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Soupçonné de corruption, vilipendé: Chakib Khelil est rentré en Algérie

par Mahdi Boukhalfa

C'est, peut-être, l'un des dossiers politico-judiciaires les plus controversés de ces 20 dernières années.

L'ex-ministre de l'Energie et des  Mines Chakib Khelil, qui a quitté le pays, en mars 2013, laissant, derrière lui, deux affaires de corruption impliquant le groupe pétrolier Sonatrach, et, surtout, objet de vives accusations de corruption, est rentré, jeudi, en Algérie.

A l'aéroport d'Es Senia, il a été accueilli, officiellement, par le Wali, M. Abdelghani Zaalane. Le retour au pays de Chakib Khelil, avait été, déjà, annoncé dans ces mêmes colonnes, la semaine dernière. Suscitant, dans la foulée, des réactions diverses dont le dénominateur commun reste de profonds questionnements, politiques, sur ce retour d'un homme, qui aurait été lâché par le pouvoir, avant les élections présidentielles de 2014, puis, apparemment, réhabilité, comme le réclamait le chef du FLN, Amar Saadani. Samedi dernier à Zeralda, celui-ci avait déclaré, devant ses militants que « Chakib Khelil doit être réhabilité » comme les cadres, injustement, accusés de corruption, dans les années 1990 et la plupart emprisonnés. Dans une déclaration à chaud après l'annonce du retour au pays de Khelil, Saadani a indiqué à «TSA» qu'« au FLN, nous avons demandé la réhabilitation des 4.500 cadres, injustement, écartés. Parmi eux figure Chakib Khelil », ajoutant que l'ancien ministre et ex-patron de Sonatrach « a servi son pays et son secteur, à travers ses compétences et son savoir-faire. Chakib khelil a choisi l'Algérie. » Le chef du FLN n'a pas omis de préciser que « le retour de Khelil s'inscrit dans le sillage de la réconciliation revendiquée, par le FLN, on continuera à dire qu'il est innocent, et il a fait de Sonatrach une puissance. »

 Pour sa part, Khaled Bourayou, avocat et défenseur dans le cadre de l'affaire Sonatrach 1, estime que « le système judiciaire agit sous l'effet des décideurs et qu'il est perverti par le politique. » A l'été 2013, quelques mois, après son départ du pays, Chakib khelil avait fait l'objet de poursuites judiciaires et d'un mandat d'arrêt international, annoncé lors d'une conférence de presse par un procureur. « Quelques mois après, le juge d'instruction a été remplacé et le procureur muté. Et la personne incriminée est devenue innocente, sans que la justice ne se prononce », relève Me Bourayou pour qui « Chakib Khelil doit « se retourner contre la justice qui l'a souillé, puisqu'il revient libre et innocenté ». Athmane Mazouz, chargé de communication du RCD, estime quant à lui, que le retour, au pays, de Chakib Khelil « interpelle, en premier lieu, ceux qui l'ont souvent accusé ou protégé et laisser place à la justice et à l'éclosion de la vérité sur des questions liées à des soupçons d'atteinte à l'économie nationale. » Mohamed Douibi, SG d'El Nahda, pointe « les indices de l'absence de la justice sont évidents », alors qu'Abderezak Mokri, président du MSP indique, sur sa page Facebook : « Chakib Khelil rentre en Algérie, innocenté et honoré. Comment veulent-ils que le peuple fasse confiance à ses dirigeants? »

