Bien
malin celui qui pourrait donner un taux exact du chômage en Algérie, ou cerner
avec précision les perspectives du marché de l'emploi, pour les prochaines
années. Le langage chiffré, optimiste, donné par les pouvoirs publics, qui
parle d'un taux de chômage à hauteur de 11,?, accueilli presque
systématiquement avec scepticisme par les experts, hors circuit officiel, qui
soutiennent que les chiffres du chômage ne collent pas à la réalité, ajoute
encore plus de flottement aux statistiques. Les experts, dans leur calcul
rigoureux, basé sur des formules utilisées, de par le monde, reprochent aux
autorités de ne pas prendre en considération les primo demandeurs d'emploi et
de considérer celui qui a travaillé une seule journée, tout au long de l'année
comme non chômeur, ainsi que les travailleurs recrutés dans le cadre du filet social
et du pré-emploi, alors que ces derniers n'occupent pas des postes d'emplois
comme le veut la signification de ce terme. Mais, ces mêmes autorités ne se
laissant pas intimider par les détracteurs de ses statistiques, vont plus loin,
affirmant qu'il n'y a pas de chômage, du tout, en Algérie. Nous avons seulement
des « chômeurs de luxe », selon une réplique du ministre du Travail. Ce dernier
n'a pas manqué de relever que nous avons plus d'un million de postes de travail
vacants dans les secteurs du BTPH et l'Agriculture. Si tous les chômeurs
acceptaient de travailler, dans les chantiers et les champs des agriculteurs on
réduirait, plus encore, le taux de chômage. Mais, le ministre ne s'est pas
aventuré à expliquer cette répulsion de la main-d'œuvre, particulièrement
vis-à-vis des deux domaines signalés. Les Algériens sont-ils fainéants pour
refuser d'occuper ce million de postes d'emplois et rester pourrir dans les
affres du chômage, doit-on comprendre ? Les Algériens sont-ils, tous, à la
recherche d'un poste de gardien ou de chauffeur, comme l'a laissé entendre le
même ministre, ainsi que d'autres responsables, à tous les niveaux, qui font,
désormais, circuler ce cliché comportemental de l'Algérien. Cela est bien vrai,
l'Ansej, l'Angem et la Cnac, des formules créées, du reste, par les pouvoirs
publics, eux-mêmes, pour absorber la colère des jeunes, ou acheter la paix
sociale, ont eu des effets catastrophiques sur le comportement des demandeurs
d'emplois. Difficile de convaincre un jeune d'aller bosser sur un chantier
quand d'autres rentrent par une porte et ressortent par une autre avec, entre
les mains, un chèque de plusieurs zéros à droite. Une grande déception pour les
entrepreneurs qui, oubliant que des jeunes sont devenus chefs d'entreprises et
que des milliers de postes d'emplois ont été créés dans ce cadre, n'arrêtent
pas de maudire l'Ansej. S'il n'y avait pas cet Ansej, les jeunes viendraient travailler sans rechigner,
sans regarder ou exiger un haut salaire. En fait, c'est ce que regrettent les
entrepreneurs, ils ne peuvent plus exploiter les travailleurs contre des
salaires de misère. On prend des projets de plusieurs milliards, et on veut
tout garder pour soi. Voilà l'esprit de la lettre de tout entrepreneur algérien
qui se respecte. Et, voilà pourquoi les chantiers n'arrivent plus à trouver la
main-d'œuvre nécessaire pour mener à bien les projets. Le salaire dérisoire sur
les chantiers crée une réaction automatique de répulsion chez les demandeurs
d'emplois. Ce n'est, donc, pas par fainéantise qu'on répugne à aller travailler
dans un chantier ou dans les champs de patates, c'est parce que la paie ne
colle pas à la sueur dépensée. Bravant tous les périls de la ?harga', ces mêmes Algériens iront exercer, sous d'autres
cieux, tous les boulots qui leur tombent sous la main, parce que bien
rémunérés. Alors que ceux qui restent chez eux, préfèrent travailler en ?free lance', dans ce climat économique gangrené par
l'informel. C'est mieux payé que sur un chantier. Le maçon trouve son compte
lorsqu'il travaille en électron libre, empochant, directement, le fruit de son
travail. Tout comme le plombier ?free lance', qui
travaille pour son compte, avec tout juste un numéro de téléphone inscrit chez
le commerce de quincaillerie du coin, et qui gagne 20 fois le salaire qu'on lui
donnerait sur un chantier ! Voilà toute la différence. Voilà un réel comment
façonne-t-on un chômeur de luxe.