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La conflictualité actuelle du Moyen-Orient est
un effet lointain de cet accord secret signé par l'Angleterre et la France en
1916 !
On va bientôt célébrer le centenaire de l'accord secret Sykes-Picot. L'Anglais Marc Sykes et le Français Georges Picot ? Ces deux diplomates ont, en toute confidentialité, scellé le 16 mai 1916, en pleine Première Guerre mondiale, le futur partage du Moyen-Orient, alors sous la domination de l'Empire ottoman. Cet accord confidentiel entre les deux principales forces militaires, alliées dans l'affrontement avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, produit encore ses effets un siècle plus tard, dans les conflits qui ravagent le Proche et le Moyen- Orient. En 1914, l'Empire ottoman était « l'homme malade de l'Europe », pour reprendre l'expression de l'empereur russe Nicolas Ier de 1853. Ce propos, qui caractérise, paradoxalement, l'ancrage européen de l'actuelle Turquie, souligne, également, la lente érosion de l'Empire turc. Au XIXème siècle, la « Sublime Porte » a déjà perdu ses possessions en Europe même : en 1830, la Grèce, soutenue par les puissances occidentales, accède à l'indépendance. Puis, l'empire est incapable d'empêcher l'indépendance des Balkans. Il a déjà perdu ses possessions dans le Maghreb : la France a pris possession de l'Algérie et de la Tunisie. L'Egypte est anglaise. En 1913, la défaite turque dans la seconde guerre balkanique confortait la volonté du parti des Jeunes-Turcs, alors au pouvoir, de se débarrasser des ingérences occidentales «mais au prix d'un centralisme autoritaire qui suscitait l'émergence d'un mouvement autonomiste arabe, prêt à chercher des appuis chez les Européens », note l'historien Henry Laurens. Leur volonté de relever l'empire les entraîne dans l'alliance avec l'Empire allemand. En 1914, les jeunes-Turcs déclarent la guerre à l'Entente franco-anglaise et entreprennent de grandes offensives vers l'Égypte et le Caucase. Ce sont des échecs : l'empire n'a pas les moyens de sa politique, il est ravagé par les épidémies et les famines. Les Jeunes-Turcs entendaient, également, s'affranchir des dominations étrangères européennes et liquider les autonomismes locaux : les Arméniens (70% de la population en meure, la plupart des autres s'enfuient), les populations chrétiennes, chiites, les élites politiques arabes ?indépendantistes, en payèrent un lourd tribut. Cherchant à déstabiliser les deux grandes « puissances musulmanes » que constituent les empires coloniaux français et britanniques, les Ottomans appellent même à la « guerre sainte », au djihad. Déjà, l'Islam sert de caution à de prosaïques enjeux territoriaux. Mais l'appel à la guerre sainte, lancé par le sultan comme calife de l'islam, a peu d'échos. Un partage du Moyen-Orient qui dure depuis un siècle Pour défaire le pouvoir ottoman, l'Angleterre et la France qui regardent avec avidité les beaux restes de l'empire chancelant, tentent une intervention directe dans les Dardanelles, sur la côte turque, en 1915. Un gros échec. Les deux pays, en revanche, soutiennent avec succès la « grande révolte arabe » menée contre l'Empire ottoman par le chéri Hussein, émir de La Mecque. Le célèbre Lawrence d'Arabie était l'un des agents anglais chargé du travail sur le terrain. Fin 1915, la France et l'Angleterre, alors à la tête des deux empires coloniaux qui dominent le monde, anticipant une éventuelle victoire, se décident à se partager les restes de l'Empire ottoman, déjà moribond. Ce fut négocié, dans le secret des cabinets ministériels, pour cacher les ambitions, masquer les appétits mais aussi pour étouffer les tensions visibles entre les deux compères car une féroce rivalité existe entre les deux forces coloniales qui chacune veut en « avoir plus». On arrive, finalement, à un compromis: Les Français administreront, directement, une zone allant du littoral syrien jusqu'à l'Anatolie ; la Palestine sera internationalisée (condominium franco-britannique de fait) ; la province irakienne de Basra et une