Une réhabilitation programmée

En fait, le retour de Chakib Khelil, au pays, était préparé depuis un moment. Dès le mois de novembre dernier, la première salve est tirée, au moment où le procès pour corruption avérée de Saipem battait son plein, à Milan, avec l'arrestation de plusieurs dirigeants et le séquestre de biens du président du groupe Eni Paolo Scaroni et des protagonistes de l'affaire, y compris de Farid Bedjaoui, présenté comme étant l'intermédiaire de Khelil, dans ce dossier de corruption incriminant Sonatrach avec Saipem, filiale du géant italien ENI. Dans l'enquête menée par le parquet de Milan, sur des pots-de vin estimés à 198 millions de dollars, versés par la pétrogazière italienne Saipem, à des responsables de Sonatrach, pour l'obtention de contrats, à partir de 2007, d'une valeur globale de 8 milliards de dollars, le nom de l'ex-ministre algérien de l'Energie est cité, sans qu'il soit, cependant, directement accusé, contrairement à Farid Bedjaoui, qui serait au cœur de cette intrigue financière et maffieuse. Dans la dernière audience du tribunal de Milan, fin février, qui a annulé la décision de la juge Alessandra Clemente de « blanchir » Paolo Scaroni, ex-président d'ENI, le nom de Chakib Khelil revient, mais au détour d'une rencontre à Paris avec Scaroni, que le magistrat italien, en charge de l'affaire, veut éclaircir. La justice italienne ne l'a, en fait, ni accusé, ni cité comme témoin, jugeant, au stade actuel de la procédure, qu'il est, au-delà, des faits incriminés aux protagonistes de cette affaire. Les appels répétés et insistants pour la réhabilitation de Chakib Khelil sont venus (coïncidence ?) après que la justice italienne ait écarté définitivement, le ministre algérien, de la liste des personnes poursuivies pour corruption, dans l'affaire Saipem. Mais, le procès a été reporté à plusieurs reprises, du 2 décembre 2015 il est passé au 25 janvier 2016, puis le 29 février et enfin programmé au 21 mars prochain, à Milan. Sept personnes sont dans le banc des accusés, dont trois anciens cadres de Saipem, à savoir : Pietro Varoni, Alessandro Bernini et Pietro Tali. Il y a, aussi, les intermédiaires algériens, à leur tête Farid Bedjaoui et Samir Ourayed, contre lesquels des mandats d'arrêt internationaux ont été lancés, par la justice italienne. Sont poursuivis, dans cette affaire de corruption, selon une audience, vite expédiée le 29 février dernier, au tribunal de Milan, l'ancien directeur général du groupe pétrolier italien ENI, Paolo Scaroni, l'ex-directeur des opérations de Saipem Pietro Varone (incarcéré), le directeur général de Saipem-Algérie Tulio Orsi, l'ancien directeur financier de Saipem puis d'Eni Alessandro Bernini, le responsable de Saipem en Afrique du Nord, Antonio Villa, l'ancien directeur de Saipem Franco Talli, et les intermédiaires algériens Farid Bedjaoui, présenté comme intermédiaire de Saipem, en Algérie et Samir Ourayed. Chakib Khelil ne figure, donc, aucunement, dans le rôle de cette affaire. Suffisant pour motiver une autre montée au front, au début du mois de février dernier, lorsque la justice italienne a « blanchi », indirectement l'ex-ministre de l'Energie, celle de Amar Ghoul contre, lui aussi, l'ex DRS.

Selon l'ex-ministre des Travaux publics, dont le passage à ce ministère a été marqué par le scandale de corruption dans les contrats de réalisation de l'autoroute Est-Ouest, l'ex-département du renseignement et de la sécurité (DRS) aurait « manipulé certains dossiers liés à la corruption », accusant tout simplement l'ex-DRS d'avoir « mené une guerre ouverte pour déstabiliser le Président Bouteflika. »

Dans une récente interview à Ennahar, il a expliqué que c'est « le Président Abdelaziz Bouteflika qui était visé par ces dossiers, montés de toutes pièces, contre ses proches pour le déstabiliser et entraver sa mission de développement du pays. » Il va plus loin en tentant de réhabiliter, sinon de défendre Chakib Khelil, victime, selon lui, des même attaques. « Dans le cas où on lui reproche quelque-chose, qu'il soit jugé, sinon, il a le droit de revenir et réussir dans son pays. » C'est, depuis jeudi, chose faite.