|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Hocine Aït Ahmed revient au pays pour être enterré dans son
village natal après un long exil qu'il a choisi en opposition à un pouvoir avec
lequel il n'avait pas d'accointances mais dont il a soutenu celui qui en est
devenu le président depuis 2000.
L'homme n'est pas à présenter tant son aura de combattant de la première heure contre le colonialisme français l'a mis sur un piédestal sa vie durant. Son choix de s'asseoir à la table de la réunion de Sant'Egidio (Italie) durant les années 90 pour amorcer un processus politique à même de mettre fin à la folie meurtrière du terrorisme, rétablir la paix et unir les Algériens, ses interventions sur fond de « qui tue qui en Algérie », à l'Internationale socialiste dont son parti était membre à part entière, avaient un écho important dans toutes les sphères agissantes, même s'il n'était pas évident de leur trouver un répondant effectif notamment auprès du pouvoir avec lequel il n'avait pas d'affinités. Son retour en Algérie pour participer aux législatives de 91 et plus tard pour être candidat à la présidentielle de 1999, l'avaient projeté au devant de la scène algérienne comme étant le politique qui donne un crédit absolu aux initiatives nationales. L'on rappelle celle de son rapprochement du MDA, parti d'Ahmed Benbella, dans les années 80, pour créer une alliance contre le pouvoir. Les deux hommes ont eu à se partager de grands moments de l'histoire de la guerre de libération nationale. Et même au-delà. « Ils se connaissaient parfaitement pour pouvoir encore se donner une chance nouvelle pour servir le pays et le peuple, les problèmes de l'Algérie les ont rapprochés pour décider du choix et de la manière de leur dénouement, » nous disent ceux qui les ont approchés pendant longtemps et qui racontent avec des précisions surprenantes la rébellion armée du FFS dans les années 60. «Il faut aussi reconnaître à Benbella et Aït Ahmed qu'ils avaient au sein de leurs partis respectifs les militants les plus convaincus et les plus conscients de la sacralité de la cause nationale que tous les autres réunis », nous explique un historien. L'ALLIANCE QUI AVAIT FAIT PEUR AU POUVOIR Leur tentative d'alliance a fait très peur au pouvoir. Le risque de contrebalancer les équilibres en leur faveur et donc d'une opposition solide, forte et réelle, était trop gros pour que les décideurs de l'époque acceptent de «laisser faire.» Il a fallu de suite déstabiliser leur initiative pour qu'elle ne puisse jamais aboutir. La descente aux enfers programmée du MDA a entraîné dans ses remous le départ de ses membres les plus éminents et les plus actifs. C'était le début de la fin du parti du premier président de l'Algérie indépendante. A chaque fois qu'Aït Ahmed acceptait de faire une halte dans la situation politique nationale, celle-ci s'inscrivait systématiquement dans « les cahiers » du valeureux homme historique qu'il a été. Les événements qu'il a fortement marqués de son empreinte sont multiples à ne plus les compter. Au-delà, l'opinion nationale et internationale aura remarqué que depuis son retrait de la présidentielle de 1999 en même temps que les quatre autres candidats, laissant Abdelaziz Bouteflika faire « cavalier seul », ni lui, encore moins son parti le FFS, n'avaient fait de vague politique allant à contre-courant de ce qu'a fait le pouvoir à ce jour. Encore faut-il rappeler nécessairement que le retrait des quatre candidats de la course présidentielle de 99 avait coïncidé avec l'évacuation en Suisse en toute urgence, de Hocine Aït Ahmed pour raison de santé. Il avait fait un infarctus méchant, dit-on. Il n'avait donc pas fait de déclaration fracassante pour dénoncer, comme l'ont fait les autres «un scrutin impropre et malhonnête». Aït Ahmed avait encore une fois quitté le pays en silence. Beaucoup d'Algériens lui reprochaient son exil « doré », loin des vicissitudes du peuple algérien même si beaucoup sont persuadés qu'il a préféré continuer la lutte à sa manière « d'homme discret et modéré. » LES RAISONS D'UN DEAL L'on dit ici et là qu'il était revenu en Algérie pour s'entretenir avec le président Bouteflika mais rien ne le confirme. L'on dit aussi que très souvent, il avait avec lui des entretiens téléphoniques pour lui prodiguer des