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Ainsi va le monde

par Ahmed Farrah

Dans les pays où la soumission au rouleau compresseur du Far West est une évidence, les gens n'excellent que dans le commérage de concierges, s'entre-déchirent les haillons qu'ils portent, se donnent les coups sous le nombril, fiers comme des coqs qui coquelinent tôt le matin pour faire croire aux crédules que c'est eux qui télécommandent le soleil. En réalité, leur seul souci est de se placer au plus haut de la pyramide alimentaire pour s'accaparer tous les étages. Champignons sauvages des saisons humides ou génération spontanée qui dément Pasteur ? En tous cas, ils sont là, ils s'arrogent tous les artifices pour étendre leurs tentacules d'oligarques. Ils miment les vrais capitaines d'industrie, les patrons du CAC 40, le Nasdaq est du chinois pour eux. Un mauvais souvenir les dissuade d'avoir, pour le moment, des banques en leurs noms. Ils ont tout pris. Ils ne donnent rien. Ils sont dans l'ostentation. Le capital ne se cache plus, il est partout visible et arrogant. Il est aujourd'hui, plus que jamais, menaçant pour les équilibres symbiotiques sur lesquels reposent les fondements de la paix sociale et l'avenir des peuples. Pour leurs gourous, ceux qui ont la mainmise sur les richesses des nations, l'Homme n'a jamais été leur centre d'intérêt. Le dollar est leur seul Dieu. La prédation est leur vraie nature expansive. La diversité sociale restreint leur espace vital. Le repli ethnique est un suicide collectif. L'échappatoire identitaire est une naïveté létale. Le multiculturalisme s'étiole et régresse et disparaîtra le jour venu. La globalisation efface les spécificités sociétales au profit de l'empire marchand, élimine tous les « parasites » et tous les « hôtes commensaux » de leur monde bionique. La solution finale ! Noé n'est pas une légende biblique racontée aux croyants, mais leur profonde inspiration. Ils préparent l'arche. Au moment du déluge, les sans-défense devront quitter le bateau sans gilets de sauvetage. Les autoproclamés maîtres de leurs semblables envisagent de peupler, seuls et sans partage, la planète pour l'éternité cosmique. S'il le faut, ils iront sur Mars et de là, plus loin encore, enjambant Pégase vers Proxima du Centaure. Le vieillissement n'est pas une fatalité pour eux, la mort sera poussée aux prolongations. La révolution NBIC (nanotechnologies, biologie, informatique et sciences cognitives) n'est plus une fiction dans les sous-sols secrets du Google X Lab. Le monde virtuel est déjà invité dans le monde réel. L'ubérisation, une des étapes nécessaire pour assener le coup fatal au prolétariat, jadis cher à l'égalitarisme utopique, a fait son entrée dans le monde préparé à la précarité et à la servitude. Uber (entreprise technologique qui développe et exploite des applications mobiles de mise en contact des clients et des prestataires de service) supplante les intermédiaires dans l'économie de service et bouleverse tous les modèles économiques traditionnels. Appeler un taxi, trouver un médecin, emprunter de l'argent, vendre son appartement, etc., désormais, tout se fera de particulier à particulier à travers la plateforme Uber. Pour survivre, même les grandes chaînes d'hôtels de luxe, les prestigieuses compagnies aériennes, des banques y sont déjà. Tout passera par les smartphones. Travis Kalanick, son PDG californien, est devenu le plus grand patron du monde des services. C'est la fin des petits artisans affranchis, des fonctionnaires jusqu'à l'âge de la retraite et des employés en CDI. Le travail à la tâche devient la norme. Les petits boulots accroissent la servitude. La récréation est terminée, le monde retourne à la féodalité. L'espace se clive en deux couches sociales : seulement une poignée de seigneurs très puissants et des kyrielles de serfs paupérisés et délaissés sur le quai du dépérissement. Les liens de la faction des argentés sont plus forts que ceux du sang. Pour eux, la patrie est une chimère, elle n'est qu'une marchandise monnayable au mercato des faiseurs de printemps qui ne fleuriront nulle part. Quel paysage post-apocalyptique préparent-ils aux survivants de la énième tragédie ? Le manichéisme ne fait pas dans la demi-mesure chez ces barons. Marche ou crève, c'est la certitude darwinienne. La jungle appartient aux plus forts et aux plus rusés, le reste n'est qu'une proie facile pour le tube digestif recycleur écologique. Comme disait Franklin Roosevelt : «En politique, rien n'arrive par hasard, chaque fois qu'un évènement survient, on peut être certain qu'il avait été prévu pour se dérouler ainsi».