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C'est une vidéo édifiante qui circule sur les réseaux sociaux. Datant du
2 octobre 2015, et d'une durée de neuf minutes, on y découvre un moment bien
précis des délibérations du Conseil régional de Lorraine. L'un des points à
l'ordre du jour concerne une demande d'aide financière à accorder à une
entreprise locale pour la mise en place d'un centre de formation à la guerre et
au maniement des armes. On y apprend très vite que le public concerné par cet
apprentissage particulier est composé de soldats saoudiens. Sans éclats de
voix, la majorité des partis politiques présents dans l'enceinte critiquent
ouvertement ce projet, rappellent avec des propos plus ou moins pertinents la
nature politique de la monarchie saoudienne ? une élue insiste sur la
condamnation au fouet du bloggeur Badawi
- et finissent par se prononcer contre le financement demandé (600.000 euros)
ou s'abstiennent de voter. Seul le groupe socialiste, représenté en plus grand
nombre, vote pour et le projet est donc adopté?
Bien entendu, il est délicat de partir de cet exemple précis pour en tirer des conclusions générales. Il n'empêche. Depuis les attentats sanglants du 13 novembre dernier à Paris, une grande partie de l'opinion publique française s'interroge quant à la responsabilité, directe ou indirecte, de la monarchie wahhabite dans la propagation du terrorisme islamiste aux quatre coins de la planète. Pour autant, ces interrogations, légitimes, ne sont guère relayées par les médias hexagonaux ou par la classe politique (exception faite du Front national). Plus prudents pour ne pas dire attentistes, ces derniers se sont tout de même emparés avec avidité d'un texte de l'écrivain Kamel Daoud publié en français dans la rubrique opinion du New York Times (*). Intitulée, « L'Arabie saoudite, un Daech qui a réussi », cette analyse rappelle la différence ténue entre ce pays et le groupe Etat islamique (EI) en terme d'idéologie politico-religieuse mais aussi de non-respect des droits de l'homme. En somme, Kamel Daoud a écrit ce que nombre de nos confrères français rechignent à dire ou à publier par eux-mêmes en raison de pressions évidentes et des non-dits qui entourent le traitement de ce sujet. Certes, le « Qatar-bashing » a la vie longue mais il sert surtout de manœuvre dilatoire destinée à faire oublier que le fond du problème se trouve à Riyad et non à Doha. Pour ce qui est de l'Arabie Saoudite, la prudence est donc de mise. Certains patrons de presse, marchands d'armes ou de luxe, n'aiment pas trop que l'on titille ce client très très riche. Quant aux responsables politiques aux affaires, ils ne pensent qu'au business et sont d'ailleurs prompts à dédouaner la monarchie. « L'Arabie Saoudite et le Qatar luttent contre Daech (?) C'est incontestable » a ainsi déclaré le Premier ministre Manuel Valls quelques jours après les attaques contre Paris. Le croira qui veut? Rappelons juste au passage ce tweet triomphant du chef de gouvernement après sa visite officielle à Riyad à la mi-octobre : « «France-Arabie saoudite : dix milliards d'euros de contrats ! Le gouvernement mobilisé pour nos entreprises et l'emploi ». N'importe quel progressiste de confession ou de culture musulmane le sait bien. Diffuser des idées modernes, séculaires ou tout simplement démocratiques n'est guère aisé face à la force de frappe du wahhabisme, de ses réseaux et de ses moyens financiers illimités. Quand on explique cela à celles et ceux qui multiplient les injonctions à l'égard des musulmans européens pour qu'ils se désolidarisent du terrorisme, on obtient des réactions gênées, peu convaincues ou bien alors d'un cynisme avoué. Le business, c'est le business et il est plus facile de perquisitionner une mosquée que de mettre en place une enquête parlementaire sur la responsabilité des monarchies du Golfe dans le chaos qui affecte aujourd'hui au moins trois continents. La manière dont l'Arabie saoudite est préservée par les autorités politiques françaises (et occidentales) met en relief, non pas l'influence directe des dirigeants saoudiens sur leurs homologues mais l'activisme incessant des groupes industriels qui font d'excellentes affaires dans le Golfe (ou ailleurs). Ainsi, quand un homme politique français hésite à dire du mal de l'Arabie Saoudite, ce n'est pas parce qu'il craint la réaction de cette monarchie (les diplomates sont là pour arrondir les angles ensuite) mais c'est parce qu'il est redevable à tel ou tel groupe de pression dont les gazettes parlementaires et politiques ne parlent presque jamais. De son côté, Riyad, certainement conseillé par de puissants cabinets occidentaux de relations publiques, tient absolument à empêcher que l'amalgame « wahhabisme ? Daech » continue à être fait. Des poursuites en justice systématiques sont donc évoquées. Celles et ceux qui envisagent de rappeler la manière dont l'Etat saoudien est né au début du XXème siècle, avec les innombrables et effroyables massacres commis par les milices bédouines alliées du roi Ibn Saoud ? les fameux Ikhwan que le souverain a fini par mettre au pas avec l'aide de l'armée britannique ? savent donc les risques désormais encourus. La presse saoudienne a d'ailleurs lancé une offensive qui ne passe pas inaperçue. Selon le blog spécialisé « The Mideastwire », nombre de journaux mais aussi de télévisions de la péninsule tentent d'accréditer la thèse que le terrorisme qui a sévi à Paris est d'essence occidentale. Il est ainsi rappelé que Abdelhamid Abaoud, le « cerveau » des attentats de Paris, a suivi une partie de ses études dans « une école catholique ». Ce qui expliquerait sa dérive puisqu'il n'aurait pas suivi les bons préceptes wahhabites qui, comme chacun le sait, sont la représentation même de la tolérance et de la modernité. A l'occasion, il faudra peut-être se pencher aussi sur le cursus scolaire et universitaire des quinze saoudiens impliqués dans les attentats du 11 septembre 2001? (*) 20 novembre 2015, texte disponible sur internet, www.nytimes.com |
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