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Lors de la foire
internationale du livre, je rencontrais un marchand de fruits et légumes qui
avec sa tenue du vendredi, à l'allure fière, y venait faire ses courses.
C'est alors que me vint l'idée selon laquelle l'émergence d'une demande sociale appréciable n'ayant pas trouvé preneur interne, d'autres externes s'en étaient chargés. Il y a derrière le salafisme une demande de dignité qui a été refusée à une partie non négligeable de la société. Cette partie qui n'était pas prise dans la langue française, soit une bonne part des nouvelles générations que l'éducation nationale n'avait pas su prendre en compte. On accuse l'Arabie saoudite d'exporter son wahhabisme, mais on oublie de dire que pour qu'il y ait exportation, il faut qu'il y ait importation. Produire une idéologie ou une marchandise ne saurait suffire, il faut pouvoir la vendre, et pour la vendre il faut qu'il puisse y avoir un acheteur qui y trouve son profit. C'est ce qui veut dire raisonner en termes de chaînes de valeur. C'est parce qu'une frange importante de la société se considère représentative d'une demande que l'offre nationale ne prend pas en compte, qu'elle s'adresse à une offre, une idéologie étrangères pour se constituer en demande, en force sociale autonomes. Une frange particulière de la société y trouve son profit, offre étrangère et demande locale se mettent alors à « comploter » pour trouver une place dans le monde. Il n'en a pas été différemment lors de la période coloniale : une force locale et une idéologie étrangère (le socialisme stalinien ou autre, les droits de l'homme) ont « comploté » contre le colonialisme. De surcroit pour que cette demande ne soit pas négligeable non plus à un niveau mondial, elle s'agrège à d'autres demandes internationales pour constituer une demande globale de poids. Comme il en a été pour le socialisme au sein du mouvement des non-alignés. Avec le socialisme, l'histoire mondiale est demeurée une histoire de l'Europe. Tout le monde devait emprunter l'histoire de l'Europe. Il y avait un passé (le féodalisme) et un avenir (avec ses bifurcations : le socialisme ou la démocratie), c'était ceux de l'Europe. Tous les pays se retrouvaient dans la même histoire, les uns se croyaient en avance et les autres étaient dits en retard. On se rend compte aujourd'hui qu'il faut nuancer : dans cette même histoire, tout un en croisement de trajectoires particulières, qui se disputent et s'échangent les ressources [1]. Le président Hollande pouvait affirmer à l'occasion de l'ouverture du XVème Sommet de la Francophonie (Dakar, 30 novembre 2014) que « c'est en français que les peuples se sont décolonisés, en français qu'ils ont accédé à l'indépendance et à la liberté et qu'ils ont gardé le plus souvent le souvenir de cette langue-là.»[2] C'est du lexique mondial dominant, dont celui français, que les armes de l'égalité, de la fraternité, de la liberté, des droits de l'homme, du socialisme ont été puisées pour être retournées contre le colonialisme français. Aujourd'hui, l'hégémonie occidentale battue en brèche, d'autres lexiques font leur apparition [3]. Dans un texte précédent, je soutenais que l'intrusion de la France dans l'histoire algérienne ne disparaissait pas avec la fin du colonialisme, elle nous léguait de son histoire et de ses institutions. Se penser, ne consiste pas à se penser en tant que substance, essence, mais en tant qu'histoire propre, c'est-à-dire trajectoire historique, dans une histoire globale, avec d'autres trajectoires historiques, celles de l'Europe, de la Turquie, du Maroc, de l'Arabie saoudite, de l'Iran, de l'Inde, de la Chine, etc. Il y a des histoires qui prétendent à l'Histoire universelle, l'une pouvant prévaloir sur d'autres et imposer son récit. Il en fut ainsi lors des récents siècles européens. Le reste du monde s'est pensé dans l'histoire dominante du monde, dans ses idéologies. On s'étonne que le socialisme se soit appliqué ailleurs qu'en son berceau, mais il a été le point d'appui disponible, à l'intérieur de la domination européenne, et nécessaire aux nations soumises