enclave palestinienne autour de Haïfa seront placées sous administration directe des Britanniques ; les Etats arabes indépendants confiés à la dynastie hachémite de Hussein, seront partagés en deux zones d'influence et de tutelle : l'une au nord confiée aux Français, l'autre au sud aux Britanniques. La ligne dite Sykes-Picot, qui divise le Proche-Orient, doit aussi permettre la construction d'un chemin de fer britannique de Bagdad à Haïfa. Russes et Italiens donnent leur approbation à cet accord, dont les Hachémites ne sont informés qu'en termes voilés et confus. Le compromis entre les deux puissances occidentales rivales sera, plusieurs fois, remis en cause à la marge par ces dernières et leurs partenaires : le président américain Wilson estime que les Etats-Unis, rentrés dans le conflit en 1917, ne sont, nullement, liés par l'accord secret franco-anglais. La Russie qui est devenue république bolchévique, dans la même période, maintient ses ambitions dans le Caucase et sur l'Iran, anciennes provinces turques. Les puissances occidentales ont, surtout, à l'époque, pris conscience que le Moyen-Orient possédait en masse une manne précieuse pour toute l'économie mondiale : le pétrole. Un compromis définitif se dégage à la conférence de San Remo, en 1920: La France reçoit mandat du Liban et de la Syrie, la Grande-Bretagne de l'Irak, agrandi de Mossoul, cédée par les Français en échange d'une participation aux bénéfices pétroliers du bassin de Kirkourk. Les Kurdes à qui les puissances occidentales avaient promis l'indépendance, voient, donc, leurs espoirs noyés dans le pétrole. L'Angleterre reçoit, également l'Egypte, Chypre et la côte du Golfe Persique, rentrés, formellement, dans la sphère d'influence anglaise qui s'exerce, aussi, sur la Transjordanie et la «Terre Sainte », région désignée, alors, sous son nom romain de Palestine. Le royaume de Jordanie est créé de toutes pièces. Pour compliquer un peu l'affaire, l'Angleterre, pour affaiblir encore davantage l'empire turc, avait annoncé, en 1917, par la bouche de lord Balfour, l'établissement « en Palestine » d'un Foyer national juif, qui donnera en 1948, la création d'Israël. L'accord franco-britannique doit, néanmoins, faire face à une double opposition : l'insurrection nationale turque de Mustafa Kemal Atatrük en Anatolie et l'installation du pouvoir des Hachémites, s'appuyant sur les nationalistes arabes, en Irak et en Syrie. Les fils de Hussein entrent dans le jeu : Fayçal est reconnu monarque d'Irak et son frère, Abdallah, émir de Transjordanie. « Tout est en place, dans ce Moyen-Orient en miettes, pour les guerres et les tragédies qui suivront. Jusqu'à nos jours? », note Françoise Germain-Robin. Dans un récent ouvrage, ?Le piège Daech', l'État islamique ou le retour de l'histoire, Pierre-Jean Luizard analyse les ressorts historiques complexes qui éclairent l'action de ce nouvel acteur dont l'objectif déclaré est l'abolition des frontières héritées du colonialisme. Dans ses conclusions, l'auteur souligne la faillite des États en phase de décomposition. Internationalisation du conflit Israël, Palestine, Irak, Syrie, Turquie, Iran, Jordanie, USA, Russie, France, Angleterre, les Kurdes, les Chrétiens d'Orient, les réfugiés, le Djihad? et le pétrole : un siècle plus tard, tous les acteurs de 1917 sont là ! Les frontières actuelles, définies dans le secret des cabinets diplomatiques sont, semble-t-il, en train d'exploser. Mais comme le souligne l'historien libanais Georges Corn, citée par Lina Kennouche, les entités artificielles et fragmentées, créées par l'accord de 1920, peuvent résister. Il s'est créé, selon lui, des « nationalismes provinciaux » qui ne remettent pas en cause l'ordre politique actuel : si les Etats-Unis depuis l'arrivée d'Obama, sont plutôt en retrait du dossier proche-oriental, « la soft power américaine est colossale, et le nombre de régimes arabes qui sont à la dévotion des États-Unis ou qui font de la surenchère sur la politique américaine, contre l'Iran, est très impressionnant. Croire qu'une puissance impériale