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Visite d'Alain Juppé : La bataille de la primaire de Bordeaux à Oran

par Ghania Oukazi

Alain Juppé arrive, aujourd'hui, en Algérie et y séjournera jusqu'au 2 février prochain. Jean Louis Bianco qui devait y être, à la même période, a préféré, lui, reporter sa visite à «une date ultérieure.»

Les deux responsables français ont failli se «télescoper» à Alger, n'était-ce la décision de Jean Louis Bianco de ne pas venir. Le mail de l'ambassade de France nous a fait savoir, en effet, qu' «en raison de contraintes d'agenda, la visite de Jean Louis Bianco est reportée à une date ultérieure.» Avant qu'il ne décide de venir à Alger, le président de l'Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre, Emanuel Valls, ne savait peut-être pas qu'Alain Juppé devait s'y rendre, aussi et surtout à la même période. Et pour cause, Bianco devait animer aujourd'hui, une conférence au Centre culturel français (CCF) à Alger, intitulé : «Laïcité et vivre ensemble en France». C'est, vraisemblablement, cette contrainte de «coïncidence d'agenda», que Jean Louis Bianco a préféré éviter. Il est évident que ce responsable français ne devait pas venir à Alger pour les mêmes raisons que celles qui y amènent Alain Juppé. En tant que représentant spécial du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, pour les relations avec l'Algérie, Bianco devait, sans nul doute, parler relations politiques, économiques et sociales avec des responsables algériens. La Libye, le Mali, la Syrie, ce sont des dossiers aussi brûlants, les uns que les autres, pour que Paris en discute avec Alger, tout en sachant ses positions vis-à-vis de l'un et de l'autre dossier. La relation bilatérale entre les deux pays étant en principe, au centre des discussions, il fallait, alors, en déterminer les intérêts respectifs, dans une conjoncture où les prix du pétrole ont chuté d'une manière drastique, l'Algérie doit, impérativement, passer d'une économie de rente à une économie de production diversifiée, ses besoins en expertise et savoir-faire deviennent ainsi importants, ses difficultés financières déjà ressenties par le gouvernement, pourraient se compliquer, enfin, le terrorisme s'affirme, dangereusement, notamment, tout au long de ses frontières, et le spectre de la guerre contre ?Daech' prend des dimensions alarmantes après la déclaration du président américain de lutter contre, même jusqu'en Libye et de son ministre de la Défense n'excluant pas une intervention militaire, dans le même pays, même s'il n'a pas daigné en donner de date précise.

La forteresse Europe, face aux déferlantes humaines

La question de l'émigration clandestine, à travers un monde qui, virtuellement, est devenu un village planétaire, sans frontières, alors que l'Europe veut le transformer en citadelles et forteresses blindées contre des déferlantes humaines qui crient au secours, Alger et Paris ont, véritablement, de quoi parler. Membre du Parti socialiste, Jean Louis Bianco est aussi depuis 2014, faut-il le rappeler, conseiller spécial de Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie. Notons, au passage, que Royal veut faire appel d'une décision de justice, annulant l'abrogation d'un permis de recherche de Total, du gaz de schiste par fracturation hydraulique, dans une des régions de France. L'abrogation du permis en question a été obtenue par voie de justice par la ministre qui rejette toute fracturation hydraulique parce qu'elle ébranle l'environnement et les Français sont contre.

Bianco devait, aussi, être à Alger après que le ministre des Moudjahidine ait séjourné, en France, pendant quatre jours pour poser sur la table, notamment, des questions d'ordre historique et à propos desquelles, il a déclaré qu'il n'y a aucune divergence entre les deux pays et que la France semble plus ouverte pour les régler.

En tant que président de l'Observatoire de la laïcité, auprès du Premier ministre, Manuel Valls, Bianco s'est fait beaucoup d'ennemis en signant un texte intitulé : «Nous sommes unis», en novembre 2015, après les attentats de Paris, en même temps que plusieurs personnalités musulmanes qualifiées d'extrémistes. Retenons, par ailleurs, que l'Observatoire a fait des propositions appréciables, au gouvernement Valls, dont le recrutement d'aumôniers musulmans, dans les prisons. Ses membres ont été contre le refus de menus sans porc dans les écoles, au nom de la laïcité et contre l'interdiction du port du voile à l'université. Avec la montée de la droite extrémiste, en France et en Europe, en général, Jean Louis Bianco est pratiquement poussé à la démission.

Toutes ces questions et bien d'autres ne figurent, certainement, pas dans l'agenda «algérien» d'Alain Juppé. L'on dit qu'il fera un saut à Oran qui est jumelée avec Bordeaux dont il est le maire. Il arrive, aujourd'hui, et repart le surlendemain, le mardi, en fin d'après-midi duquel il est prévu qu'il donne une conférence de presse à l'aéroport d'Alger.

