que très rares sont les privilégiés qui en connaissent un peu le secret), et ce qu'il dit d'essentiel sur cet extraordinaire sacerdoce et sur la loi du silence qui le caractérise depuis des millénaires : « La science mystérieuse [c'est-à-dire l'alchimie] réclame beaucoup de justesse, d'exactitude, de perspicacité dans l'observation des faits, un esprit sain, logique et pondéré, une imagination vive sans exaltation, un cœur ardent et pur. Elle exige, en outre, la plus grande simplicité et l'indifférence absolue vis-à-vis des théories, des systèmes, des hypothèses que, sur la foi des livres ou la réputation de leurs auteurs, on admet généralement sans contrôle. Elle veut que ses aspirants apprennent à penser davantage avec leur cerveau, moins avec celui des autres. Elle tient, enfin, à ce qu'ils demandent la vérité de ses principes, la connaissance de sa doctrine et la pratique de ses travaux à la Nature, notre mère commune? Enfin, quand le succès aura consacré tant d'années laborieuses, quand ses désirs seront accomplis, le Sage, méprisant les vanités du monde, se rapprochera des humbles, des déshérités, de tout ce qui travaille, souffre, lutte, désespère et pleure ici-bas. Disciple anonyme et muet de la Nature éternelle, apôtre de l'éternelle Charité, il restera fidele à son vœu de silence. Dans la Science, dans le Bien, l'Adepte doit à jamais SE TAIRE » Fulcanelli « Le Mystère des Cathédrales » (Albin Michel, 1995, PP.204-205. Première édition, 1926, chez Jean Schemit, avec préface d'Eugene Canseliet.) *Universitaire et écrivain (1) Ecrivain public et grand alchimiste du Moyen-Age, (1330-1418). |
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