L'Union
européenne joue sur tous les tableaux, et ne perd jamais. Enfin, presque. Elle
vient de le prouver une fois encore dans le contentieux territorial entre le
Maroc, puissance occupante, et le Front Polisario, représentant un peuple, qui
lutte pour son indépendance. Dans son arrêt rendu mercredi, la Cour de justice
de l'Union européenne (CJUE), saisie par Bruxelles après l'invalidation de
l'accord agricole Maroc-UE de 2012, n'a fait que des contents. Le Maroc
d'abord, puissance occupant le Sahara Occidental, s'est déclaré satisfait de
l'arrêt de la CJUE, qui a confirmé l'accord, sans débouter le Front Polisario,
qui avait le 10 décembre 2015 annulé l'accord agricole et de pêche entre le
Maroc et Bruxelles. Le tribunal européen avait alors estimé que les accords agricole et de libre-échange entre Rabat et
Bruxelles étaient applicables «au territoire du royaume du Maroc», et donc cela
impliquait le Sahara Occidental. Une méprise qui a fait que la requête
d'annulation de cet accord par le Front Polisario soit examinée positivement
par le tribunal de l'UE, qui, en conséquence, invalide l'accord, le Sahara
Occidental étant un territoire non autonome. Dans la foulée, le tribunal
européen tance le Conseil (européen), qui avait failli à son obligation de
vérifier si l'accord englobe également les ressources naturelles du Sahara
Occidental. Dans son arrêt de mercredi, la CJUE rectifie le tir, et recadre
toutes les parties. Et, en même temps, valide l'accord de libre-échange de 2002
et la reconduction de l'accord agricole entre le Maroc et l'UE de 2012.
L'exercice de style de la Cour de justice de l'Union européenne est simple: l'accord agricole est validé, mais dans les limites
territoriales du Maroc, pas le Sahara Occidental. La cour annule ainsi l'arrêt
du tribunal qui avait conclu dans le sens contraire et rejette le recours en
annulation formé par le Front Polisario à l'encontre de la décision du Conseil
de conclure l'accord de libéralisation. En clair, le Polisario a réussi à faire
admettre que le Sahara Occidental doit être exclu de tout accord, économique ou
autre, entre la puissance occupante et tout autre de ses partenaires. Mais,
dans tout cet exercice académique, le droit international reste encore bafoué
par l'UE: si elle a fait appel de la première décision
du tribunal européen qui avait annulé l'accord d'association (2002) et celui
agricole de 2012, elle reste toujours silencieuse sur l'avenir de ce
territoire, occupé depuis 1975 par son ?'allié'' politique dans la région.
L'appel de Bruxelles contre la décision du tribunal européen d'invalider
l'accord agricole de 2012 est un motif d'inquiétude de plus pour tous ceux qui
travaillent, au sein de l'ONU, de l'UA et du Parlement européen, pour que le
droit des Sahraouis à un référendum d'autodétermination soit accepté par le
Maroc et enfin organisé par la MINURSO. L'arrêt de la CJUE signifie au moins
une chose: l'UE n'est pas prête à aider à un règlement pacifique du conflit au
Sahara Occidental, et ne voit que ses intérêts dans cette région de l'Afrique:
des produits agricoles à moindres coûts, du travail pour les pêcheurs andalous,
un marché potentiel aux portes de l'Europe, et, surtout, un régime inféodé prêt
à toutes les dérives autoritaires au Sahara Occidental.