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La Sardine prend le large

par M. Boukhalfa

La sardine porte des moustaches. C'est aujourd'hui un fait établi. Les Algérois, pour montrer leur profonde connaissance des mystères de la mer, usaient à l'envie de cette rhétorique: ?'la sardine prend un bain de soleil à Kaa Essour'', une petite plage en contrebas de l'ancien Bastion 23, près de l'Amirauté. Cet ?'amusement'' des Algérois est aujourd'hui une cruelle vérité, la sardine a, de nos temps de disette en protéines animales, vraiment pris du galon, et se moque de tout le monde, y compris les malheureux pêcheurs qui la guettent dès la tombée du jour, au lamparo ou aux gros projecteurs. Les prix actuels de Sardina pilchardus ont pris des allures de folie, une tendance vraiment démente, puisque le kg de ce petit poisson qui a de rares ressemblances avec cette belle sardine d'autrefois, se négocie au-delà des 600 DA. Quelle belle revanche sur le coup du sort, et voilà que l'anchois, rare et introuvable, prend des allures de beau poisson, très apprécié, et dorénavant l'apanage des fortunés. Poisson du pauvre, la sardine ne l'est plus. A force de surpêche, les stocks se sont-ils amenuisés ? Que les sardiniers ne ramènent pas assez ? Ou tout simplement que la filière est tellement désorganisée, livrée aux pires turpitudes du métier, livrée à elle-même, que le poisson, a fortiori la sardine, est vendu à des prix ahurissants. Pour ne pas dire prohibitifs. Il y a presque une année, un journaliste a fait une virée au petit marché aux poissons de La Madrague, à Aïn Benian, connu pour ses prix élevés, et revient avec un reportage où il détaille les prix de ?'la marée'' du 1er jour du ramadhan. Le reportage en question n'a pas plu à certains. D'après eux, parler de la hausse des prix du poisson ?'incite les consommateurs'' que nous sommes à ne pas acheter. ?'Vous faites peur aux consommateurs, ils ne vont pas acheter du poisson'', a-t-on dit sur un ton sérieux. Au lieu de régler ce problème du prix de la sardine, qui se vend plus chère que ?'les gros yeux'' et plusieurs variétés de poisson bleu, dont la bogue, la saurel (chinchard, essaourine), ou la saupe (chelba), et même maintenant le poulpe, ou la sépia, les responsables du secteur prennent un bain de soleil à Kaa Essour, le temps que l'hiver de la ?'royan'' arrive. Dans l'intervalle, bien des habitudes culinaires, biens des traditions marines, bien des coutumes sociales, bien des métiers de la pêche vont disparaître, comme est en train de s'estomper cette chaleur et cette convivialité que procure la dégustation d'une sardine grillée, ou d'un tadjine ?'hout'', naguère pas plus cher que 4 sous. Comme pour les autres secteurs, la pêche est en pleine dérive. ?'Le naufrage de la sardine algérienne'', quel beau titre d'un roman à la Hemingway. Le seul problème, c'est que, hélas, chez nous, c'est vrai. Et ce ne sont pas les ?'frères de la côte'', d'El Kala aux rives de Marsat Ben M'hidi (Port Say), qui diront le contraire !