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Certainement,
cette Syrie déchirée de 2015 n'est plus dans son âge d'or. Victime d'enjeux
régionaux globaux, elle est aujourd'hui écartelée entre le fait de chercher à
être soi-même et celui de se conformer aux intérêts géostratégiques des autres.
Dépouillée de sa souveraineté territoriale ; détruite ; blessée ; endeuillée, elle fait encore le pied de grue dans cette vaste salle d'attente du spectacle, son spectacle s'entend dont les acteurs ne sont autres que les Etats Unis, la France, les pays du Golfe et surtout la Russie. En effet, la stratégie militaire russe au Moyen-Orient se précise de jour en jour. Dans sa confrontation avec l'Occident, Poutine semble appliquer à la lettre la maxime inscrite dans «l'art de la guerre», une œuvre de Sun Tzu, un général chinois du VI siècle AV. J.-C, « les guerriers victorieux, dit ce dernier, gagnent d'abord et vont ensuite en guerre, tandis que les guerriers défaits vont à la guerre puis cherchent à gagner». Après le dossier géorgien, celui de l'Ukraine et de la Crimée où les occidentaux se sont vu infliger une cuisante défaite diplomatique, c'est dans ce piège de la Syrie que Poutine veut les enfoncer encore plus. Vladimir Poutine revient sans cesse ces dernières années à la charge pour replacer son pays aux premières loges dans l'échiquier international, c'est-à-dire, déterrer le vieux rêve de l'ex-URSS. Avec en vue le danger de la nébuleuse «Daesh» comme argument, il compte cette fois-ci aller plus loin en supplantant les américains dans la région. En retrait, ces derniers l'accusent de cibler par son aviation et ses missiles lancés depuis la mer Caspienne tous les points forts de l'opposition syrienne. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'O.T.A.N l'aurait même regretté et prévenu les forces russes sur les violations de l'espace aérien turc, assurant que l'organisation atlantique est prête à défendre tous ses alliés (en fait les missiles Patriots de l'O.T.A.N déployés en Turquie seront toujours opérationnels bien que ce soit prévu de les neutraliser avant la fin de l'année, relents de la guerre froide et crispation des rapports Est-Ouest obligent). Quant à Ashton Carter, le secrétaire d'Etat américain à la défense, il a tout simplement qualifié le branle-bas de combat russe en Syrie d'«erreur fondamentale». Or de l'autre côté de la rive, les choses sont vues autrement, Faysal Mikdad, le vice ministre syrien des affaires étrangères s'est félicité des résultats satisfaisants de cette offensive, plus rentable à ses yeux que toutes les actions de la coalition enclenchées il y a un an. D'ailleurs à en croire les dernières révélations, les hommes d'Al-Assad ont avancé sur Hama, Idleb, l'Attaquié et d'autres villes aux mains des islamistes. Et le combat face-à-face? Pas question pour ce téméraire Poutine de laisser se redéployer ses armées sur le sol! Le lointain souvenir afghan est là pour l'en dissuader. Reste pour le Kremlin le risque de la contagion du conflit aux pays frontaliers (Irak, Afghanistan, Pakistan, Tadjikistan, etc.), une faible hypothèse qui fait peur. En plus, avec ces frappes intensives, les russes peuvent provoquer plus d'exode de populations syriennes et feront à terme échec à l'initiative européenne de création de zone tampon sécurisée à la frontière nord de la Syrie pour l'accueil des réfugiés qui fuient la guerre. Et l'opposition? Mais laquelle? L'homme fort de la Russie réfute dans une récente interview cette thèse en s'appuyant sur les solides liens de celle-ci avec les islamistes. Et puis comment ces américains-là puissent-ils larguer des tonnes d'armes sur la Syrie comme l'ont déjà fait avant eux les français en Libye (l'opération de l'Harmattan) alors qu'ils savent bien qu'elles (les armes) risquent de tomber entre les mains de Daesh? Imparable sur ce plan-là, la diplomatie russe s'est imposée dans le débat concernant le futur de cette Syrie aujourd'hui à feu et à sang. Et pour ficeler son arsenal argumentaire, elle a invité la semaine dernière Al-Assad pour effectuer une visite du travail à Moscou. Le contenu des pourparlers? Personne n'en sait une bribe mais il semble bien que la Russie pense déjà à l'après-Assad, une transition qui sera forcément négociée avec l'Iran, le Hezbollah et peut-être même l'Arabie Saoudite. En tout cas, cette sortie présidentielle syrienne est un aveu de reconnaissance implicite du Kremlin de celui que la plupart des capitales occidentales considèrent jusque-là comme «le bourreau du Damas»! A y voir de plus près, la tactique des russes est à double tranchant : affaiblir sinon décimer en premier lieu cette soi-disant «opposition», tout en faisant de Daesh un grand monstre aux yeux du monde entier de sorte à ce qu'ensuite les occidentaux se rallient, une fois le terrain des affrontements balisé, à l'alternative d'Al-Assad versus les islamistes! L'ultime combat de coqs auquel assisteront en spectateurs tous les pays arabes voisins. Sans doute, la ligne de fracture dans les rangs de la coalition que les russes exploitent actuellement est la méfiance réciproque qui s'est graduellement installée entre la France de Hollande et les Etats Unis d'Obama, pourquoi? On se rappelle bien qu'en 2013, le président