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DES HOMMES ET
LEURS MONDES.Entretiens avec Smain Laacher. Par Nadia Agsous. Editions Dalimen,
Alger 2014, 212 pages, 600 dinars.
Sur la base des écrits (ouvrages dont «Le dictionnaire de l'immigration en France») de Smain Laacher, l'auteure entreprend un riche entretien avec un homme qui sait de quoi il parle. Issu de parents algériens, mère originaire des Aurès et père natif de Biskra, tous les deux lettrés, il vit en France depuis l'âge de? deux mois. Une famille bien intégrée et des frères et sœur ayant tous fréquenté l'université. Lui-même est un sociologue, entre autres professeur à l'université de Strasbourg, ayant côtoyé, entre autres, à l'EHESS/CNRS et au Centre de sociologie de l'éducation, Abdelmalek Sayad, un immense sociologue et ethnologue, d'origine algérienne, mais bien méconnu chez nous, décédé en 1998. Plusieurs thèmes abordés, avec, à chaque fois, au départ, l'extrait d'un ouvrage (il en a produit une dizaine) de l'interviewé et des questions. Une sorte d'explication de texte à travers neuf entretiens? «L'immigration», «Les nouvelles immigrations», les «Sans-papiers», «Les clandestin(e)s», «Les femmes sur le chemin de l'exil», «Les femmes et la violence», «L'institution scolaire et ses miraculé(e)s», et l'inévitable «Les insurrections arabes». Face à l'intervieweuse, «il dit, il explique, il argumente, il éclaire, il témoigne, il donne à réfléchir, à méditer, à raisonner? sur le monde à partir de ses périphéries et sur les individus qui l'habitent, l'animent et le font exister». Ayant été juge représentant le HCR à la Cour nationale du droit d'asile à Paris, ayant mené plusieurs études sur le terrain au Maghreb, il est tout de même assez sévère avec l'Algérie? et la Tunisie, même s'il n'a pas totalement tort. Il paraît que la société algérienne semble beaucoup plus violente que la société marocaine? que les sociétés algérienne et marocaine sont racistes et xénophobes à l'égard des Subsahariens? et des Chinois (et «le FN français paraît par moment un parti «progressiste») .Explication: les Algérien(ne)s et les Marocain(e)s sont des dominé(e)s qui ont trouvé plus dominé(e)s qu'eux (qu'elles), c'est-à-dire les Noir(e)s. Pour lui, il n'y a, au Maghreb, aucune politique migratoire. Il y a seulement des étrangers. Il n'y a donc que des politiques répressives. Contradiction une page plus loin: Les trois pays sont en train de devenir des pays d'immigration? et beaucoup de migrant(e)s semblent vouloir s'installer définitivement dans ces pays. Pourquoi ? S'y sent-on donc bien ? L'auteure: journaliste et chroniqueuse littéraire. Elle a déjà publié un recueil de textes en prose et en vers agrémentés de dessins. Egalement auteure de plusieurs nouvelles, publiées surtout dans des revues littéraires L'interviewé: plus critique que Chebel, moins spirituel qu'Arkoun. Avis : Un ouvrage à la formule de présentation très originale, qui permettra d'abord de découvrir d'autres ouvrages et un chercheur d'origine algérienne de haut niveau installé à l'étranger. Ensuite, voilà un livre qui peut servir énormément à nos étudiants et chercheurs sociologues, ethnologues? en manque de repères académiques et scientifiques et d'études comparatives. Citations: «Par définition, l'étranger est celui qui est là alors qu'il devrait se trouver ailleurs, c'est-à-dire chez lui, dans son pays d'origine. Dans «étranger» , il y a virtuellement un possible retour chez soi» (citation de Smain Laacher, p 31); «Les déplacements forcés ou contraints (des populations), ce n'est pas un déménagement.C'est un acte qui n'est pas volontaire et qui n'a pas été choisi. C'est un arrachement à sa terre, à sa famille, à son foyer, à sa patrie. Il se fait toujours dans la précipitation et dans la perte de l'essentiel et de façon le plus souvent irréversible» (citation de Smain Laacher, p 73); «Pour le clandestin, ce n'est pas tant où aller que d'arriver qui devient le souci premier» (citation