|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Malgré l'incapacité à relancer le développement à la hauteur des
aspirations des Algériens, malgré les milliards mis dans les différents plans
qui se sont succédé depuis bientôt 20 ans sans notable amélioration de la
production de biens et marchandises, malgré les inégalités qui se sont accrues,
le pouvoir n'a donc pas reculé devant l'annonce d'une amnistie fiscale, en
contrepartie d'une taxe forfaitaire libératoire de seulement 7%.
L'orientation néolibérale adossée à la rente mise en œuvre depuis des années est pourtant à l'origine de la dilapidation d'un patrimoine historique et d'un potentiel matériel et humain fabuleux, de la trahison des espoirs de développement et de progrès portés par la guerre d'indépendance, puis la résistance aux conséquences de l'ajustement structurel et au terrorisme islamiste, du démantèlement d'une base économique publique et privée édifiée au prix de sacrifices énormes, d'une explosion de la hogra, de discriminations maintenues à l'égard de la femme et de l'écrasement de la jeunesse ainsi que d'atteintes aux libertés démocratiques. Les puissances d'argent ont bénéficié d'une médiatisation retentissante et jamais égalée alors que se préparait l'amnistie fiscale. Il y a encore peu, Ouyahia stigmatisait pourtant la chkara et se moquait du « capitalisme de la mamelle ». Aujourd'hui, les commentaires officiels, les cérémonies et les délégations algériennes à l'étranger ne peuvent plus se passer d'honorer ces forces de l'argent et une « taxation forfaitaire libératoire » est venue confirmer leur nouveau statut, en particulier celui des milieux de l'argent sale. Bien sûr, les responsables de l'Etat ont le droit et le devoir de rechercher les différentes voies pour faire face à l'effondrement des cours pétroliers. Ils n'ont aucun droit de le faire dans une logique d'abdication de l'avenir économique de notre pays au bénéfice des forces de la spéculation et de la corruption. C'est d'autant plus vrai que les forces de l'argent sale ne prennent aucun engagement et qu'une large part de ces fortunes a déjà fui le territoire national. Le scandale des détenteurs de comptes HSBC en est une preuve. Dans ces conditions, comment ne pas comprendre que les milieux néolibéraux adossés à la rente, ébranlés par la résistance des forces patriotiques et démocratiques à la mise en œuvre d'un nouveau plan d'austérité, puis un instant désarçonné par un léger redressement des cours du baril, à partir du moment où ils bénéficient de sympathie dans l'entourage du sommet le plus élevé de l'Etat, reprennent confiance. Ils peuvent pousser en avant leur arrogance, leur activisme en faveur de solutions toujours plus libérales, leur travail d'enrôlement des universitaires et de différents experts qui pronostiquent une chute du prix du baril jusqu'en 2020 pour appeler à « arrêter de dépenser sans compter ». Ils s'autorisent à multiplier leurs manifestations publiques organisées à coups de millions dans les hôtels les plus luxueux, à relancer leurs prétentions politiques, leurs demandes de remettre en cause certaines subventions au nom de la lutte contre le gaspillage et à se mobiliser pour constitutionnaliser l'austérité, en alliance avec certains cercles dirigeants. Peut-être exigeront-ils même, comme l'islamisme assassin, la mise en œuvre de clauses secrètes à cette amnistie fiscale? La presse annonce d'ailleurs que les démarches liées à la procédure feront l'objet d'une confidentialité rigoureuse et le ministre des Finances n'a pas hésité à déclarer qu'il fallait « faire en sorte que les acteurs de la sphère réelle soient des acteurs qui travaillent en toute sécurité ». Les forces parasitaires ne regrettent aucune de leurs fraudes et se posent même en donneurs de leçons en matière d'économie. Les importateurs se plaignent de la baisse du dinar tandis que le pouvoir n'assume pas la dévaluation de la monnaie nationale. D'un autre côté, ces forces veulent pouvoir bénéficier de la possibilité de procéder à des investissements de portefeuille dans des entreprises publiques qu'elles ont largement