pour se différencier de l'Europe. Une division interne à l'Europe autour de la monarchie et de la féodalité qui a préfiguré l'avenir de l'Europe, a donné une partition réussie du monde avec les Etats-Unis d'Amérique, une autre qui autour du capitalisme impérialiste entre socialisme et libéralisme sur laquelle se sont appuyées des nations soumises pour se rebeller, s'est transformée en division externe mais s'est dégonflée en moins d'un siècle pour laisser ré-émerger d'anciennes divisions internationales d'avant la domination occidentale. Dans cette transition européo-centrée, certains y ont détruit leurs ressources propres, d'autres y ont puisé des ressources pour valoriser les leurs propres. Il reste que même pour les premiers, l'Afrique en tête, il est question de se recentrer sur sa propre histoire [4]. Il nous faudra bien comprendre un jour que notre refus d'autonomiser la demande sociale est justifiée par une démarche stato-centrée (autour de l'Etat) que nous avons héritée de l'Etat gaulliste, impérial et monarchique français. Dans l'esprit français la place de l'Etat n'a nul équivalent ailleurs. L'Etat français correspond à une demande sociale, à des dispositions sociales françaises forgées par l'histoire, à un rapport de la société à ses élites. Il ne peut être détaché de la société française. Il faut accepter la demande sociale comme une force, c'est cette demande qui a conduit à la révolution. Informée du monde par une élite qu'elle a pu suivre. Aujourd'hui qu'il faille que la fiscalité ordinaire finance l'Etat, une place doit être redonnée à l'épargne et l'investissement « privés ». La demande sociale devient incontournable. Depuis Keynes, l'on sait que l'offre et la demande ont chacune leurs déterminants. L'on pensait avant lui que l'offre déterminait la demande. J. B. Say, Adam Smith et d'autres classiques évacuait le fait que cette offre était imposée par la force, par la faim. Ce que comprend bien l'expression conquêtes des marchés. Il reste que si l'offre cherche toujours à déterminer la demande, des demandes sociales se forment et ne s'abandonnent plus ou ne correspondent pas toujours aux offres. Nous rentrons dans une période historique où la non prise en compte de la demande sociale peut conduire à des évènements plus importants que celui de Trump aux Etats-Unis arrivant à la maison blanche. Nous venons d'apprendre que Trump sera le prochain président des Etats-Unis d'Amérique. Il y a là la preuve d'un déni de réalité par les médias occidentaux. Comme dans le cas du Brexit. Il y a là un exemple d'une offre et d'une demande politiques qui ne se recouvrent pas. Une offre des médias occidentaux aux mains des grands groupes mondiaux et une demande sociale probablement prise en compte par l'administration américaine qui pourrait se demander qui de Clinton ou Trump pourrait le mieux contribuer à isoler la Chine, régler les problèmes du Moyen-Orient et de la Russie. Nous pouvons aussi nous référer à notre propre histoire. Il faut renoncer à l'asymétrie de pouvoir entre l'Etat et la société, entre l'offre et la demande, il faut permettre leur interaction féconde. Aux Etats-Unis, les élections ont probablement mis en jeu la puissance militaire, les grands groupes et leurs élites, la société américaine, ses groupes ethniques et son rapport à ses élites. Les élections ayant traduit un rapport de forces entre les différentes composantes de la société américaine à un moment donné, celle-ci n'en continuera pas moins d'évoluer et ses composantes d'en tenir compte. Note [1] On parle aujourd'hui d'histoire connectée, globale. On ne peut séparer les histoires mais on doit reconnaître leur singularité. [2] http://www.ambafrance-co.org/XVeme-Sommet-de-la-Francophonie-La [3] Voir François Burgat qui dans « Comprendre l'islam politique. Une trajectoire de recherche sur l'altérité islamiste, 1973-2016 », aux éditions La Découverte, parle de lexique musulman. [4] Voir http://afrique.lepoint.fr/culture/felwine-sarr-et-achille-mbembe-presentent-les-ateliers-de-la-pensee-25-10-2016-2078581_2256.php |
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