de Smain Laacher, p 91); «Le foyer, c'est le lieu d'où tout part et où tout revient. C'est en dernier lieu un abri? On ne peut pas partir sans penser qu'on reviendra» (citation de Smain Laacher, p 99); «Il est diificile de faire de la sociologie sans replacer les actions et les événements dans l'histoire. Le présent est toujours de l'Histoire en acte» (citation de Smain Laacher, p 148); «S'immoler par le feu (en public) n'est pas un geste anodin? On peut le considérer comme un acte politique au sens premier du terme? Le geste est vécu et perçu comme un défi à l'ordre public et religieux. Et, d'autre part, il prend la signification d'une dénonciation politique de l'injustice» (citation de Smain Laacher, p 180); «Le corps nu (de Aliaa Magda El-Mahdy, la jeune Egyptienne, sur son blog internet)? dépasse un nom propre pour devenir un corps universel? C'est l'exposition d'un corps nu dans une société qui à la fois sacralise, méprise et marchandise le corps féminin? Il est un corps politique? C'est un corps subversif» (citation de Smain Laacher, pp 203 et 205). Eléments pour un art nouveau, suivi de Feuillets épars liés et inédits. Recueil de textes de Mohamed Khadda (préface de Najet Belkaïd-Khadda). Editions Barzakh, Alger 2015, 259 pages, 900 dinars. Un immense artiste. Une figure intellectuelle majeure de l'Algérie indépendante. Ses seuls défauts: timide et discret. Sa grande qualité: très présent sur la scène culturelle, rarement dans les forums, le plus souvent par des conférences, des interventions écrites, l'élaboration de projets de revues ou d'associations. Ses œuvres parlent pour lui? puisant leur génie dans la création individuelle, tout en ne s'empêchant pas de participer à des opérations moins solitaires (exemple des fresques collectives), tout particulièrement celles politico-pédagogiques dans le but évident d'initier le large public à une nouvelle conception de l'art. Bien que communiste (plutôt socialiste) convaincu, il fut contre, tout en la comprenant, la peinture «réaliste» qui flatte les petits sentiments, peut créer un «climat de contrainte» et embourber la peinture dans le conventionnel. Il est à la source d'un vaste mouvement artistique, qui se perpétue de nos jours, les Aouchems, les Sebbaghines? et, visionnaire, il défendit (sans exclure la peinture du chevalet) ce qui, aujourd'hui, est largement imposé, la peinture murale et les fresques, les expositions dans une usine? «à la portée de tous? propriété collective» (mais, au fait, où est celle du village socialiste de Maâmoura, produite par quatre peintres en 1973 ?). L'auteur: né en 1930 à Mostaganem (décédé en mai 1991), artiste polyvalent (peintre, sculpteur, graveur?), un des principaux représentants des «peintres du signe»? Enseignant aux Beaux-Arts, il a même été, un certain temps, un temps très court, sous-directeur des Arts plastiques au ministère de l'Information et de la Culture (Reda Malek étant ministre, la direction de la Culture étant dirigée par Mohamed Saidi... Dans les couloirs du ministère, on croisait alors Rachid Boudjedra, Slimane Benaïssa, Noureddine Abba?). Avis : Un beau livre (agrémenté de dessins et de d'aquarelles du Maître, de témoignages, de notes multiples et diverses). Un livre utile ? Nécessaire? pour se cultiver. Citations: «Sexualité et magie sont des éléments quasi constants de l'art de toutes les époques et sous toutes les latitudes. Que la magie ait fait place à la mystique, que la sexualité soit apparente, médiatisée ou provocante ne change rien à notre affirmation» (p 25); «Il est temps de songer à mettre les mosquées à l'heure des aérodromes» (p 50); «Un art ne peut pas, à l'infini, se redire sans risques et le rayon d'une ruche, aussi parfaites que soient ses proportions, ses alvéoles, n'est qu'un travail d'abeilles besogneuses» (p 51); «Quand la colère et l'impatience sont assumées, investies et deviennent œuvre d'art, ces sentiments - aussi violents soient-ils - inspirent le respect. Il