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Grâce
à l'appui russe, le chef d'Etat syrien a repris Palmyre et organise des
élections le 13 avril
Le dimanche 27 mars, le gouvernement syrien a annoncé la reprise de la ville de Palmyre, contrôlée par Daesh depuis mai 2015, et qui a vu une partie de son patrimoine archéologique irremplaçable violemment mis à mal par l'EI, à l'indignation de l'ensemble de la planète. Le même jour, la Syrie connaissait son deuxième mois de trêve. Un cessez-le-feu globalement respecté entre les forces de l'opposition et le gouvernement de Bachar al-Assad mais cette trêve ne concernait pas Daesh, le Front al-Nosra (branche syrienne d'Al-Qaïda) et d'autres groupes reconnus comme terroristes par le Conseil de sécurité de l'Onu. Après la prise de ville de Palmyre qui s'est faite à la grande surprise de la coalition occidentale, l'armée syrienne s'est emparée le 3 avril de la ville d'Al-Qaryatayn, l'un des derniers fiefs de l'État islamique dans le centre du pays. Avec la perte d'Al-Qaryatayn, le groupe Etat islamique ne dispose plus d'aucune présence significative dans le centre de la Syrie. Cette ville qui était habitée par une importante minorité chrétienne, servait d'avant-poste pour le désert syrien et de nœud de ravitaillement pour le foyer djihadiste implanté à la frontière libano-syrienne. La reconquête d'Al-Qaryatayn permettra à l'armée syrienne d'avancer dans le désert syrien qui s'étend jusqu'aux frontières irakiennes à l'est et jordaniennes au sud-est. Les troupes pro-Bachar ont reçu un important soutien de l'aviation et des commandos russes. A la stupéfaction générale, Vladimir Poutine avait annoncé, le 14 mars, le retrait de la majeure partie des troupes russes stationnées en Syrie. L'annonce relevait en fait plus d'une stratégie de communication diplomatique que d'une inversion de la politique russe au Moyen-Orient : la Russie ne se retire pas du conflit syrien. L'appui militaire qu'elle a apporté aux forces de Bachar al-Assad pour la reconquête de Palmyre en sont une preuve supplémentaire. «Les capacités militaires russes sont importantes. Les Russes avaient déjà démontré en Crimée l'efficacité des forces spéciales, des troupes aéroportées et l'avancée de l'effort de modernisation. Désormais, ils certifient, à travers l'opération syrienne, la précision de leur matériel militaire et l'intelligence de leur tactique de combat qui consistait à frapper la chaîne logistique de l'Etat islamique et des troupes d'Al-Nosra », explique Philippe Migault de l'institut Iris. Il s'agit de la victoire la plus importante du régime face à l'EI depuis l'intervention fin septembre 2015 dans le conflit de la Russie, allié indéfectible du régime Assad. La perte de Palmyre est la deuxième grande défaite de l'EI en Syrie après celle enregistrée en janvier 2015 à Kobané. Dans cette ville kurde du Nord, les djihadistes avaient été chassés par les forces kurdes appuyées par l'aviation de la coalition menée par Washington. Offensive militaire et politique de Bachar Cette reprise de la ville de Palmyre restera un moment-clé du conflit syrien. Pour Bachar al-Assad, dans une de ses nombreuses interviews dans la presse de ces derniers jours, cette offensive contre Daesh résonne comme une victoire symbolique : « Nous vivons la joie de retrouver la ville de Palmyre qui représente un héritage de l'Humanité pour le monde entier », le patrimoine archéologique de la ville ayant en effet connu de lourdes exactions de Daesh et « nous sommes convaincus qu'en plus de la détermination de l'armée syrienne à la récupérer, la Russie a joué un rôle essentiel ainsi que l'Iran et les autres forces qui combattent aux côtés de la Syrie ». Pour Bachar, cette victoire annonce un retrait rapide de Daesh de Syrie : « Il est évident qu'après la libération de Palmyre nous devons nous diriger vers des régions voisines menant vers l'Est, comme la ville de Deir al-Zor, et commencer, en même temps, à travailler en direction de la ville de Raqqa, actuellement le principal bastion des terroristes