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«L'on m'a rapporté que la source s'est asséchée Celle aux
yeux ronds et cheveux ébréchés Ô toi qui viens du Constantinois ne sois pas
altéré Fouara est triste, résignée est-ce cela la destinée»*
La semaine dernière un imam dans l'est algérien avait jeté toutes les salves de son prêche incendiaire sur une dame figée, pétrifiée. Il recommandait à l'audience médusée que prendre une gorgée d'eau ou une photo est cardinalement haram. Pourtant à Sétif, à défaut de mer, certains citoyens se contentent d'un peu d'eau. A défaut de vacances d'autres se limitent à une simple évasion banale et locale. A chacun son seau d'eau, de chacun son lot de complaintes. A chaque imam ses inspirations, à chaque amoureux de la ville et des belles œuvres les siennes. Les faussaires, les aigris et les obscurantistes ne ratent aucune cible facile et innocente à défaut de pouvoir combler un déficit communicatif. L'occasion du prêche aurait été judicieuse si elle avait pris en charge les défis d'une rentrée sociale difficile, le souci économique des ménages ou l'invite à revisiter, parfois, l'histoire nationale. Le mufti du constantinois plus altéré d'histoire que de publicité ignore que le 04 juin 1894, un conseiller municipal du nom de Bastide, évoqua amèrement son inquiétude face à la menace de tomber en ruine de «la fontaine de la place nationale». Le maire de Sétif et tout le collectif communal, en séance de travail, reconnaissent alors le besoin et l'utilité primordiale de faire le nécessaire. Tout en optant de s'inscrire dans une position d'attente de fonds afin de «la démolir et de la reconstruire complètement», M. Aubrey, maire de la ville prit cette délibération comme substrat d'un projet qui allait, à jamais, marquer la cité. Il partit, durant l'été 1896, à Paris, où devait se tenir, prochainement, un salon universel. Féru par son idée, il demanda au Directeur des Beaux-arts son intercession en vue d'avoir, pour sa ville un décor urbain symbolique et chargé d'émotion ou «une statue pour décorer la future fontaine de la place nationale.» Dans une lettre, datée du 3 février 1898, le maire est tout heureux de lire une missive émanant du Directeur des Beaux-arts, lui annonçant : «(...) M. de Saint-Vidal pense avoir terminé son œuvre pour le prochain Salon où il désirerait qu'elle figurât ; elle serait, dès la clôture du Salon, expédiée à Sétif.» En ces temps là, la fonction du maire n'était pas une simple affaire de charme citadin. Le charme, certes peut envoûter, momentanément, des électeurs mais jamais continuellement des citoyens. La statue représentant une femme nue à la longue chevelure, tenant à chaque main une amphore d'où coulait une eau limpide est l'œuvre sculptée de Francis de Saint-Vidal. Elle est assise et mise en relief sur un socle assez conséquent avec tout un environnement architectural. Cette assise homogène, tenant lieu de piédestal, a été conçue par un architecte local, un certain Eldin, connu alors pour avoir fait ses marques dans le Théâtre de Sétif. En ces moments là, l'architecture ne fut pas tout aussi une bureaucratie de DLEP, de bureau d'études où de permis de construire contrefaits, surnaturels et démoniaques. L'on ne construisait pas sur des lits d'oued, des trottoirs. L'on ne faisait pas dans les trois façades et le R plus X au dépens de l'art et de ses règles. Francione entrepreneur de son état avait la charge des travaux d'érection du socle et de la mise en place de la statue, travaux qui seront, entièrement, achevés en 1899. Donc derrière toute cette histoire physique et marbrée subsiste la légende. D'une histoire d'amour entre une autochtone et un gouverneur, à celle d'un rêve où une fée surplombant la ville tout en l'arrosant d'une eau divine et bénite, le mythe perdure mais s'éloigne de l'allégorie et se concrétise dans une réalité. Ain-Fouara, à l'instar de l'entente de Sétif et Sidi el Khier, n'est, en fait, qu'une référence séculaire à une ville, qui pourtant a toute une histoire de révolutions, d'hommes de lettres et de vaillants martyrs. Nonobstant ceci, elle demeure, quand bien même, une source aquatique et culturelle. Les Sétifiens y tiennent beaucoup. Les autres aussi. Le temps a fait ses stigmates et l'insolence des gens a amplifié sa vitesse. Pourtant elle ne fut, à travers les âges, que bien visitée, voire vénérée. Qui de tous les présidents d'Algérie, de Ferhat Abbas, Ben Bella, Boumediene, Chadli, Zeroual à Bouteflika n'a pas tendu ses mains pour recevoir en leurs paumes cette eau douceâtre et désaltérante, fusionnant, ainsi, mythe du retour et fable de bienfaisance ? Feu