se peut même que l'on ne vienne à les partager, ils deviennent, alors, notre colère et notre impatience» (p 125); «Il n'y a rien de plus navrant que de voir un dessin d'enfant corrigé par un adulte. On conviendra qu'il y a là comme un sacrilège (?). Mais là n'est pas l'essentiel (?). Quand un adulte accorde trop d'attention au dessin, il risque souvent d'oublier l'enfant (?). L'adulte, pour ne pas dire le père ou la mère, participe à une entreprise d'aliénation» (pp 149 et 150); «Artistes, nous ne savons pas opposer la haine à la haine, nous ne proposons que des œuvres d'art avec notre solidarité et notre entêtement à l'espoir» (p 213). Rachid Mekhloufi. Une portion de ciel bleu dans le monde du football. Essai (actualisé) de Hocine Seddiki. Editions al.bayazin, Alger 2014 (SNED, 1982. Epuisé), 157 pages, 1.000 dinars. Savez-vous que le premier footballeur maghrébin en équipe de France venait d'Algérie, un certain Bennouna Ali, né en 1917. Deux sélections en 1936. Un ailier gauche ! Mais le plus grand, le plus fort, le plus beau (moustaches à la Errol Flynn et sourire séduisant) reste et restera dans la mémoire des Français et des Algériens celui qui, né en août 1936, endossa un maillot de professionnel (ASSE Saint-Etienne) à l'âge de 17 ans, titularisé à 18 ans, l'un des rares, sinon le seul joueur algérien à être admis dès sa première saison en équipe première. Des buts, des buts? Une carrière fulgurante. L'équipe de France Espoirs, l'équipe de France B et l'équipe de France A, en 56, champion du monde militaire en 57? et, avec pour horizons la Coupe du monde en Suède (en même temps que Mustapha Zitouni, le solide demi-centre de Monaco). Entre-temps, la guerre faisait rage sur le sol natal. Il fallait participer au combat libérateur. Mohamed Boumezrag était là: lundi 14 avril 1958, ils sont (d'abord) dix joueurs à quitter, en deux groupes, la France et leurs clubs, leur carrière et leur gloire? pour rejoindre le FLN. Une autre vie. Une autre histoire, historique celle-ci. 1962, l'indépendance. Quatrième vie. Une autre histoire. C'est le retour à Saint-Etienne en passant par le Servette de Genève. Champion de Suisse. Champion de France trois fois, Trophée des Champions en 1967, vainqueur de la Coupe de France en 1968? Puis deux années à Bastia. L'Algérie au cœur. L'Algérie inoubliée, inoubliable et inoublieuse. Tout au long des années 70 et 80. Un immense formateur: entraîneur de l'équipe nationale militaire, victoire sur la France en finale des JM 1975 (avec la «classe biberon») devant 100.000 spectateurs, à Alger, entraîneur de l'équipe nationale... Il a même été président de la FAF quelques mois et entraîneur dans des pays arabes (Tunisie, Liban). Que d'aventures pour ce «rebelle du foot» (Eric Cantonna dixit) qui a toujours refusé la mauvaise foi et le déni de la parole donnée. Car les coups fourrés, il y en eut? surtout en Algérie ! Saint-Etienne, pour sa part, reconnaissante, l'a désigné ambassadeur du club? et au stade Geoffroy Guichard, il a un siège (à vie) dans la tribune officielle. L'auteur: un des plus anciens journalistes du pays et une des plus anciennes maisons d'édition (versée surtout dans l'information sportive et les guides touristiques? mais pas seulement). Avis : L'histoire d'un homme qui a fait, lui aussi, l'histoire, non seulement du foot, mais aussi politique du pays. C'est aussi, un peu, l'histoire du football sétifien (introduit par la colonisation vers les années 1910). A quand un musée du foot ou un musée des sports, pour ne pas oublier ? Citations: «Certes, il partait seul vers l'inconnu (?). Mais lui avait, en plus de la «baraka» des parents, un autre atout: celui de pouvoir, grâce à ses jambes, creuser son propre sillon» (p 37); «C'est clair, pour se perfectionner, il faut travailler, travailler, travailler. ...Rien ne vaut le travail et le sérieux (?). En un mot, il faut suer» (citant Rachid Mekhloufi, p 85). |
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