de Daesh », annonce-t-il. Cette prédiction d'une défaite majeure de Daesh en Syrie et d'une reprise en main de la situation par Bachar se réalisera-t-elle ? Pas en tous cas sans que ce dernier ait surmonté un grand nombre de difficultés. Le chef d'état syrien reste personae non grata pour les puissances occidentales qui interviennent militairement en Syrie depuis trois ans. C'était l'homme à abattre, son départ étant présenté comme le préalable à toute discussion de normalisation du pays? « Ni Bachar, ni Daesh », théorisé par Laurent Fabius, était la ligne commune de tous les pays de la coalition militaire menée par les Etats-Unis. Mais ce dernier pays semble infléchir sa position. Barak Obama n'est rentré qu'à contrecœur dans ce nouveau conflit, craignant que les Etats-Unis s'enlisent à nouveau dans une guerre sans fin, comme en Afghanistan et dans une démonstration militaire d'exception mais sans résultats probants comme la très violente offensive de Georges Bush en Irak. De plus, la Maison-Blanche s'est vite rendue compte que le conflit s'internalisait rapidement et sans contrôle de sa part. Non seulement, dès septembre 2015, l'intervention russe a modifié profondément les rapports de force, confortant largement Bachar al-Assad mais la Turquie est intervenue militairement avec l'objectif essentiel d'affaiblir la mouvance kurde, partie prenante du conflit en Syrie. Et l'Arabie saoudite et l'Iran cherchent chacun, par conflit interposé, à renforcer leur influence dans la grande région. Dans ce contexte infiniment troublé, Bachar al-Assad a échappé de peu à la destitution par une longue épreuve armée avec ses diverses oppositions intérieures. En oubliant que sa politique est largement à l'origine de la guerre civile et en recentrant récemment son combat contre Daesh, il estime avoir reconstruit aujourd'hui un pacte solide d'alliance « anti-terroriste » qui lui permet de s'émanciper de la tutelle occidentale, coupable selon lui, de soutien à l'Etat islamique : « Le terrorisme est le véritable problème et nous devons le combattre au niveau international, car ce phénomène ne concerne pas seulement la Syrie. Il existe aussi en Irak, il est directement soutenu par la Turquie, par la famille royale au pouvoir en Arabie saoudite, ainsi que par certains pays occidentaux - notamment la France et la Grande-Bretagne » ! Un conflit aux multiples « chacun pour soi » L'accusation est rude. Elle n'est pas très réaliste mais elle souligne les ambiguïtés des différentes parties de la coalition de 22 pays (dont la Turquie, l'Arabie saoudite, la Jordanie, les Emirats unis?) menée par les Etats-Unis. Bachar al-Assad, dans une longue interview donnée au média russe Sputnik s'en prend vivement à la Turquie et à l'Arabie saoudite : « La Turquie, en premier lieu, et l'Arabie saoudite ont dépassé toutes les lignes rouges dès les premières semaines ou les premiers mois de la guerre contre la Syrie. Depuis le début, toutes leurs actions sont à considérer comme des agressions ; agression politique, agression militaire en soutenant et en armant les terroristes, agression directe par bombardements ou intrusions militaires. Depuis le début, Erdogan soutient directement les terroristes en les autorisant à se déplacer à l'intérieur du territoire turc pour mener des manœuvres individuelles ou bombarder le territoire syrien ; les finance en leur faisant parvenir les capitaux saoudiens et qataris ; fait commerce du pétrole volé par Daech »? Il est vrai qu'à travers ce conflit, toutes les parties défendent leurs propres intérêts et dans cette région la question pétrolière n'est jamais très éloignée. Les critiques vis-à-vis des Etats-Unis sont infiniment plus voilées tout comme restent prudentes les remarques de Bachar sur les négociations de Genève impulsées par l'ONU et qui reprennent le 10 avril, entre le pouvoir syrien, son opposition (hors Daesh et le groupe Al-Nosra), avec en arrière-plan les puissances étrangères intervenant militairement sur son sol. Fort de ses réussites militaires sur le terrain, Bachar