Boumedienne, venant en 1967, annonçant son programme spécial s'est vu retourner plusieurs fois, jusqu'en juillet 1978, où la localité de Sétif aurait été son ultime visite à l'intérieur du territoire national. Des hommes illustres s'y sont abreuvés. Des ambassadeurs, des maires, des ministres étrangers. Edmond Hervé, Jacques Verges, Perben et autres personnalités du monde du show-business et de la culture. Abdelhalim Hafez fut de la partie. Enfin cette dame de pierre amorphe et sans grand éclat a vu se défiler, par-devant son imperturbabilité, tous les invités de la ville. Comme une clef, l'on ne peut pénétrer la forteresse sans avoir à y goûter d'abord de son suc aquatique. Benbadis, cheikh El Ibrahimi et Larbi Tebessi des Oulemas musulmans algériens, faisant l'accomplissement de leurs prières dans la mosquée d'à-côté (masdjid el attik à 20 m) n'ont , à aucune occasion, prédit un mauvais sort à cette statue pourtant nue et entièrement nue. Ils n'avaient pas appelé à sa destruction. L'on prêchait cependant l'éviction de certaines pratiques païennes entretenues par certaines gens tendant à un élan d'idolâtrie en lui offrant des bougies et du henné l'implorant pour exaucer des vœux. Ces rituels ont disparu. En 1997, sujet d'un attentat terroriste, inouï et étrange, elle se trouve par l'effet dévastateur d'une bombe nocturne, totalement désarticulée, démise et désagrégée. L'on voyait son cou, une partie de sa tête, son épaule, un de ses vases ; joncher le parvis. Désolation et stupéfaction. La réprobation fut générale. Elle aurait vécu, voire résisté cent ans. Son centenaire. Et c'est grâce à l'intervention dynamique, sereine et salutaire du wali de l'époque que la nymphe s'est ré-intronisée une seconde fois sur son piédestal. Cet homme à notre question de savoir comment et pourquoi la réparation eut lieu, tenait avec émotion à déclarer ? «Je me sentais obligé, à plus d'un titre, à le faire, vite et bien». En moins de vingt quatre heures, la dame Fouara a repris ses repères et s'est réinstallée sur son socle initial au bonheur de l'Algérie entière. Le record de sa restitution était un acte collectif, un combat d'ensemble contre la barbarie et l'aveuglement culturel. La détermination était, également, fortifiée par l'engouement de toute une population. C'est cette opiniâtreté sétifienne de vouloir vaincre la fatalité qui avait gagné de l'ardeur à aiguiser, davantage, l'attachement à cette «masse de marbre». Sa «ré-inauguration» avait une forte charge symbolique. Elle s'est faite dans les cris d'allégresse et les youyous. Ain Fouara est une union de fable et de réalité. Une histoire d'amour entre une population et sa cité. Cette fusion binôme de légende et de mythe se trouve, aussi, dans les litanies des cantiques romanesques du terroir. Elle fut, éternellement, chantée, en permanence louée. A force d'agression et d'insouciance, la dame aux deux amphores risque de perdre tout son corps après avoir perdu son trait nasal et quelques unes de ses mèches bouclées. La cadence actuelle de la décadence en marche ne prédit pas, pour elle, un bel avenir. Ses jours sont en règle d'être comptés. Près d'une menace ou d'un acte attentatoire probable suite à une ?fetwa' pareille, elle souffre du fi des autorités locales. Des dizaines de visiteurs s'agglutinent, chaque jour, à même son corps blessé, comme une grappe humaine pour les besoins d'une photo. Cette image désolante n'est pas propre à la seule fontaine. Elle s'applique, en généralité, à tout le corps social. C'est un rituel ancestralement local que toutes les coupes remportées par le club soient remplies par l'eau d'Ain-Fouara, après avoir circambulé autour autant de fois. Devant la décrépitude, le ruissellement de partout, les fissures du socle, l'usure des goulots, les entailles de quelques parties de la statue, les obscénités inscrites, le griffonnage indélébile commis ; la municipalité est plus que responsable de la sauvegarde de ce monument historique. Une commission ad hoc pour recevoir les propositions doit être mise sur pied, au niveau de la cité. Elle doit faire quelque chose. Une solution rapide et énergétique doit être trouvée. Elle devra d'abord commencer par l'aménagement de ses alentours. Un lifting, une toilette de jouvence à cette fontaine feraient éterniser son initiateur d'entre wali ou maire. Sinon la menace pèse, lourdement, sur la dame. Elle s'use, elle croule, elle s'effondre. Elle risque de disparaître à jamais. * Samir Staifi sur un air nostalgique chantait cette prose composée alors par un auteur inconnu à un temps où la fontaine s'est subitement tarie |
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