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A en croire l'avant-projet de la révision de la Constitution du 28/12/2015,
entériné par le Conseil des ministres puis par le Conseil constitutionnel et expédié
-comme une lettre à la poste- au Parlement (pour sa réunion du dimanche
07/02/2016), ni Benbella -dont les parents étaient
Marocains- ni Bouteflika -né à Oujda (Maroc) -ni même
Boudiaf, ni a fortiori Aït-Ahmed -n'ayant ni l'un ni
l'autre résidé en Algérie les dix dernières années de leur vie- n'auraient dû
ou pu être des chefs de l'Etat. La nouvelle Constitution -voulue par nos élites
politiques et administratives (civiles et militaires)- marque au fer rouge
toute trace « impure » dans l'origine de la filiation de chaque Algérien, voire
de sa résidence ou même de ses alliances matrimoniales !
Je faisais part aux lecteurs du Quotidien d'Oran (07/01/2016) de l'inquiétude que pouvait susciter la constitutionnalisation de la ségrégation entre « Algériens à 100% » (nés en Algérie de père et/ou de mère nés en Algérie) et « Algériens de seconde zone » (les nés à l'étranger, les nés de couples mixtes ou vivant en couples mixtes, les binationaux, etc.). Car le fondement de notre nation trouve sa source dans la lettre et l'esprit de la Déclaration du 1er Novembre 1954. Cette Déclaration ne faisait aucune distinction entre Algériens musulmans ou non-musulmans, aucune distinction selon leur origine : européenne ou pas, leur sexe : femme ou homme, leur lieu de naissance ou de résidence, etc. C'est de ce principe fondateur que notre première Constitution (adoptée par référendum le 8 septembre 1963) s'est inspirée, principe repris sans aucune limitation -de quelque genre qu'il soit - par toutes celles qui ont suivi?jusqu'à ce jour : celle de Boumediene en 1976, de Chadli en 1989, de Zéroual en 1996. Qu'aujourd'hui on en arrive là, à cet appel à la « pureté » (dans l'occupation des postes des hautes fonctions de l'Etat), à l'autarcie « ethnique » (où même les épouses des présidents devront être algériennes d'origine alors que jusque-là : elles devaient être juste algériennes -même par naturalisation !), à cette absurdité anachronique où ni Benbella ni Boudiaf ni Bouteflika ne seraient devenus des chefs d'Etat, il y a un sérieux problème. Comment est-on arrivé à ne plus tenir compte des vicissitudes de notre Histoire et de toutes les crises politiques majeures qu'a traversées notre pays (les dissensions de 1963-64 et le coup d'Etat militaire de 65, les assassinats de Krim Belkacen, de Medeghri, de Kaïd Ahmed, etc., l'exclusion de Bouteflika du pouvoir par une clique militaire en 1979-80, crise économique de 1986, crise politique de 1988, guerre civile de 1992-2000, etc.)? Est-ce cette violence d'où est née l'Algérie de 2015-16 qui a généré ce malaise civilisationnel de nos élites, malaise aussi de pans entiers de notre société ? N'y a-t-il pas là une régression mortifère, une régression alimentée par des mécanismes de défense face à l'invasion de la « culture » dominante mondiale -celle de l'Occident- face aux programmes des TV satellitaires, face au Web et la 3G-4G voire la 5G?, face au consumérisme, tous ces marqueurs universels de la libération de l'individu ? Cette régression ne révèle-t-elle pas des conflits psychiques profonds, une anxiété maladive et, en dernière analyse, une impuissance (face notamment aux valeurs, normes et repères de la culture « universelle ») ? Et à terme, cette régression ne va-t-elle pas bloquer le développement de la personnalité (algérienne) ? D'un autre côté, la nouvelle mouture de la Constitution n'entraîne-t-elle pas un discrédit du président Bouteflika qui, en à peine dix (10) ans (en 2005 puis en 2008 et aujourd'hui en 2016), révise trois fois de suite notre Constitution pour finalement, d'une part se conformer « aux normes internationales » (relatives à la limitation des mandats présidentiels) et d'autre part avouer qu'il n'a pas les qualités de président algérien puisqu'il est né à l'étranger ? Partant des nouvelles dispositions constitutionnelles, l'opposition politique algérienne est en droit de demander leur application immédiate au président de la République lui-même, en particulier au plan de la limitation des mandats : 1- N'est-t-il pas au pouvoir depuis plus de dix (10) ans ? 2-Comment continuer à justifier aux yeux de l'opinion (nationale et internationale) le mandat en cours ? Et enfin n'est-il pas temps de mettre un terme à ces bidouillages constants de notre Constitution à travers des révisions intempestives pour le plaisir d'un seul homme, pour le plaisir de chaque chef de l'Etat ? Car l'exemple ayant été donné par chaque président algérien, d'autres révisions de la Constitution interviendront? après Bouteflika ! Cette instabilité constitutionnelle apparue dès la Constituante du 20 septembre 1962 n'aura-t-elle pas toutes les chances de devenir structurelle à l'avenir ? Avec les baisses prévisibles du prix des hydrocarbures et des exportations, il n'y aura plus de rente pétrolière conséquente (et ce, du moins jusqu'en 2030) à redistribuer - et cela même si l'Algérie décidait de concéder aux firmes étrangères l'exploration-recherche de nouveaux gisements ; même si l'on privatisait ou ouvrait le capital de Sonatrach et de ses filiales. Ces bidouillages répétés de notre loi fondamentale provoqueront des turbulences d'un nouveau genre sur la scène politique nationale : pour plus de droits de l'homme, pour plus de libertés individuelles, pour plus de décentralisation (« régionalisation » des territoires : chaque région Est-Centre-Ouest compte autant d'Algériens que toute l'Algérie en 1962)? Une page de notre histoire va être tournée. Nos élites politiques et administratives (civiles et militaires) ont provoqué dès l'indépendance de l'instabilité constitutionnelle. Aujourd'hui, elles ne savent plus préserver « l'unité du peuple et de la nation » en interdisant à des Algériennes et des Algériens nés dans la Diaspora l'accès aux privilèges et droits qu'avait promis la Déclaration du 1er Novembre 1954. Elles n'ont pas mesuré les conséquences du dévoiement constitutionnel où elles nous entrainent en acceptant qu'aujourd'hui, en Algérie de 2015-16, un chef terroriste « réconcilié » soit consulté à la présidence de la République sur la révision constitutionnelle, acceptant donc qu'on ait les mains pleines de sang plutôt que d'être binational(e) ? (*) Docteur d'Etat en sciences économiques |
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