français a promis de «punir Al-Assad» suite aux attaques chimiques du 21 août de la même année du régime baâssiste contre les populations civiles des faubourgs du Damas. Une attaque dont le bilan remonte à plus de 1000 morts. Obama qui s'est emballé au départ à l'idée de bombarder la Syrie s'est rétracté à la dernière minute, laissant son allié français dans l'embarras face à son opinion publique (un taux d'impopularité des plus bas depuis l'avènement de la V République) et aussi par rapport à l'international. Quant à l'Angleterre, autre allié historique de l'oncle Sam, elle est devenue presque muette sur tout ce qui a trait aux questions du Moyen-Orient dans la mesure où le gros mensonge du Blair sur l'Irak a anesthésié sa sensibilité. A telle enseigne que dernièrement même, Jeremy Corbyn, le nouveau leader travailliste aurait promis de donner s'il est élu des excuses au peuple irakien pour cette bourde historique d'invasion illégale de l'Irak en mars 2003. Les fissures chez les alliés sont donc apparentes et Poutine plus que pragmatique les saisit au bon moment : l'approche de l'échéance des présidentielles de 2016 aux Etats Unis. S'ajoute à ce cortège de faiblesses, la déclaration de Hillary Clinton citée dans son ouvrage «Hard Choices» (Le temps des décisions) paru en juin 2014, suivant laquelle l'essor régional de l'organisation islamiste «Daesh» aurait été favorisé par le manque de soutien américain à l'opposition syrienne. Ce qui a d'ailleurs été interprété par nombre de pays arabes (Le Liban et l'Égypte notamment) comme un apport américain déterminant à la création de Daesh, et par ricochet, à la contamination du fameux Printemps Arabe. A vrai dire, la théorie de «la complotite» est un sous-entendu qui revient souvent quand on évoque cette machine terroriste qui joue sur la fibre spirituelle de l'islam, répand la peur et le sang en orient, viole les femmes, menace les minorités chrétiennes, détruit des sites archéologiques millénaires, s'oppose à la démocratie du type moderne, etc. Entre temps, les regards des pays occidentaux se tournent d'abord vers l'Arabie Saoudite, le poids lourd sunnite des pays du Golfe, farouchement opposé à la Syrie d'Al-Assad (470 milliards dollars du P.I.B en 2012 contre 1600 milliards pour l'ensemble du conseil coopération du Golfe «CCG»), sans oublier son attraction spirituelle et symbolique pour tout le monde musulman (lieux saints de la Mecque, Médine) et son alignement systématique sur les positions occidentales. Ensuite vers la Turquie, considérée comme unique possible rempart contre cette machine islamiste. Bien entendu, les kurdes sont un secours fiable pour contrecarrer les islamistes et une simple promesse de reconnaissance de leur identité, conscience nationale, Etat suffit pour les galvaniser (les kurdes ont été marginalisés du jeu politique depuis le traité de Sèvres de 1920 qu'Atatürk aurait conclu avec les alliés). Les américains le savent et jouent là-dessus. Or le troublant Erdogan s'y prend d'une manière floue qui suscite plus d'une interrogation surtout au lendemain du dernier attentat d'Ankara où plus de 90 de kurdes ont péri. En outre, la question migratoire n'est pas en reste, un poker gagnant pour Erdogan et les russes. La Turquie accueille en effet dans ses camps de réfugiés plus de 2,5 millions d'exilés syriens. Ce qui amène l'Europe à avoir recours à sa bonne volonté afin de contrôler les flux migratoires de plus en plus denses, en particulier le passage des réfugiés syriens d'abord vers les îles grecques, puis, vers les pays environnants du continent européen (plus de 700 000 sont entrés jusqu'à présent sur le territoire de l'U.E). Et comme Erdogan est un allié stratégique à cheval entre la Syrie et l'Iran, les européens lui ont proposé «un plan d'action» en échange de la coquette somme de 3 milliards d'euros affectée spécialement à ces camps-là. Autrement dit, la Turquie sera sommée dorénavant aux termes de ce plan de reprendre tous les réfugiés refoulés de la Grèce du fait qu'ils ne sont pas éligibles au droit d'asile. Là, le président turc, pressé par la perspective des législatives de novembre, aurait réagi par la Realpolitik (un poker gagnant), en exigeant davantage de facilités dans l'octroi des visas pour ses citoyens, et surtout une reconnaissance européenne explicite de son pays comme Etat de droit, étape préliminaire à son intégration à l'U.E. Ce qui n'est pas du tout envisageable par ces européens-là d'autant que la politique d'Erdogan est, d'une part, jugée trop autoritaire (beaucoup de verrous aux libertés individuelles, conservatisme, islamisme, etc). D'autre part, sa répression du P.K.K (le parti des travailleurs du Kurdistan) et sa gestion du dossier de Daesh sont des plus contestables. Enfin, au-delà des ramifications du conflit syrien, les russes s'adonnent à une démonstration de force qui annonce en filigrane leur retour triomphal dans la cour des puissants. Un tel investissement propagandiste met mal à l'aise et les américains et les français. En même temps, les syriens, eux, souffrent d'une atroce guerre civile qui s'est transformée au bout de 4 ans en un conflit mondial aux conséquences désastreuses. Terrible! * Universitaire |
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