Alain Juppé est candidat à la primaire, prévue le 20 et le 27 novembre prochain. Le rendez-vous est, certes, loin mais la bataille s'annonce rude pour une primaire qui fixera le cap des élections présidentielles françaises, de 2017, puisqu'elle permettra aux Républicains et plus largement à la droite et au centre, de choisir leur candidat pour ce rendez-vous crucial. Première attaque et accusation du camp socialiste, Juppé cumule deux fonctions, maire de Bordeaux et candidat à la primaire des Républicains. «Il faudra qu'il se décide de choisir entre les deux,» exige, de lui, une de ses conseillères socialistes, à la mairie de Bordeaux. Ce qui est loin de le décourager de poursuivre sa campagne. Les derniers sondages le donnent en tête de tous ses concurrents et disent de lui qu' «il reste la personnalité politique dont les Français ont la meilleure image.» Il empile 45% de leurs voix (celles de droite et centre, et sympathisants de gauches réunies). Son conçurent direct (du même camp), Nicolas Sarkozy n'en a que 21%. Alain Juppé est ainsi, considéré comme étant «le grand favori de la primaire à droite.» Il est même classé le premier parmi les cinq candidats potentiels (lui compris), aux élections présidentielles de 2017. Il a pris une avance de 33% des voix françaises contre 3% pour Sarkozy, 7% pour Bruno Le Maire, 6% pour François Fillon et 4% pour Nathalie Kosciusko Morizet.

Le candidat Juppé «un ami de l'Algérie»

Alain Juppé peut alors bomber le torse avec des résultats aussi positifs et aussi prometteurs. Certes, ses détracteurs lui rappellent, toujours, qu'il a 70 ans et que c'est peut-être un âge qui devrait le dissuader de se présenter aux présidentielles. Mais même Bernadette Chirac lui reconnaît des qualités après qu'elle ait dit de lui qu'il n'avait rien d'un Sarkozy qu'elle soutient. «C'est un homme extrêmement honnête,» a dit d'Alain Juppé, l'ex première dame de France.

«Les visites de responsables français sont programmées à la veille d'élections, comme ça les Algériens diront que ce sont des amis de l'Algérie,» avait lancé Ahmed Ouyahia, il y a quelques jours, après l'annonce des visites à Alger de Juppé et de Bianco.

Alain Juppé est donc venu collecter des voix supplémentaires à celles françaises de souche. Voix des nombreux ressortissants algériens qui ont le droit de voter en France et dont l'article 51 du projet de loi constitutionnel obligent à se désengager de la nationalité française, au cas où ils prétendront à de hautes fonctions politiques, au sein de l'Etat algérien. Peut-être qu'Alain Juppé en touchera un mot à des responsables algériens, ceci, s'il ne sera pas découragé par le principe sacro-saint de l'Algérie de faire valoir la souveraineté nationale et d'interdire, toute forme d'ingérence étrangère dans les affaires des Etats.

L'insolence de Sarkozy

Ce qui est sûr, c'est qu'Alain Juppé est bien plus apprécié en Algérie qu'un Nicolas Sarkozy, qui lui, ne manque pas d'être politiquement, insolent à chaque fois qu'il s'agit de notre pays. L'histoire a toujours retenu que le parti socialiste français a fait bien plus de mal à l'Algérie, notamment au temps de la colonisation, que les Républicains. Mais un candidat républicain (de droite) comme Sarkozy, mieux vaut dissuader les Français de ne pas l'avoir comme président pour qu'il ne les pousse pas à plus de racisme et de xénophobie. Fortement soutenu par les lobbys juifs, Sarkozy a déjà fait de la colonisation des peuples libres, un choix politique. Il soutient solennellement celle du Sahara Occidental, par le royaume du Maroc. Il dénonce la fermeture des frontières algériennes au Maroc et accuse l'Algérie d'entraver la construction d'un Maghreb «économiquement» uni. Il regrette que les réalités de la géographie obligent la Tunisie à être voisine de l'Algérie. Il pense, ainsi, que l'Algérie est source de tous les maux sécuritaires. Il cherche à construire des murailles là où il n'y en a pas. A 61ans, il sait, depuis quelque temps, que 80% des Français dont 55% de son propre camp, refusent qu'il se présente aux élections présidentielles de 2017.

Sur le plan économique, Alain Juppé n'est pas très différent de Sarkozy. Il veut déverrouiller l'Economie. Il est pour un recul de l'Etat, dans tout ce qui est social, il veut déréguler le temps du travail, réduire l'aide médicale, baisser les allocations-chômage, enfin, il plaide les principes de la droite libérale dure. Il est, aussi, pour un nouveau traité entre les Européens pour lutter contre l'émigration clandestine. Il veut «un Schengen II», sans pour autant encourager le rétablissement des frontières nationales. «Je propose de faire voter par le Parlement un plafond d'immigration légale et de poser des conditions de ressources pour le regroupement familial,» a dit Juppé. Les Algériens qui peuvent voter en France savent, en principe, à quoi s'en tenir, dans un pays qui veut repenser l'Islam, dans la laïcité.