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Alertée
par la réponse violente et massive du gouvernement turc à la tentative de coup
d'Etat de vendredi dernier, l'UE a réuni, lundi à Bruxelles, en urgence ses
ministres des Affaires étrangères pour avertir Recep Tayyip Erdogan d'une tentation
totalitaire.
L'Union européenne a convoqué, lundi en urgence, un Conseil de ses ministres des Affaires étrangères pour l'examen de la situation en Turquie suite à la tentative de putsch avortée de vendredi dernier et plus précisément de la réaction du gouvernement turc marquée par une violence policière inquiétante et une purge dans les institutions les plus emblématiques telles celles de la justice et de la haute administration de l'Etat. Si les Etats européens autant que la Communauté internationale ont condamné la tentative de coup d'Etat, ils mettent en garde le président Tayyip Erdogan contre la tentation d'installer un état de terreur dans le pays. Toute la question est de mesurer la réelle portée des avertissements de l'UE sur le pouvoir turc. Tayyip Erdogan n'ignore pas la perte de crédibilité politique de l'UE dans le domaine des affaires étrangères et les divisions entre ses propres membres sur bien de questions géostratégiques. Dans ce jeu de bataille diplomatique, le président turc dispose, croit-il, de deux atouts non négligeables qui lui permettent de donner le change aux Européens sans craindre de conséquences importantes pour son pays: l'appui des USA et le rôle de barrage aux flux migratoires des réfugiés de guerre en Syrie, Irak, Afghanistan et ailleurs. Faut-il rappeler que la Turquie attend la réponse de l'UE sur l'accord de mars dernier lui attribuant le rôle de garde-frontières de l'UE des flux migratoires des réfugiés de guerre contre une exemption de visa pour les Turcs voyageant en Europe? Tayyip Erdogan sait très bien que l'exemption de visa de voyage pour ses concitoyens n'aboutira pas pour la simple raison qu'il faut l'unanimité des Etats de l'UE -gouvernements, Parlements nationaux et Parlement européen- pour un tel accord et que des pays comme la France et les pays de l'Est européens ont déjà manifesté leur refus. Reste la question syrienne et la Turquie est consciente, là aussi, que sa solution dépend des Russes et Américains avant et après tout. L'Europe, en particulier les pays meneurs de la guerre en Syrie que sont la France et la Grande-Bretagne, sont confinés, au plan géostratégique, dans des rôles d'exécutants de la logique américano-russe dans tout le Poche et Moyen- Orient. Ainsi, de par sa proximité avec les USA, sa place dans l'Otan et la mise à disposition de sa base de Incirlik (sud-est de la Turquie) pour les forces aériennes de la coalition, Tayyip Erdogan a des arguments pour ignorer les avertissements de l'UE. La seule vraie contrainte dont dispose l'UE face à la Turquie demeure d'ordre économique. En cas de violation massive des droits humains et de dérives dictatoriales du président turc, l'UE peut toujours brandir des sanctions commerciales et économiques, voire suspendre l'accord douanier de libre-échange conclu en 1963. Mais le peut-elle vraiment alors qu'elle peine à parer aux conséquences de mesures similaires avec la Russie? Le peut-elle alors qu'elle vit déjà les suites du «Brexit»? Le peut-elle sans craindre la fermeture du marché turc aux Européens? Dans une crise ouverte entre l'UE et la Turquie, l'Europe a plus à perdre que la Turquie. Et puis, le gouvernement turc peut toujours évoquer une situation exceptionnelle pour son pays marqué par la recrudescence des attentats terroristes pour justifier d'un ordre policier exceptionnel. Après tout, les Européens eux-mêmes n'ont-ils pas innové dans des mesures sécuritaires exceptionnelles sans égard pour les libertés collectives et individuelles de leurs concitoyens ? N'ont-ils pas érigé des barbelés à leurs frontières et abandonné à la détresse des milliers de migrants en pleine mer pour oser donner des leçons d'humanisme et de droits humains aux autres? Puisque l'UE elle-même viole souvent les droits humains, surtout ceux des autres, pourquoi la Turquie se ferait une conscience des condamnations de l'UE? La réunion des ministres des Affaires étrangères -qui se poursuit alors que nous mettons sous presse- sera sans aucun doute sanctionnée par une déclaration de principe qui appellera le gouvernement turc au respect de l'ordre constitutionnel et des libertés démocratiques dans son pays. Combien d'appels dans ce sens ont été lancés par l'UE pour divers pays accusés d'atteinte aux principes démocratiques sans qu'ils aient de réelles portées? Et puis, l'UE n'est-elle pas en guerre en Syrie et contre le terrorisme international pour se permettre de se mettre à dos l'importance d'un pays comme la Turquie? A vrai dire, le président Tayyip Erdogan ne craint aucune conséquence de l'UE susceptible de déstabiliser son pouvoir. Il a la majorité de son peuple derrière lui, chez lui, et cela lui suffit de mener sa barque comme il l'entend. La démocratie en Turquie dépendra toujours de la seule volonté des Turcs. |
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