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Emprunt national: Des interrogations malgré les assurances du ministre

par Ghania Oukazi

Le lancement officiel de l'opération de l'emprunt national a été fait, mardi, par le ministre des Finances mais a laissé planer de grands doutes sur son efficience.

Abderrahmane Benkhalfa a lu son discours d'inauguration de l'opération en question, au milieu d'un vacarme insolent. Il faut dire que la salle de la résidence d'Etat ?El Mithak' débordait de monde de statuts divers mais gravitant en général autour de la sphère économique et financière nationale et même internationale. C'est le cas entre autres, de Rachid Sekkak, consultant international, mais ancien cadre de la Banque d'Algérie, notamment dans les années les plus sombres de l'Algérie où elle négociait, quotidiennement, sa survie sous les affres du terrorisme et recevait les pires instructions du FMI, à travers la décision de rééchelonnement de sa dette et sa conditionnalité l'ajustement structurel (PAS). «C'est un retour à l'épargne publique, ce qui n'a pas été le cas depuis de nombreuses années, en raison de l'abondance des ressources financières grâce à la fiscalité pétrolière,» nous a-t-il dit. Sekkak pense même que «les conditions de la confiance pour réussir cette opération d'emprunt national, sont déjà remplies puisque cet argent va renflouer le budget d'équipement et financer des projets structurants et non le budget de fonctionnement.» En précisant que «ce n'est pas une entreprise ou une banque qui emprunte mais c'est l'Etat,» le spécialiste dans la finance estime alors, que «l'opération est bien calibrée en terme de durée et de rendement, elle n'a pas d'équivalent sur le marché financier.» Dans son intervention, Sekkak glissera pourtant un élément qui a, quelque peu, étonné plus d'un. Il a souligné que «les banques qui sont chargées de collecter cette épargne, recevront de l'Etat une commission de 1%.» Lui-même estime que «c'est énorme !» Le président de la CIPA, Abdelaziz M'Henni lui emprunte le mot et rétorque que «les banques publiques recevront ainsi, le plus gros pactole, elles ne pourront pas dire qu'elles travaillent pour rien.»

L'assurance de Benkhalfa

L'emprunt national est défini, politiquement, comme étant «une opération pour la croissance économique», et se fera par «des titres qui se présentent sous deux formes de maturité de 3 ans et de 5 ans, et en coupures de 50.000 DA, chacune.» Ces titres peuvent être nominatifs ou aux porteurs au choix du souscripteur. Leur rendement annuel est pour les 5 ans de 5,75% et les 3 ans de 5% «en exonération d'impôts.»

Le gouvernement explique que «l'emprunt national pour la croissance économique, permet d'investir son épargne disponible dans le développement de l'économie nationale.»

L'offre est alléchante. Mais ce qui pose problème selon les hommes d'affaires «c'est que toutes les épargnes à des taux moins importants que ceux accolés à l'emprunt national, seront retirées pour être empruntées à l'Etat, ce qui va provoquer un déséquilibre flagrant entre les établissements financiers qui risquent d'emporter les plus vulnérables.» Et lâchent-ils en outre, probablement par habitude que «cet emprunt ne réussira pas parce qu'il y a une crise de confiance entre l'Etat et les animateurs de la sphère économique.»

Le ministre des Finances a, pourtant, noté «que tout le monde soit rassuré, nous ferons tout ce qui sera en notre possible pour orienter chaque dinar collecté dans le cadre de cet emprunt, vers des investissements économiques soit de caractère structurant comme les ports, les chemins de fer, les zones d'activités industrielles, le logement participatif ou les réseaux d'irrigation agricole (?) ou alors vers tout ce qui est développement des entreprises, activant dans l'ensemble des domaines industriels et économiques.»

Emprunt contre bancarisation de l'argent informel

Première interrogation cependant, d'opérateurs économiques, «qui nous garantit que cet argent sera, effectivement, utilisé pour le financement de projets structurants ?» Et autre, «pourquoi les pouvoirs publics ne déclarent-ils pas le montant dont l'économie nationale a besoin, réellement, pour créer de la croissance et l'emploi ?» Pour nos interlocuteurs «les gouvernants ne savent même pas évaluer les besoins du pays en matière de finances, ils sont coincés, alors le plus facile pour eux, est de lancer un emprunt national.» Tous affirment que «cet emprunt est décidé parce que le gouvernement n'a pas réussi à convaincre les acteurs de l'économie informelle d'accepter la bancarisation de leurs énormes gains qui échappent, totalement à l'Etat.» Ce n'est pas ce que pense le ministre des Finances. «Ce sont deux opérations différentes, la bancarisation de l'argent informel est fiscalisée mais l'emprunt non,» nous a-t-il précisé, à la fin de la cérémonie de lancement de l'emprunt national. Benkhalfa est même satisfait des résultats de cet appel qui a permis à l'Etat d'engranger, comme déjà annoncé, 130 milliards de DA par 250 opérations bancaires. Il était prévu d'engranger 3.700 milliards de DA soit 40 milliards de dollars? Dans 9 mois, l'appel ne sera plus de mise parce que le gouvernement lui a fixé une limite dans le temps. «Personne n'attendra d'ici-là, au lieu de faire bancariser l'argent pour que l'Etat l'impose 7%, mieux vaut pour les commerçants et pour tout le monde de lui prêter l'argent et gagner jusqu'à 5,75%, le choix est vite fait,» nous dit un importateur. Ainsi, l'objectif visé par le gouvernement ne serait-il pas justement de cet ordre. «Ce qu'il n'a pas pu avoir par le biais de la bancarisation de l'argent informel, il compte l'avoir par l'emprunt national, l'essentiel pour lui est de ramasser l'argent et renflouer sa trésorerie,» explique un consultant.

Les thèses de la finance islamique

Le gouvernement a, faut-il le souligner, pris ses précautions pour que l'opération de l'emprunt national qu'il lance, ne tombe pas sous le coup de ?fatwas' religieuses qui interdisent les intérêts. «Les obligations émises, dans ce cadre génèrent des profits corrélés au rendement des projets économiques à financer,» affirme le ministère des Finances. Les gains que pourra générer cet emprunt à ses souscripteurs, ne seront donc pas assurés en intérêts mais se conformeront aux thèses de la finance islamique qui place le client-épargnant comme partenaire dans la réalisation de projets économiques en principe rentables. «Vous êtes tous concernés, quel que soit votre profil socioprofessionnel, devenez un partenaire de l'Etat et un acteur direct du développement économique,» disent les fiches publicitaires du ministère des Finances.

«Les montants de gains seront payables, annuellement, à partir de la première date d'anniversaire de jouissance des titres,» est-il promis. «Les titres de l'emprunt national pour la croissance économique sont librement négociables et peuvent être notamment achetés et/ou cédés à des personnes physiques ou morales soit par voie de transaction directe, soit endossement par le biais d'intermédiaire légalement habilité. Ils sont donnés en nantissement de tout crédit bancaire,» lit-on encore.

Les souscriptions peuvent se faire, dès ce dimanche 17 avril, date d'ouverture officielle de l'opération, auprès des caisses de la trésorerie centrale, principale, de wilaya, les recettes d'Algérie Poste ainsi que les 18 agences bancaires et succursales de la Banque d'Algérie.

Les hommes d'affaires relèvent que les banques étrangères privées de droit algérien ne sont pas citées, dans cette liste. «Elles sont donc exclues de l'opération,» lâche un d'entre eux qui estime que «ce n'est pas normal.» Il est noté, par le ministère des Finances que «la période maximum de souscription de l'emprunt est de 6 mois et la date de sa clôture est portée à l'attention du public.»