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FLN: La stratégie de Bouteflika de restructuration des pouvoirs

par Ghania Oukazi

Le secrétaire général du FLN a donné hier les contours de la feuille de route que le président de la République inscrit dans sa stratégie de restructuration des pouvoirs jusque dans leur profond dédale.

Après l'avoir utilisé à démystifier le patron du DRS, Mohamed Mediène, pour «en jeter» le sort dans la rue et précipiter sa chute, le président de la République semble continuer de s'appuyer sur le SG du FLN pour préciser sa vision de l'après révision de la Constitution et les nouveaux équilibres qu'il tient à mettre en place à tous les niveaux. Amar Saadani a encore brillé hier, par des déclarations dignes d'être une ébauche d'un projet de société que la nouvelle Constitution exige qu'il soit mis en place. Il a exhorté gouvernement et parlement à «faire vite» pour élaborer pour ce qui concerne le premier, et voter, pour le second, les séries de lois et textes réglementaires devant rendre effectives les nouvelles dispositions consacrées dans la Constitution 2016. C'est ce qu'il qualifie de «2ème République» parce qu'a-t-il soutenu, c'est un nouvel ordre, «tout doit changer.» Il égratigne au passage Ahmed Ouyahia qui, lui, avait refusé de parler de «2ème République» parce qu'avait-il dit quand il a présenté à la presse, la Constitution révisée, «une nouvelle République naît, en général, après une guerre.» Saadani insinue à travers toutes ses déclarations, la fin d'une guerre mais celle des clans, précisément celle que Toufik menait contre toute tête qui risquait de dépasser de l'ordre qu'il avait établi pendant de très longues années avant qu'il ne soit mis à la retraite par les soins du président Bouteflika.

Amar Saadani dame le pion à Ouyahia et annonce de grandes décisions qui devraient intervenir incessamment, au moins dès que le parlement votera les «grands» projets de lois inscrits dans sa session du printemps dont l'ouverture s'est faite le 2 mars dernier. Ce qu'a dit le SG du FLN est important. Il a avancé l'idée d'une amnistie politique après qu'il ait confirmé celle fiscale qu'il dit avoir été revendiquée par son parti.

L'annonce-demande la plus en vue est ainsi, celle par laquelle Saadani veut que «les milliers» de cadres soient réhabilités après qu'ils aient été écartés de leurs postes et marginalisés à cause d'une simple mention apportée en marge de leur dossier d'exclusion. Les services de sécurité sont ainsi pointés du doigt. Services habitués à élaborer ce qu'ils appellent «la fiche bleue» et par laquelle ils classent les gens.

La fin du règne des indics

C'est sur cette fiche que sont portées les appréciations du DRS sur les cadres de la Nation lorsqu'ils sont proposés à nomination dans des postes même s'ils ne sont pas de hautes fonctions de l'Etat. Les services détenaient alors sur les personnels algériens un droit de vie ou de mort. C'est par des procédés illégaux et très souvent sans fondements qu'ils classent les cadres par catégories de « soumis » et d' «insoumis». Le listing a commencé par la mention politique «de gauche » ou généralement «PAGS » (parti de l'avant-garde socialiste). C'était avant que l'ouverture du champ politique n'ait été consacrée. Le « marquage » a cependant continué sous d'autres étiquettes dont celle la plus répandue est « dilapidation des deniers publics », parfois «atteinte à la sécurité de l'Etat. » Les accusations de détournements de fonds et autres malversations économiques et financières ont été les mentions les plus répandues notamment dans les années 90. Années qui ont connu une chasse aux sorcières des plus terrifiantes. Menée par l'exécuteur en chef des sales besognes, Ahmed Ouyahia sur ordre des services, dit-on, des centaines et des centaines de cadres étaient présentés devant le parquet sous ces accusations très souvent fallacieuses. Au-delà des preuves que la justice est arrivée difficilement à rassembler pour condamner certains d'entre eux, des affaires scabreuses ont été montées de toutes pièces pour jeter beaucoup d'autres aux oubliettes. Des cadres sont morts dans leur cellule. D'autres en sont sortis atteints de maladies graves. Et tous ne s'en sont jamais remis psychologiquement. Les dégâts sont monstrueux sur les familles dont nombreuses ont été détruites. Il n'y a pas que cette période où les compétences ont été laminées par une simple appréciation portée par un flic en marge d'une fiche ou d'un dossier qu'il aura ficelé. La descente aux enfers des cadres est devenue un programme national depuis que le pouvoir a décidé de placer au niveau de chaque institution, ministères, administrations et autres structures, des indicateurs pour épier les travailleurs. Dans les années 80, c'était fait au titre de ce qu'il a appelé «la sécurité préventive ».

