Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

CHRONIQUE ALTERNATIVE - De la réforme bancaire Une causation circulaire

par Hamid A. Temmar

La dynamique économique dépend de l'activité des agents économiques agissant librement selon leurs objectifs propres de rentabilité ou d'optimisation de l'utilisation de leur revenu et obéissant aux signaux essentiels que sont les prix. Le fonctionnement de l'économie nationale est centré sur l'activité réelle, c'est-à-dire la production et la distribution des biens et services qui se réalisent par l'intermédiaire de la monnaie qui est un intermédiaire d'échange pratique. C'est l'approche intuitive que nous avons du rôle de la monnaie; cette intuition est trompeuse. En effet, la monnaie qui accompagne l'exploitation et l'investissement provient de sources rares qui doivent être rémunérées. Cela signifie que la monnaie est elle-même un bien et, par suite, elle a un prix qui se réalise sur un marché financier. Ainsi, le marché financier, outre son appui aux activités réelles, a une vie en soi et obéit à une dynamique propre avec ses propres objectifs de rentabilité. Il faut que les decision makers publics en prennent bien conscience.

Le marché financier a ses propres produits qui se vendent et s'achètent entre des organismes financiers de vocation et d'organisation différentes. Jusque dans les années 60 les entreprises financières étaient spécialisées dans les transactions d'un type de produits. On distinguait les banques de dépôt et les banques d'affaires/d'investissement chacune opérant sur son marché, respectivement monétaire et de titre. A partir de juin 1985, «le big bang» entraîne la déréglementation et le décloisonnement des opérations financières. Les entreprises financières, notamment les banques, ont tendu à intervenir sur tous les marchés.

On continue malgré tout à faire une distinction de référence entre marché monétaire où se réalisent des opérations qui touchent aux liquidités à court terme et aux besoins de financement de l'exploitation des entreprises -le terrain essentiel des banques-, et marché sur titre, qualifié de marché financier dans la littérature francophone; c'est le marché qui fonde la dynamique à terme de l'économie, sa croissance et son équilibre.

En Algérie, les deux marchés existent en principe mais le marché à terme est quasi inexistant. Le terrain est largement occupé par les banques. Cela fait de l'Algérie une économie d'endettement. Le secteur financier tend à se réduire au système bancaire et ce dernier pourvoit à titre essentiel aux besoins de financement (courant et en capital) de l'économie. Il faut considérer le système financier algérien comme un système atrophié, ramené à une dimension minimale. C'est un système qui obéit à une logique institutionnelle passée.

L'Algérie présente une caractéristique historique supplémentaire. Le marché bancaire actuel est un oligopole/monopole (public). Le secteur est composé de 20 banques mais cinq banques publiques à elles seules distribuent 86% des crédits et collectent près de 90% des ressources (plusieurs estimations existent mais elles sont de la même grandeur). Plus de 77% des transactions du secteur privé se font par les banques publiques. Elles présentent le même mode de gestion et proposent les mêmes produits. C'est une situation absolument unique dans le monde (à l'exception probablement de la Corée du Nord). Partout dans le monde, les banques publiques ont connu, durant ces dernières années, un recul généralisé même si en Chine ou en Inde, elles restent majoritaires. En Algérie, la situation du secteur demeure inchangée depuis la réforme introduite en 1990.

Cela met en exergue le fait que la qualité du fonctionnement du secteur bancaire public a des répercussions directes sur l'ensemble de l'économie nationale notamment dans cette période de recherche de politiques qui pourraient relancer l'économie.

Or l'examen de la situation nous amène à des conclusions plutôt ambivalentes :

(i) Le résultat net des six banques publiques est passé de 2,8 milliards de DA en 2006 à 85,8 milliards de DA en 2010. Sur la même période, la contribution au budget de l'Etat est passée de 19,2 milliards de DA à 31,7 milliards de DA. L'encours des crédits accordés dans le cadre des dispositifs gouvernementaux de création d'emploi est passé à 142 milliards en 2010 (+32% par rapport à fin 2009).

(ii) La part du crédit aux entreprises privées devient majoritaire à partir de 2005. Le crédit a ainsi connu une orientation remarquable vers les entreprises industrielles et commerciales privées. Le volume des crédits aux entreprises publiques a connu un accroissement de 3.6% par an tandis que les crédits aux entreprises privées ont augmenté de plus de 8% par an.

