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Europe: Le silence des vaincus

par Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

  Turcs et Kurdes manifestent leur colère en Europe face à la violence politique du régime d'Ankara. L'Europe ne réagit pas. Tétanisée par l'arrivée de Donald Trump au pouvoir aux USA, l'Europe est dans une impasse diplomatique et politique inquiétante.

Après le « Brexit » et l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche américaine, l'Union européenne fait face à une autre secousse politique et diplomatique à ses frontières terrestres : l'affront turc. Jeudi dernier, des milliers de Turcs et Kurdes de Turquie marchaient dans les rues de la capitale de l'UE, Bruxelles, jusqu'aux portes de ses plus hautes instances que sont le Conseil, la Parlement et la Commission européens pour dénoncer autant les dérives totalitaires du régime de M. Tayyep Erdogan que le silence et la frilosité de l'Europe. Excepté quelques rares déclarations de principes sur le respect de la démocratie et des droits de l'homme, l'Europe reste étrangement silencieuse, comme tétanisée par l'incroyable mépris du régime d'Ankara aux menaces de l'Europe et ses « rappels à l'ordre » au respect des libertés des Turcs et des principes démocratiques. Pire, au moment où le régime d'Ankara emprisonnait des milliers de Turcs de toutes catégories soupçonnés de complot contre la sécurité de l'Etat, la Commission européenne ouvrait un nouveau chapitre de négociations, celui de la convergence monétaire avec la Turquie pour son adhésion à l'UE. Sincères ou manœuvres diplomatiques, les négociations UE- Turquie pour son éventuelle adhésion à la famille européenne soulèvent des interrogations légitimes dans l'opinion publique européenne, désorientée par tant d'incohérence et d'hypocrisie diplomatique des technocrates de Bruxelles.

C'est que l'impasse politique et diplomatique dans laquelle s'est enfermée l'Europe n'est autre que le résultat de ses mauvais calculs géostratégiques depuis les bouleversements politiques intervenus dans son proche voisinage, depuis le fameux « Printemps arabe ». En Libye, Tunisie, Irak, Yémen et surtout Syrie, l'Europe s'est alignée corps et âme sur la théorie du « Grand Moyen ?Orient (GMO) pensée et mise en place par les USA depuis 1993 dont le but est d'amener les pays du Maghreb et du Moyen ?Orient dans le giron du marché économique mondial et les valeurs normatives des régimes politiques occidentaux.

Le choc ne pouvait être que violent et durable. L'Europe si fière de sa construction de la paix, de la démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et sa construction d'un dialogue d'amitié et de coopération partagée avec les pays arabes et du Maghreb s'est retrouvée dans le rôle de soldat va-t-en guerre, impliquée dans des bombardements de populations civiles en Libye, Irak, Syrie, Yémen, etc. Les conséquences et retour de boomerang ont été immédiats : flux de migrants frappant à ses portes jamais égalés depuis la fin de la dernière guerre mondiale, actes terroristes sur son sol, hostilités politiques et commerciales avec son voisin naturel qu'est la Russie, perte de crédibilité et de confiance, implosion de la solidarité intra européenne, désaffection de ses opinions publiques? C'est dans cet ouragan de violence et d'extrêmes tensions diplomatiques que l'Europe a été contrainte de signer, en mars 2016, un accord avec la Turquie d'Erdogan pour qu'il serve de barrage aux flux migratoires contre 6 milliards d'euros et la reprise des négociations pour son adhésion à l'Union européenne. Voilà l'une des raisons, sinon la principale, qui empêche l'Europe de tancer sérieusement la Turquie ou de prendre quelques mesures de rétentions politiques ou commerciales (comme c'est le cas contre la Russie) pour rester digne et constante dans sa logique de défense des libertés et droits de l'Homme. L'autre obstacle tient au fait que la Turquie est membre important dans l'Otan (fondateur) et auquel tiennent les USA dans leur stratégie au Moyen-Orient et face à la Russie de Vladimir Poutine. Ayant compris la marge de manœuvre dont il dispose dans ce jeu de « quilles » en méditerranée et au Moyen-Orient, le président turc ne se gêne pas d'agir chez lui en sultan absolu : l'Europe ne peut le déstabiliser puisqu'il lui sert de barrage contre les flux migratoires et Washington compte sur lui pour sa politique au Moyen-Orient pour conserver ses bases militaires dans la région. On comprend dès lors pourquoi le président turc s'est opposé à l'implication des Russes dans le conflit syrien en mars 2015 (affaire de l'avion russe abattu dans le ciel syrien et échange de propos musclés entre Poutine et Erdogan). Sauf qu'une nouvelle donne est intervenue depuis ces dernière semaines : l'élection de Donald Trump à la présidence américaine. Le futur président américain a annoncé sa volonté de coopérer avec la Russie pour éradiquer ensemble l'Etat islamique et tous les terroristes islamistes potentiels (El Qaïda, Al Nosra et consorts). Du coup l'axe Washington-Moscou dans le traitement de la question syrienne se met en place.

La Turquie aura un rôle à jouer dans le prochain scénario syrien. Du coup, l'Europe se trouvera immanquablement en marge de la stratégie américano-russe en Syrie et au Moyen-Orient. Sachant le rôle que jouera la Turquie dans la stratégie américano-russe en Syrie, Irak et dans tout le Moyen-Orient, l'Europe ne peut se permettre un nouvel affrontement avec Erdogan. Il n'est pas exclu que des pays européens vont, l'un après l'autre, appeler à lever les sanctions commerciales contre la Russie et à renouer le dialogue avec Moscou. C'est-à-dire revenir à la case départ et admettre que le retour à la paix en Syrie ne peut se faire sans un dialogue politique avec Moscou et le régime de Bashar El Assad. La Turquie l'a compris et se projette dans la perspective de la proche future relation USA-Russie et ne se soucie guère des déclarations des condamnations de l'Europe sur les questions des libertés et droits de l'Homme puisqu'il la tient par des accords multiples et le rôle que compte lui faire jouer la nouvelle Amérique de Donald Trump dans sa stratégie dans la région.