contribué à mettre dans une situation difficile. En vérité, ce n'est pas un accès soudain de patriotisme économique qui amènerait ces forces à déposer leurs fortunes dans les banques, mais seulement leur incapacité à recycler plus largement cet argent dans les trafics qui ont asphyxié l'économie nationale, leur fermant finalement tout débouché à elles aussi. Et, comme l'islamisme assassin, elles veulent donc transformer leur échec en victoire. C'est pourquoi, en imposant une amnistie fiscale par le biais d'une loi de finances complémentaire, le pouvoir découple et met en totale contradiction la fin dont il se revendique, à savoir le patriotisme économique, le retour à l'accumulation nationale et à l'investissement, avec les moyens de sa réalisation. Et il a beau avertir qu'il appliquera la loi dans toute sa rigueur au-delà du délai du 31 décembre 2016, limite de la mise en œuvre de son dispositif, ses menaces sont aussi creuses que lorsqu'il prétendait abattre seif Hadjadj contre les terroristes islamistes qui n'auraient pas quitté les maquis à l'expiration de la Concorde civile. Dans les conditions actuelles, celles du décalage persistant entre une société qui refuse en majorité l'austérité et acquise au progrès ainsi qu'à l'économie productive et une classe politique aliénée à la logique néolibérale adossée à la rente et prisonnière de l'alliance avec l'islamisme et les forces de l'argent sale, le passage par une loi de finances complémentaire pour appliquer l'amnistie fiscale fournit aux forces néolibérales et rentières enracinées dans les appareils et les institutions, mais aussi dans l'opposition et en mesure de tromper une partie de la société par l'utilisation des moyens de l'Etat et des leviers économiques, l'opportunité d'obtenir des conditions plus appropriées à un compromis plus avancé avec les forces de l'argent sale dans le but de maintenir leur hégémonie commune. L'amnistie fiscale n'est donc rien d'autre qu'une ruse pour reconduire un statu quo à l'origine de drames que les Algériens rejettent, car il tourne le dos au changement radical auquel ils aspirent, dans la voie de la dignité, du travail, de la production, du développement et du progrès universel. Elle couvre une formule de compromis sur une assise permanente et structurante, dans laquelle ne gagneront que néolibéraux et les rentiers mafieux de tous bords et les partisans de la libéralisation totale et accélérée de l'économie, constitués en véritable sainte alliance de tous les revanchards de la période d'édification nationale. Se taire sur cette amnistie fiscale ou en banaliser la portée et l'ampleur en la réduisant à une mesure technique dans le prolongement du pouvoir qui la ramène à une « régularisation fiscale volontaire », c'est faire preuve d'aveuglement ou d'un cynisme criminel. Que les forces de l'argent s'en enthousiasment et que d'autres fassent de la surenchère, comme le MSP qui exige d'autres mesures après avoir appelé à une amnistie globale pour renforcer les dispositions en faveur des criminels islamistes, quoi de plus normal ! L'Etat, ses institutions et ses entreprises travaillent directement et indirectement pour elles et reproduisent les intérêts néolibéraux adossés à la rente à grande échelle. Les forces de l'argent sale, qui voudraient tenir la société à leur merci, comme on l'a vu lors des manifestations de janvier 2010, bondiront d'autant sur l'opportunité qu'elle leur permettra la consolidation des positions acquises et leur conférera une légitimité nationale et internationale. N'est-ce pas, d'ailleurs, par des mesures de la Banque d'Algérie en matière d'investissements à l'étranger qu'a été annoncé le recyclage de cet argent sale ? Le paradoxe est que ceux-là mêmes qui se taisent devant cette amnistie fiscale, font mine de dénoncer le rôle des forces de l'argent sale face à un pouvoir qui serait devenu vacant. C'est contre l'aggravation des conséquences d'une telle orientation néolibérale qui ne veut pas rompre avec la rente que gronde la société, de façon toujours plus résolue et plus large. Or, le pouvoir est incapable de s'élever à la hauteur des