a une seule stratégie est une erreur que font la plupart des analystes, et croire en la rationalité des stratégies est une seconde erreur. Un accord avec l'Iran ne fera qu'augmenter l'influence américaine. Sa stratégie même d'endiguement de la Russie et de la Chine passe par le contrôle du Moyen-Orient ». Oui, mais? Par sa percée rapide politique et militaire, Daesh a conquis une partie de l'Irak et de la Syrie et, malgré ses exactions barbares et hyper-médiatisées par lui-même, « l'Etat islamique » a su gagner, politiquement, d'importantes populations sunnites, dans ces deux pays (et peut-être des sympathies ailleurs). L'arrivée de la Russie complique, encore, la donne, et la place et l'importance de tous les acteurs. Vladimir Poutine fait intervenir, avec force, (et visiblement avec plus de succès sur le terrain que les Occidentaux), son aviation en Syrie tout en soutenant Bachar el-Assad. La Turquie, membre de l'OTAN qui avait, largement, laissé faire Daesh, en échange de son pétrole, annonce sa mobilisation anti-djihadiste, mais s'en prend, surtout, aux populations et formations kurdes, en Turquie et en Syrie. Israël qui avait profité de l'imbroglio général pour conforter sa colonisation, dans les territoires occupés, se heurte, aujourd'hui à, une nouvelle Intifada en Palestine. Les actions désespérées et suicidaires des jeunes palestiniens, viennent aujourd'hui, souligner l'apathie, voire la complicité des « organisations internationales » devant l'occupation illégale des territoires palestiniens, depuis 1967 ! Le 3 octobre, l'Otan organise à partir de samedi son plus grand exercice militaire, depuis plus de dix ans, avec la participation d'environ 36.000 soldats, dans un contexte de tensions avec la Russie sur la Syrie et l'Ukraine. Baptisé ?Trident Juncture', l'exercice, d'une ampleur inédite, depuis 2002, est prévu jusqu'au 6 novembre. Outre les entraînements terrestres et aériens, des manœuvres navales dans l'Océan atlantique et en mer Méditerranée, les scénarios intégreront toutes les composantes de la guerre moderne, mais aussi la défense antimissiles, les attaques informatiques et la «guerre hybride»? Ces manœuvres apparaissent, clairement, comme un avertissement à Vladimir Poutine. La nouvelle administration Obama avait mis, sous le boisseau, le projet de Georges Bush du « Grand Moyen-Orient », remodeler la région sous prétexte d'y étendre la démocratie, en démantelant les Etats «rebelles», indociles aux volontés géopolitiques des Etats-Unis et de leurs alliés, notamment dans le Golfe. On avait assisté, depuis, à « la mise en œuvre catastrophique de ce projet en Irak en 2003, puis successivement en Libye et en Syrie en 2011 et aujourd'hui au Yémen par le truchement de résolutions de la moribonde Ligue arabe, entérinées par le Conseil de sécurité, note Georges Corn, ces actions ont fait le lit de l'Etat islamique ». Les pétromonarchies, « de concert avec la Turquie, aux aspirations régionales, ont financé et armé cette seconde génération de groupes terroristes, issus de la mouvance d'Al-Qaida, notamment le prétendu «Etat islamique» et le front dit «Al-Nosra». La diplomatie russe a beau jeu de jouer sur ces nombreuses ambiguïtés du camp occidental. Elle questionne, publiquement, ses gouvernants: « de Bachar el-Assad et de Daesh : quel est le plus dangereux ? ». Daesh, bien sûr ! Et de nombreux pays européens, rendus frileux par l'arrivée massive de réfugiés syrien, sur leur sol, ont tendance, aujourd'hui, à opiner du bonnet. Au grand dam de Washington, Paris et Londres, les tenants d'une ligne dure, vis-à-vis de Bachar el-Assad, en apparence, d'une trop forte présence russe dans la région, en réalité. Le danger, c'est qu'aujourd'hui les risques d'escalades militaires incontrôlées se multiplient. On voit dans les tribunes, analyses, colloques, poindre les dangers d'une « 3ème guerre mondiale ». On n'en est pas là mais une internationalisation croissante des nombreux conflits du Moyen-Orient, on en est en plein dedans ! |
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