conseils, loin des dénigrements d'une opposition en quête de propagande et de légitimité. L'homme n'en avait absolument pas besoin, ni d'ailleurs son parti qui gardera pour toujours son identité du plus vieux parti opposant. «Bouteflika et Aït Ahmed ont fait un deal entre hommes », nous précise un haut responsable. Le manque d'entrain du FFS de l'après 99 et «la tiédeur » de ses positions et de ses déclarations en sont significatives. Son récent appel à une conférence nationale ne l'est pas moins. Il est utile de replacer la nécessité de ce rapprochement du président de la République et d'Aït Ahmed dans son contexte politique réel. Le président du FFS qu'il était à cette époque avait appelé pendant de longues années et avec force à l'unité du peuple et du pays. C'est d'ailleurs pour réaliser cet objectif qu'il avait été, à l'instar de Abdelhamid Mehri, l'un des initiateurs et signataires bien en vue de « la charte » de Sant'Egidio. C'est cet objectif qui a été substantiellement retranscrit dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale que Bouteflika a fait adopter dans les années 2000 et qu'il a sous-tendu par «l'exigence officielle de l'instauration de la clémence entre tous les Algériens». Dans la charte en question, beaucoup de l'esprit de Sant'Egidio a été reproduit. Le choix d'Aït Ahmed d'en soutenir le processus était, de fait, naturel et s'inscrivait dans la vocation de l'homme. Le deal avec Bouteflika en a été le principe de base. Depuis, nous dit-on, leurs liens se sont renforcés jusqu'à s'imposer mutuellement des consultations sur les grandes questions de l'heure, nationales et internationales. Aït Ahmed était bien au courant que l'Algérie a été mise sur les tablettes étrangères depuis longtemps. Il partageait, nous dit-on, largement les positions politiques de l'Algérie sur ce qui l'entoure comme conflits. L'OPPOSANT A L'EGARD «DE CERTAINS RESPONSABLES» «La raison d'Etat a été pour lui une ligne à ne pas franchir », souligne un analyste qui a tenu à préciser que «Aït Ahmed n'était pas un opposant au pouvoir mais un défenseur de la démocratie et des droits de l'homme ». La nuance est de taille pour ce qu'il avait entrepris de faire ou de ne pas faire dès l'intronisation de Bouteflika à la tête de l'Etat. « C'est une décision sage qu'il avait prise de ne pas perturber la mise en œuvre de la stratégie de Bouteflika», nous expliquait hier un grand ami du FFS. Hocine Aït Ahmed n'a pas craint les critiques acerbes de ceux qui ont dit de lui qu'il avait, ainsi, baissé les bras devant le pouvoir et qu'il s'était même allié au diable. Il lui importait peu ce que pouvaient penser de lui ses détracteurs. Son soutien à Bouteflika notamment dans sa gestion de la donne islamiste et la lutte contre le terrorisme, Aït Ahmed l'a voulu au service de «l'unité des Algériens et de l'Algérie », affirment ceux qui l'ont côtoyé. Il était en outre probablement persuadé que Bouteflika allait vider le pouvoir des hommes qui ont dirigé l'Algérie avec une main de fer. Les hommes dont Aït Ahmed dénonçait la manière de gouverner et d'accaparer les pouvoirs. Le président Bouteflika l'a d'ailleurs clairement souligné dans le message de ses condoléances à la famille Aït Ahmed. A « l'homme historique hors pair, aux valeurs humaines, la finesse et l'intelligence politiques inégalées», le chef de l'Etat a affirmé que « je ne saurais me consoler de cet homme fidèle à sa patrie, soucieux de l'unité de sa nation, courageux dans ses positions, attaché à ses principes, affable, constructif dans ses critiques, digne dans son opposition à l'égard de certains responsables dont il contestait le mode de gouvernance et la méthode de gestion(?), qui s'est dévoué pour son pays, qui est resté fidèle à son peuple et a honoré le serment.» Hocine Aït Ahmed retrouvait quelque part en Bouteflika son rejet des décideurs de la décennie noire et son choix de la réconciliation nationale. Le m'rabet revient jeudi prochain dans son pays où, le soir même, il y aura une première veillée funèbre dans la capitale. Il revient d'un long exil pour reposer en paix dans les entrailles d'une terre clémente et généreuse, celle de l'Algérie libre pour laquelle il avait lutté. Il sera enterré le lendemain vendredi dans son village natal, sur les hauteurs de Aïn El Hammam. |
|