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![]() ![]() ![]() ![]() Cracovie.
Le ciel polonais est gris comme il se doit. La ville est belle car elle est
l'une des rares à avoir été épargnée par les bombardements lors de la 2ème
Guerre mondiale. Pluie fine qui vous incite à l'art perdu du piéton. Pourquoi
art perdu ? Parce qu'en Algérie (on s'en souvient) l'art est de s'adosser, pas
de déambuler. D'ailleurs, si les routes sont mauvaises chez nous, les trottoirs
sont pires : occupés, envahis, désossés, mal faits ou impossibles à parcourir.
L'art du piéton est un art disparu, entre mauvais carrelage et calendrier des
prières. Pour se promener il vous faut un pays et des chaussures et une
philosophie douce mêlant l'attente, la contemplation et la paix intime. Choses
rares. Retour à Cracovie : ici, le mur est beau mais les élections sont
proches. Celle d'un nouveau parlement. Et comme partout en Europe, c'est la
montée de la droite et des populismes. La campagne électorale est centrée sur
la question des migrants qui arrivent : qu'en faire ? Comment faire ? Selon la
réponse, on est de droite, de gauche ou d'extrême-droit ou terrorisé. Les
Polonais n'échappent pas à la sur-médiatisation et à ses conséquences. «Parfois
j'ai honte d'être Polonaise !», dira une interlocutrice au festival où je suis
invité. Pourquoi ? «A cause du traitement de la question des migrants» : les
Polonais ont subi cela il y a à peine cinquante ans et aujourd'hui il
l'oublient ; comme les Italiens, les Français, les Portugais? etc. D'ailleurs,
le discours est construit sur les même thème que Chourouk (chez nous) face aux
Subsahariens : les migrants apportent la maladie, le crime et la violence. La
propagande anti-refugié est féroce et touche l'opinion au cœur du sensible et de
la peur. Surtout dans des pays sans échanges de cultures de frontières avec
l'Autre, soumis aux médiatisations hystériques et géographiquement loin du
monde dit «arabe». A Cologne, en Allemagne, une maire a été poignardée pour ses
engagements pro-migrants. La propagande est féroce d'ailleurs : les refugiés
sont accusés d'être porteurs de maladies, d'être des terroristes, des
islamistes, de venir se cacher en Europe par lâcheté abandonnant femmes et
enfants?etc. En face, et pour démanteler cette vision inhumaine de l'Autre,
c'est le vide et le malaise. La question divise la gauche d'Europe et paralyse
les esprits un peu partout : on ne sait que faire entre la peur d'être envahi
et l'obligation morale d'accueillir. Dilemme loin des géographies du Sud ou la
question est parfois mal tranchée : on n'accueille personne chez Allah (Alias
les principautés Sud Golfe et l'Arabie saoudite) et on donne un peu de pain
dans les rues d'Alger ou du Caire car les régimes ne savent pas quoi faire du
migrant : le chasser est impossible mais l'aider est en contradiction avec le
principe de solidarité idéologique entre les régimes. Le laisser trainer dans
les rues est même bien pour faire peur à ceux qui sont tentés par la demande de
démocratie ou la menace du soulèvement.
L'Occident a pour malheur d'avoir voulu incarner la Morale universelle : aujourd'hui il est accusé au nom de cette morale. Le procès est dur et vrai et faux et permet de réarmer les extrémismes même chez nous : l'anti-occidentalisme permet de la vigueur à l'islamisme et du recrutement pour les populisme chez nous. La géographie est affect et la carte du monde est une chaussure : enfilée pour fuir ou jetée pour frapper. Le Réfugié est la contradiction de l'Occident moral mais il est aussi l'incarnation de notre contradiction profonde : on crache sur l'Occident au nom de l'islam mais c'est vers l'Occident qu'on fuit pour sauver sa vie et non vers La Mecque. La Pologne va donc voter dans une semaine pour son parlement. Le parti de Droit et de la Justice est donné favori. La «terreur des migrants» va jouer fort, comme partout dans ce continent. Souvenir d'un slogan peint en orange fluo sur la route vers l'aéroport Charles-De-Gaulle, juste la veille : «Marine, vite !». Faut-il se construire un mur des lamentations ? Non, justement ; l'Occident a peur et c'est légitime. Il est soumis aux propagandes massives et cela est une réalité. La question du migrant est une question d'humanisme, de politique, d'élections mais aussi de lentes et constantes explications. Au sud, nous ne faisons pas mieux avec les Subsahariens. Et si les Syriens se jettent à la mer, ce n'est pas parce que la Révolution est un mal. Le mal est ce qui la rend inévitable. Cracovie. Demain Varsovie. Dans les restaurants, les gens vous regardent avec indifférence, bienveillance ou avec appréhension : votre peau est drapeau. Peut-être est-ce vous le Réfugié dont on parle partout. La vieille reste belle cependant. On y vend partout des anges car l'Église y est un parti et le ciel un cerf-volant pour les Églises nombreuses. Solidarno??. Le mot était polonais il n'y a pas si longtemps. |
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