exigences de dépassement de cette ligne économique. Au contraire, en décrétant une amnistie fiscale, il laisse craindre qu'il ne s'aliène un peu plus aux puissances d'argent liées aux intérêts parasitaires et spéculatifs rentiers et corruptifs qui le portent et foncièrement coupé des forces sociales qui œuvrent au développement de l'Algérie, au respect de sa dignité nationale et internationale en refusant qu'il soit ramené à un paradis fiscal, qu'il soit abîmé dans les zones grises de la finance mondiale. Le pouvoir démontre qu'il reste insensible au mouvement social tirant sa raison de la dégradation considérable des conditions matérielles et morales de vie et de travail durant la période de l'ajustement structurel. Et pour organiser le silence autour de ses orientations économiques, il recourt aux organisations patronales et de travailleurs maintenues d'autorité sous son hégémonie. Il poursuit sa politique despotique dans tous les domaines et accentue sa campagne pour se soumettre ou intimider les forces patriotiques et démocratiques, la presse et diverses élites. Cette tendance despotique tend à inhiber les cadres du secteur public qui avaient été, eux, victimes de poursuites judiciaires acharnées, au moment où l'aggravation des problèmes nationaux, les suites du « Printemps arabe », le démantèlement tarifaire qui va se poursuivre dans le cadre de l'Accord d'association avec l'Europe imposent de nouvelles exigences. L'opinion nationale refuse que son désir d'échapper aux conséquences d'une nouvelle politique d'austérité serve d'alibi et de couverture à une compromission avec les forces de l'argent sale, dont l'issue inéluctable serait de revivifier les prétentions des forces de la corruption et de la spéculation, d'imposer leur hégémonie sur l'ensemble de l'Etat et de la société. Oui, les Algériennes et les Algériens veulent le maintien et même l'amélioration de leur niveau de vie, ils comprennent l'exigence de favoriser l'accumulation nationale et l'investissement. Ils ont connu dans leur chair les conséquences de l'ajustement structurel appliqué avec inhumanité poussant des travailleurs licenciés au suicide comme ce fut le cas pour ceux des Galeries algériennes. Mais ces mêmes Algériennes et Algériens ne peuvent en aucune façon cautionner une démarche politique qui bafoue les lois et les valeurs de la République, en particulier celle d'égalité devant l'impôt, en dédouanant les fraudeurs et en décrétant une amnistie au mépris du désir légitime de justice des citoyens. L'opinion publique patriotique et démocratique est en droit de connaître les tenants et les aboutissants de cette prétendue opération de bancarisation. Elle veut savoir comment la situation financière qui était annoncée comme maîtrisée prend aujourd'hui l'apparence d'une débandade qui oblige à négocier avec les forces de l'argent sale pour boucler le budget de l'Etat. Elle veut savoir comment envisager d'amnistier des voleurs et des fraudeurs sans que cela constitue une légitimation de leur action et une prime à leurs crimes contre l'économie nationale. Elle n'oublie pas que l'Algérie en est à ce point d'évolution en raison de la gestion opportuniste et sans principe des forces de l'argent par le pouvoir : dilapidation des biens de l'Etat, sabotage économique durant les années d'économie administrée, privatisations/liquidations durant l'ajustement structurel, scandales financiers répétés depuis près de deux décennies. Au-delà de la protestation et de l'indignation qu'il leur faut légitimement manifester, toutes les femmes et tous les hommes de progrès d'Algérie doivent maintenant prendre la mesure de ce nouveau développement et de sa signification pour l'avenir. Dans cette affaire, c'est du sort de l'économie nationale qu'il s'agit, c'est l'orientation économique du pays qui est en jeu. Il ne doit y avoir de place ni au sectarisme ni aux calculs tactiques partisans. L'heure est à la convergence des efforts pour empêcher que le rapport de force ne bascule définitivement en faveur des forces de l'argent sale et de leurs alliés. *Secrétaire général du bureau national du MDS |
|