al-Assad prend néanmoins ses distances avec les recommandations de l'ONU qui prône l'instauration d'une « période de transition » et l'institution d'un gouvernement d'Union nationale où, jusqu'à présent, serait de fait exclu Bachar lui-même. Un difficile gouvernement « d'union nationale » Toutefois, le dirigeant alaouite n'exclut plus un gouvernement d'union nationale qui inclurait l'opposition mais dont il serait l'artisan central. « C'est justement l'objectif du dialogue inter-syrien de Genève, dans le cadre duquel nous allons convenir du format de ce gouvernement. Bien sûr, nous n'avons pas encore élaboré la notion définitive car d'autres parties syriennes n'ont pas encore accepté ce principe », explique-t-il. Mais Bachar fixe rapidement dans la même interview à Sputnik sa propre conception de « l'union nationale » qui s'apparente plutôt à un simple ralliement des groupes armés de l'opposition : « Le principe général est que nous sommes prêts à intégrer tout combattant [illégitimement] armé qui dépose ses armes dans l'intention de revenir vers la normalité et d'arrêter l'effusion du sang syrien ». A l'offensive sur le plan militaire, Bachar al-Assad l'est également sur le plan de la politique intérieure. Le dirigeant syrien a lancé des élections législatives qui se dérouleront le 13 avril. Le président a salué le nombre «inédit» de candidats (plus de 11.000 dont beaucoup proches du pouvoir) pour ces élections qui sont dénoncées comme «illégitimes» par les opposants de l'intérieur comme de l'extérieur et par les pays occidentaux. Bachar est plus prudent sur des élections présidentielles anticipées mais il n'écarte pas évidemment d'être candidat pour l'élection du président d'un Etat qu'il se refuse d'envisager comme fédéral (une revendication notamment des Kurdes). Mais, selon lui, tout cela demande en préalable une réforme constitutionnelle que John Kerry avait exigée au nom des Etats-Unis, d'ici août 2016. Là, pas de problème, les équipes constitutionnalistes de Bachar ont travaillé et sont prêtes à présenter leur version dans le délai imparti. S'il réussissait à reprendre un certain leadership sur la Syrie, Bachar prendrait le contrôle d'un pays ruiné dont la moitié de la population est déplacée et dont il estime l'ensemble des pertes à plus 200.000 milliards de dollars. Difficile, d'autant que Daesh a été affaibli mais pas vaincu. L'Etat islamique conserve une importante force de nuisance dans la région et à l'extérieur, notamment en Libye, et dans le reste du monde, via des attentats ciblés, comme ce fut le cas récemment à Bruxelles. Les pays européens, limitrophes du Proche-Orient sont obnubilés par deux problèmes majeurs. Le flot des réfugiés nourrit une crainte irrationnelle qui favorise la montée d'une extrême-droite européenne. Angoisse fantasmatique, à l'évidence : selon l'ONG anglaise Oxfam, les pays riches n'ont réinstallé, c'est-à-dire, donné le titre de réfugiés qu'à 1,39% des Syriens qui ont fui leur pays. Après Madrid en 2004 (191 morts), Londres en 2005, Paris en 2015, ça était au tour de Bruxelles, la «capitale» de l'Europe, d'être touchée par des attaques terroristes. Mais les Etats européens ne savent toujours pas comment répondre à ces agressions soigneusement montées. Les bisbilles parlementaires françaises qui ont invalidé la proposition de François Hollande de déchéance de la nationalité pour les terroristes français et la mise à mal de l'état d'urgence est en un bel exemple. Enfin, Daesh garde sa capacité « d'exportation du djihadisme » ; « face à leurs défaites à Raqa et à Palmyre, il devient prévisible que les états-majors de l'EI vont devoir se replier sur le continent africain -leur profondeur de champ stratégique- et en premier lieu sur leurs bases arrières libyennes (?), de toute évidence la Syrie devrait perdre son statut d'épicentre du séisme de la troisième guerre du mondialisme en cours au profit de la Libye, de la Tunisie, voire peut-être de l'Algérie », précise le politologue Michel Lhomme. |
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