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L'informel aura son mot à dire : Jusqu'à 15% de hausse des prix en 2016

par Sofiane M.

Les hausses annoncées des prix des biens et services de consommation finale en 2016 sous l'effet de la politique de taxation prévue par la nouvelle loi de finances et les mesures de durcissement du commerce extérieur (licences d'importations pour les produits agricoles et agroalimentaires contingentés) vont peser lourdement sur le budget des ménages.

 Le scénario catastrophe tant redouté par les associations de protection des consommateurs et les économistes pourrait être inévitable dans un marché contrôlé par l'informel et essentiellement dans la filière agroalimentaire où près de 70% des fruits et légumes, des viandes blanches et rouges commercialisées transitent par le circuit illicite et échappent de ce fait à tout contrôle. L'ouverture débridée du marché, sans instruments efficaces de régulation et de contrôle, encourage une anarchie des prix. Le SG du bureau wilaya de l'Union générale des commerçants et artisans algériens et président de la chambre du commerce et d'industrie de l'Oranie (CCIO), Abed Mouad, avoue que 50% du marché est contrôlé par l'informel tout en regrettant que le dispositif de contrôle et de répression concerne uniquement le maillon final de la chaîne de distribution c'est-à-dire les petits commerces. «Le dispositif de contrôle doit être étendu à l'amont de la filière agroalimentaire. Il faut mieux contrôler pour tenir le marché d'une main de fer dans le but de prévenir les abus et surtout l'accaparement des biens, une manœuvre destinée à provoquer une raréfaction artificielle des produits pour tirer des bénéfices de l'augmentation des prix», affirme le délégué des commerçants tout en estimant que les hausses prévues en 2016 ne devraient pas dépasser les 20%. De son côté, le président de la Commission du commerce dans la CCIO qui est également importateur en agroalimentaire et distributeur de produits fabriqués localement, Khaled Seghir, soutient que des hausses entre 10 et 15% vont concerner tous les produits importés ou fabriqués localement à partir de janvier 2016.

«Il y aura des hausses de 10 à 15% dans toutes les filières en raison de la dévaluation du dinar dans les banques. Le taux officiel de change est passé de 104 dinars il y a deux mois à 121 dinars pour un euro avant de se stabiliser à 117 dinars. Ces fluctuations du taux de change seront répercutées sur les prix de vente », précise cet importateur tout en signalant que c'est l'instauration du dispositif des licences d'importation des produits agricoles et agroalimentaires contingentés à partir du 10 janvier 2016 qui va tirer les prix vers le haut. «Le circuit informel a son côté positif, car il maintenait le pouvoir d'achat des ménages en proposant des produits à moindre prix. Certains opérateurs du commerce extérieur exerçaient avec des prête-noms pour ne pas payer les droits de douanes et échapper au fisc. Les produits importés coûtaient ainsi moins cher à ces opérateurs qui les écoulaient sur le marché à des prix raisonnables.

La campagne d'assainissement du commerce extérieur menée par le gouvernement pour réduire la facture des importations va contraindre ces opérateurs à revoir leurs prix vu qu'ils devront s'acquitter des taxes douanières et fiscales. En fin de compte, c'est le consommateur qui va payer l'addition », explique cet importateur. Il ajoute que les produits fabriqués localement verront aussi leurs prix tirés vers le haut pour plusieurs facteurs, à commencer par l'augmentation du prix des matières premières le plus souvent importées et la hausse du coût de revient en raison des majorations sur l'électricité et le carburant.

Cet opérateur économique rejette toutefois l'existence d'une «volonté de spéculation» dans le marché. Il se plaint même d'une «accalmie» du marché dans la filière agroalimentaire. « Il n'y a aucune volonté de spéculation sur le marché. Bien au contraire, nous assistons à un phénomène de récession économique dans la filière agroalimentaire. Les grossistes rouspètent car les clients sont rares en cette période de fin d'année. Cette situation est due à la période d'inventaires annuels, les vacances et un début de panique sur le marché. Il est en plus difficile de constituer de gros stocks à cause de la concurrence acharnée, le recul des achats des détaillants et les imprévus politiques et économiques », note cet opérateur économique. Autre facteur qui décourage toute tentative de spéculation est que pour constituer de gros stocks il faut disposer de grandes sommes d'argent, mais la tendance actuelle parmi les opérateurs économiques est de mettre son argent dans un bas de laine ou, mieux, le convertir en euro en attendant de voir clair.

Revenant sur les hausses des prix, il estime que chaque opérateur économique va répercuter les hausses selon son appréciation. Les marges bénéficiaires pourraient ainsi être considérables dans les secteurs où il y a absence de concurrence. L'avis est partagé par le président de la Fédération algérienne des consommateurs, Zaki Hariz, qui souligne que les hausses seront plus importantes dans les secteurs où il n'y pas de concurrence. Il donne l'exemple du sucre dont le prix a atteint 85, voire 90 dinars dans le détail, alors que son prix réel est entre 60 et 65 dinars. «Une tonne de sucre raffiné coûte en Bourse 450 dollars.

Le kilo de sucre ne devrait pas dépasser 65 dinars, mais aujourd'hui son prix grimpe à 90 dinars dans les petits commerces en raison du monopole déguisé dans ce créneau. Il y a aussi le sac de ciment dont le prix est plafonné à 500 dinars, mais il est vendu à 690 dinars. Nous avons soulevé ces comportements abusifs au ministère du Commerce, mais rien n'a été fait à ce jour », dénonce Zaki Hariz tout en regrettant que l'Etat ne joue plus son rôle de régulateur du marché. «Les marges bénéficiaires ne doivent aucunement dépasser les 20%. Il faut encourager la concurrence saine et loyale dans tous les secteurs », lance-t-il. Et d'enchaîner : « Il y aura spéculation dans les secteurs soumis au monopole déguisé. Tout le monde va profiter de ces hausses à l'exception des secteurs qui connaissent une concurrence féroce notamment l?électroménager ».

Abordant les mesures prévues par le gouvernent pour réduire la facture des importations et assainir le commerce extérieur, son jugement est sans appel: «Toutes ces contraintes seront supportées par le consommateur final». Pour le président de la FAC, le consommateur ne pourra aucunement échapper à la hausse des prix et ce n'est pas la nouvelle loi de finances qui est le principal responsable de la situation, mais c'est la dévaluation du dinar qui a perdu près de 20% de sa valeur qui a été un «coup dur» pour les ménages. «Nous avons clôturé l'année 2015 avec une inflation de plus de 4%, alors que pour l'année 2016 nous prévoyons une inflation de plus de 6% », conclut-il.