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Face à la crise de la fiscalité pétrolière, le pouvoir d'Etat va être
confronté à deux types de défis. Un premier concerne son rapport à l'initiative
privée, un autre celui de l'initiative collective.
Pour compter sur une meilleure contribution du capital privé au bien-être commun, à la fiscalité ordinaire, il faudra établir un meilleur agencement des intérêts privés et de l'intérêt général. L'État ne peut plus se contenter de s'identifier de manière générale à l'intérêt public. Autrement dit, il devra faire une meilleure place à l'intérêt dans la représentation de l'intérêt général en même temps qu'il va devoir lui permettre et exiger de lui une certaine internationalisation. En effet, le développement du capital privé ne pourra plus s'effectuer sans une certaine internationalisation, les ressources publiques n'étant plus en mesure d'assurer le financement de sa croissance. Pour incorporer le capital technique étranger nécessaire à son expansion, il devra être en mesure de se procurer les devises nécessaires. L'industrialisation chinoise a démarré ainsi, en privilégiant l'exportation, elle s'est donné les moyens de s'autofinancer. L'industrialisation par import-substitution algérienne a pu compter sur un secteur exportateur de matières premières pour son financement. Maintenant que les ressources de celui-ci régressent et financent une partie de la consommation locale, ce secteur de financement est menacé[1]. Il en résulte, que si dans le cadre de l'import-substitution, la bureaucratie d'État et la technocratie pouvaient coopter leur secteur privé, avec l'assèchement des ressources du secteur de financement que constituaient les hydrocarbures, elle devra apprendre à faire avec un secteur privé plus autonome. Ainsi, le pouvoir politique va devoir mieux composer l'intérêt général, y inscrire clairement les intérêts privés et particulièrement ceux à vocation internationale. La tâche n'est donc pas du tout simple pour la bureaucratie d'État et sa technocratie qui avaient l'habitude de représenter l'intérêt général : l'argent ne se laisse pas contenir et manipuler aisément. Sa coopération est vitale. Une meilleure identification de l'intérêt privé à l'intérêt général devient nécessaire. On imagine la distance qui nous sépare d'une telle réalité si l'on se rappelle les récents propos du directeur général des Impôts, Abderrahmane Raouia, sur les pseudo-exportateurs et les transferts illicites de devises. Car les rapports du capital privé au pouvoir politique ont une histoire où domine la défiance. Le colonialisme et le socialisme sont passés par là. Le défi auquel le pouvoir politique va être confronté consistera à laisser émerger un réel capital privé en mesure d'affronter l'internationalisation et à renoncer à sa tentation d'en composer un à sa faveur. Deux conditions de part et d'autre, inexistantes à l'heure actuelle, devraient être réunies : une plus grande efficacité et un meilleur ancrage social du capital privé qui lui épargnerait une mise en doute de son caractère national, et de plus grandes compétences pour la bureaucratie et la technocratie pour être en mesure d'effectuer un contrôle ex post de la liberté d'initiative. Je voudrai attirer l'attention à ce propos sur le point de vue technocratique qui consiste à imaginer une économie de marché sans marchands, probablement inspiré par le modèle technocratique français où production et marché apparaissent séparés et nettement régulés par un ensemble d'institutions. En effet, et particulièrement en ce qui concerne l'agriculture, on va jusqu'à accuser les marchands de s'opposer à la production pour le marché. Une erreur de diagnostic et une propension à un contrôle externe du marché sont à la base d'une telle appréciation. Tout d'abord, si les marchands ont l'air de s'intéresser davantage à la spéculation qu'à la production, la raison s'en trouve dans la rigidité de l'offre et non dans la nature de ces marchands. Dès lors que le marchand ne s'enrichit pas par l'élargissement et la diversification de ses marchés, il spécule sur les imperfections. On retrouve ce comportement marchand dans toutes les économies : lorsque les perspectives d'investissement dans l'économie réelle font défaut, les banques et les marchands investissent dans le virtuel, la spéculation. Une telle réalité domine aujourd'hui l'économie mondiale : sur une opération réelle, un nombre incroyable d'opérations