(iii) Les crédits à l'économie ont enregistré un taux de croissance annuel moyen de 5.3% sur la période 2000-2011. Le volume de crédits reste nettement inférieur par rapport à d'autres pays de niveau de développement comparable et aux besoins de l'économie. Le ratio crédits/PIB n'est que de 18% en 2014 contre 75.7% en Tunisie, 74.5% en Turquie, 124.7% en Malaisie, 100% au Vietnam, et le taux global de distribution des crédits (ratio prêts/dépôts) est de 52% contre 124% pour la Turquie, 95% pour la Tunisie et 103% pour le Maroc.

(iv) Les différentes banques publiques diffèrent peu en termes de services de clientèle. La nature largement publique du système bancaire se traduit par des risques d'alea moral (moral hazard) élevés. En effet, les banques peuvent se trouver (moralement) encouragées à moins de rigueur de gestion du fait de la quasi-certitude d'intervention de l'Etat pour empêcher toute cessation d'activité d'une banque.

(v) Pratiquement, seuls quatre produits sont offerts: le compte à vue, le compte sur livret, le compte à terme et les bons de caisse alors que la demande potentielle de produits financiers se diversifie et s'intensifie du fait de l'accroissement du revenu net des ménages et de l'émergence d'entreprises privées dégageant une épargne significative. La référence à la situation de collecte des ressources des pays voisins indique par défaut que les banques semblent incapables de mobiliser une épargne significative qui demande d'autres produits bancaires.

(vi) Les pratiques de gestion du crédit par les banques ne répondent aux critères de rationalité: écart (spread) anormal entre le taux des prêts (6.7%) et le taux de rémunération des dépôts à terme (2%) à un an, courbe des taux plate; les taux de prêts sont les mêmes pour les prêts à court, moyen et long terme et, enfin, rémunération des dépôts à terme trop faible pour attirer l'épargne par ailleurs disponible. La mobilisation de l'épargne et le financement de l'investissement sont sérieusement freinés.

(vii) La couverture bancaire est insuffisante avec un guichet/25.200 habitants, bien inférieur à celui d'autres pays maghrébins tel le Maroc (7100 h par agence) et la Tunisie (8600 ha);

(viii) Le ratio de transformation de dépôts en crédits, signe d'efficience de l'activité bancaire, reste relativement stable: alors que le volume des ressources collectées s'est pratiquement multiplié par 4,7, au cours de la période 2003-2011, celui du crédit bancaire s'est multiplié par 3,7. Le secteur bancaire public a certainement amélioré sa capacité de transformation des ressources en crédits mais celle-ci reste limitée. Le score des banques privées est de loin incontestablement supérieur.

On constate ainsi l'essoufflement de la capacité du système bancaire public, malgré les interventions répétées de l'Etat (mise en place du FGAR et de la CGCI - PME, dont la garantie a été assimilée à une garantie de l'Etat), à transformer des ressources collectées (dépôts à vue et à terme) en crédits à l'économie. On tire aisément la conclusion qu'il est nécessaire de mettre les banques publiques en situation d'efficience. En fait, c'est tout le secteur bancaire qu'il faut mettre en situation de mieux servir l'économie. En effet, le secteur privé à capitaux étrangers ne doit pas faire illusion. Depuis 2009, le ralentissement d'implantation de nouvelles entreprises étrangères met les banques privées déjà sur le marché en situation de rente et il est vraisemblable que celles-ci qui avaient amorcé un processus de développement de leurs opérations vers les entreprises algériennes moyennes reviennent au crédit le plus rentable et le moins risqué celui du commerce extérieur et de la consommation. Le système bancaire ne semble pas capable de servir l'économie.

Une telle situation révèle le défaut structurel de la situation du marché et l'explique. Il est nécessaire de procéder à une réforme structurelle en profondeur de l'ensemble du système bancaire et la clé est dans le renforcement du caractère compétitif du marché notamment par l'ouverture du secteur.

Le problème est de savoir quelles politiques mettre en œuvre alors pour assurer la réforme du système financier?

Nous aurons l'occasion d'en parler mais notons que la réforme du secteur financier est bien plus qu'une réforme dans le sens général où l'entendent la plupart des experts algériens et le gouvernement, c'est-à-dire le réajustement de l'organisation du secteur bancaire public. Etant donné donc l'intégration du marché financier, limiter la problématique de la réforme au seul problème de l'efficience des banques publiques, c'est rester loin de l'objectif de doter l'économie d'une véritable industrie financière.

La réforme du système financier est un élément central de la transformation du cadre de fonctionnement de l'économie nationale. Elle doit être appréhendée comme la locomotive devant entraîner la transformation du cadre de fonctionnement de l'ensemble de l'économie. Elle est fondamentalement la mère des réformes.