Quand le syndicaliste ferme les yeux sur les injustices

La mission principale des « indics » était de balancer tout employé qui oserait remettre en cause la gestion et penserait à provoquer un débrayage. Puis les choses ont évoluées. Il a été décidé de les remplacer par des retraités des services de sécurité de grade de colonel en général, pour faire plus peur aux cadres téméraires. Ces retraités sont devenus les yeux et les oreilles du DRS dans son ensemble. Ils faisaient la pluie et le beau temps à partir de leur bureau. Ils contrôlaient du cabinet du ministre jusqu'au chef de parc auto en passant par les secrétaires et les plantons. Des méthodes d'espionnage dignes des goulags, symboles de la répression politique et du totalitarisme soviétiques. L'on dit que le temps de ces « colonels-balances » est révolu. Le chef de l'Etat aurait mis fin à leur règne il y a peu de temps.

Après tant d'années d'injustice, les langues se délient. Le SG du FLN en tire de ces périodes des révélations jusque-là jamais faites. Mais l'histoire retient que Saadani était au courant de toutes les injustices que les cadres de la Nation subissaient. S'il n'était pas SG du FLN, il était syndicaliste et de surcroît secrétaire général de la wilaya d'El Oued, membre du secrétariat national et la Commission exécutive nationale (CEN) de l'UGTA. Il était on ne peut plus tout indiqué comme personne pour crier au scandale en son temps. En fait, prises au premier degré, les révélations tardives et la demande à l'Etat de Saadani de réhabilitation de milliers de cadres accusés et incarcérés à tort, ne valent pas mieux que les suppliques publiques de Khaled Bounedjma pour demander pardon à ceux qu'il a eu à traîner dans la boue ces dernières années. A entendre et voir à l'écran ce dernier déclarer que «vous ne savez pas ce que veulent dire les pressions du DRS, les coups de téléphone, les insultes et autres intimidations,» la sensation de vomi prend les estomacs les plus costauds.

Bouteflika lève l'omerta

Ce ne sont pas les seuls « agents » des services de Toufik qui sortent de leur trou pour crier au loup après qu'il ait été abattu par Bouteflika. Au temps où le DRS commandait, ils s'étaient bien aplatis sous ses pieds et ont accepté non seulement de provoquer toutes les dérives politiques, économiques et sociales, mais de les couvrir en se confinant dans un silence complice et dévastateur qui a charrié honneur et dignité.

Mais s'il faut passer par une période de régurgitations et de vomissures aussi répugnantes pour assainir des situations injustes et exorciser l'Algérie de tous ses maux que le pouvoir lui a enfouis dans ses entrailles, qu'il en soit ainsi. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Et tous les moyens sont bons pour y arriver. La revendication de Saadani à l'Etat de réhabiliter les cadres lésés, bien que «mutilés» moralement par l'injustice, devra être effective le plus rapidement possible. Le pays a besoin de toutes ses compétences pour se reconstruire sainement et solidement. D'autant que le SG du FLN semble annoncer un nouvel ordre d'exercice des pouvoirs que Bouteflika est censé mettre en œuvre après l'entrée en vigueur des dispositions constitutionnelles de préservation des droits et des libertés citoyennes dans une véritable République démocratique. Le président de la République a réussi à libérer tous les personnels politiques des griffes des services. En mettant le patron du DRS à la retraite, il savait qu'il cassait l'omerta. Tout le monde parle, accuse, dévoile, provoque même ceux qui étaient à une époque maîtres des lieux et appliquaient la loi du talion sans état d'âme. Le chef de l'Etat semble bien apprécier l'entrechoquement des quilles. Le jeu lui a déjà permis d'affranchir le pays du diktat des cabinets noirs. Ne restent que quelques soubresauts de ceux qui se débattent avant de rendre le dernier souffle. L'Etat civil ne peut se construire sur des décombres insalubres et pernicieux.