fictives vient se greffer. Ensuite, il y a cette propension technocratique à vouloir contrôler le marché (quitte à en faire profiter certains particuliers) par des incitations ou des sanctions fiscales ou administratives. Il faut renoncer à un contrôle direct et externe du marché : on ne contrôle un marché que par ses marchands, leur coopération ou leur soumission. L'ère de la soumission a probablement pris fin. Les producteurs eux-mêmes du reste, ne peuvent concéder à un contrôle bureaucratique et technocratique du marché, l'insuffisante fluidité de l'information, la lourdeur de l'action publique ne permettant pas une bonne interaction des producteurs avec les objectifs qu'un tel contrôle aurait retenus. Contrairement à la tendance actuelle qui consiste à associer les producteurs et à exclure les marchands de la concertation et de la définition des objectifs sectoriels et qui conduit finalement à l'échec, parce que ni les producteurs, ni l'État n'ont la maîtrise du marché, il faut partager les objectifs avec l'ensemble des intervenants. La bureaucratisation de l'agriculture a desserré la contrainte et l'impulsion marchande sur la production. Un marché agricole performant ne peut être construit sans ses marchands. Pour lever les rigidités de l'offre agricole, les marchands disposent mieux que beaucoup d'autres l'information adéquate. On veut dans le secteur de l'automobile pousser les concessionnaires à investir dans la production, pourquoi ce raisonnement ne n'aurait-il pas plus de chances avec l'agriculture dont les marchands ont une meilleure connaissance du marché et des conditions techniques ? Et que pense-t-on faire avec les concessions sur les nouvelles terres ? Cette exclusion criminalisation des marchands est ce qui empêche l'agriculture de s'autofinancer, est ce qui produit de la finance informelle. Avec l'accroissement du pouvoir économique privé, l'État doit apprendre à renoncer au contrôle direct et ex ante. Le contrôle doit être indirect et ex post. Il ne faut plus interdire, mais accompagner, décourager et inciter quand il le faut. Le second défi concerne le rapport à l'initiative collective, aux collectivités locales. La dégradation du pouvoir d'achat marchand peut être compensée par un plus grand pouvoir d'agir des collectivités, ce qui signifie une meilleure maîtrise et définition de leurs ressources. L'État va être mis en demeure de renoncer à certaines ressources qu'il devra concéder aux collectivités locales qui peuvent en faire un meilleur usage du point de vue du pouvoir d'achat social : il devra moins prélever pour commencer, pour mieux prélever plus tard et d'une autre manière [2]. Pour ce faire, il devra prêter une autre attention aux ressources de la société qu'il avait tendance à geler quand il ne s'en était pas rendu propriétaire, aux capacités d'action des individus et des collectivités [3]. En effet une meilleure mobilisation des ressources locales et un meilleur ciblage des subventions publiques peuvent amortir une dégradation prévisible du pouvoir d'achat local. Et l'on sait que la pauvreté et le sous-emploi touchent particulièrement les zones rurales. Il faut noter que la récente révision constitutionnelle a introduit deux éléments qui s'inscrivent dans cette perspective de transformation du rapport de l'État aux collectivités : la notion de démocratie participative (art. 14) et de nouveaux droits des parents sur les enfants (art. 65) quant à la solidarité sociale. Il faut espérer que les ouvertures que ces éléments offrent puissent se déployer et être fructueux. En bref, si le marché et les solidarités collectives doivent occuper une nouvelle place dans le financement et le support de la solidarité nationale, il est impératif qu'une meilleure représentation et articulation des intérêts privés, collectifs et publics soit mise en œuvre. [1] Voir A. Benachenhou, Algérie, sortir de la crise 2015. [2] A. Benachenhou, Ibid. [3] Sur les deux points (relation de l'État à l'initiative individuelle et collective), on se référera à l'ouvrage d'Hernando de Soto, le Mystère du capital. Il soutient que le sous-développement s'explique par la quantité de capital mort que les pauvres et les travailleurs de l'informel détiennent et n'arrivent pas à convertir en capital vif. * Enseignant chercheur, Faculté des Sciences économiques, Université Ferhat Abbas Sétif député du Front des Forces Socialistes, Béjaia. |
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