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Partout dans les pays où l'urbanité a un sens, le civisme
est expressif et l'éducation est visible dans les comportements et les
attitudes des citadins. Exigeants au quotidien et jaloux de leur cadre de vie,
ils protègent leur environnement par des gestes et des pratiques écologiques
simples mais combien efficaces et importants. Si leurs rues et leurs espaces
publics sont propres, c'est parce qu'ils reflètent leur mode de vie et leur
culture raffinée. Ils ne vivent pas les contradictions et les antagonismes
entre ce qu'ils sont chez eux et ce qu'ils sont en d'autres lieux.
L'Homo-algérianus est un agrégat d'individus, une peuplade de gens dont la
majorité révèle clairement son intrusion dans le monde urbain auquel elle ne
s'était pas préparée et n'a pas pu s'y adapter. Les villes se ruralisent et
perdent leurs âmes du fait que ces spécimens imposent leurs us et coutumes et
leur état d'esprit imperméable au progrès et à la modernité. Le citadin de «
souche » se trouve envahi par des comportements qu'il dénonce, mais n'y peut
rien contre cet ouragan envahisseur et dévastateur. Petit à petit, les
mentalités s'hybrident et se mélangent pour déboucher sur un caractère muté qui
s'exprime dans l'incivisme, l'égoïsme et l'égocentrisme. Seul son moi compte
pour lui. Il s'enferme dans sa coquille et essaye de s'évader dans le monde
virtuel loin de l'amère réalité laissée au seuil de chez-soi. Comment éduquer
ses enfants sachant pertinemment qu'une fois versés dans le monde réel, ils ne
seront que des proies faciles et effarouchés dans un environnement animalier et
sauvage. Leur apprendre le respect de l'autre, du prochain et de la nature,
c'est comme écoper de l'eau avec une tasse dans un navire submergé de partout.
La société s'est uniformisée, elle est devenue tristement brumeuse et sinistre,
violente et agressive, irrespectueuse et impolie, paresseuse et désœuvrée.
L'Algérien semble abandonné dans la bestialité de la jungle qui l'emprisonne,
ne réagit que par des réflexes primaires de défense et de survie. Souvent ses
fêtes et villégiatures tournent mal. Que dire de ces « vacances » passées en
Algérie où il n'y a que le littoral comme seule escapade et fuite de la
fournaise de l'été ? Les belles plages d'antan ne sont plus ce qu'elles furent,
méconnaissables à cause de l'intrusion des nouvelles pratiques comportementales
de ces énergumènes qui n'ont le respect ni pour les lieux ni pour personne. Dès
qu'on prenne la route vers « l'Eden » promis, une boule nous ronge l'estomac
tout au long du trajet, la peur bleue s'installe, la phobie du trafic devient
visible suite à l'hécatombe quotidienne qui se banalise dans toutes les routes
algériennes. Une fois sur les lieux, les premières arnaques ou plutôt les
premiers rackets commencent au parking sauvage officialisé par les APC. Une
billetterie clairement louche est utilisée et la valeur du ticket remis ne
correspond pas souvent à la somme demandée par les « parkingers ». Les chambres
d'hôtel ou les pensions prises d'assaut par une foule qui ne lésine sur rien
pour se les accaparer et s'y entasser. Fiers comme des poux, ils déboursent la
cagnotte pour des murs moisis et du mobilier rongé par la rouille et
l'humidité. Jadis, les plages de sable fin et doré étaient propres, sont
aujourd'hui squattées par des « plagistes » dont le seul souci est de louer le
maximum de tables, désormais, le rivage leur appartient, l'espace public s'est
privatisé. L'hygiène est devenue synonyme de snobisme, le plastique, le verre,
le métal et les épluchures de figuiers de Barbarie et de pastèques partagent
l'espace avec les mouches et la mocheté envahissante. Les «estivants» se
marchent sur les pieds, le bruit assourdissant et les décibels d'une « musique
» débile et rétrograde se fait entendre à des miles pour l'imposer de jour
comme de nuit à ceux dégoûtés d'écouter du tintamarre sorti tout droit des
caves. La restauration douteuse et « gargotisée », les fritures et les
rôtisseries comme quasiment seuls «bourre panse» servis dans des locaux pleins
à craquer de nonchalance et d'insouciance de clients affamés, qui ne se
soucient guère de payer des prix astronomiques pour de la malbouffe. Des
binationaux, pour amortir les frais de leur voyage, improvisent chaque soir,
sans que personne les dérange, des braderies informelles pour écouler à des
prix inimaginables de la fripe et des objets de récupération et de la camelote
qu'ils ont ramenés dans les malles et sur les toits de leurs voitures. Comment
veut-on promouvoir aux étrangers du tourisme, quand on n'en a aucune notion, aucune
culture, aucune tradition et aucun savoir-faire pour les attirer. Passer une
dizaine de jours en Espagne, au Portugal, en Europe centrale ou en Turquie
reviendrait beaucoup moins cher, plus agréable et plein de souvenirs. L'Algérie
« avance en arrière » comme dans ses bus bondés de peuple ombrageux, mal vêtu
et mal rasé, sentant la sueur et plongé dans la décadence. Mais que lui est-il
arrivé pour qu'il tombe si bas dans le paléolithique, quand d'autres inventent
le nouvel âge numérique dominateur et éradicateur de la médiocrité, mue par la
pensée darwinienne de la sélection naturelle des espèces ? La réponse souffle
dans le vent comme l'avait bien chanté Bob Dylan.