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La dame s'était bichonnée pour assister à la distribution
des prix de fin d'année de l'école primaire Louis Lumière, dans le quartier
algérien d'Oran. Elle était fière de participer à ce rassemblement. Puis, les
minutes passant, son enthousiasme prit un coup. Son garçon n'était pas dans la
liste des récipiendaires. Elle sortit littéralement de ses gonds lorsqu'elle le
vit chanter, la voix forte, au sein de la chorale, intermède entre chaque
honneur rendu aux élèves méritants: «Alouette, gentille alouette, alouette, je
te plumerai». Là, elle ne put se retenir pour lui crier «attends d'arriver à la
maison et tu verras qui va te plumer, toi».
La scène est vraie dans ses moindres détails. Celui qui voulait plumer une alouette finit, en fin de cycle primaire, comme télégraphiste qui en profitait pour porter dans sa sacoche parfois une grenade, une autre une arme de poing. Il ne m'a jamais dit s'il fut plumé par sa maman. C'était aussi le temps où un certain jeune homme, Tifous, génie des mathématiques du lycée ex-Ardaillon, disputait la vedette à son professeur durant les cours. Modeste, maladivement timide, il fallait qu'il soit interpellé en ces termes «alors, monsieur Tifous, d'autres manières de résoudre ce problème ?», pour qu'il se signale en proposant, effectivement, d'«autres» voies. Quelle ne fut notre satisfaction - ce n'était pas, à proprement parler, une surprise pour nous - lorsqu'il décrocha le premier accessit du Concours général français qui mettait en compétition la crème des lycées français et leurs ex-colonies. Cette année-là, le premier prix ne fut pas attribué. Allez savoir pourquoi. Qu'est-il devenu ? Je ne saurai le dire. Mais, souvent, je pense à lui. Comme je pense à Tiab qui ressortait de ces distributions, chaque année, avec un nombre impressionnant de livres-cadeaux sanctionnant les brillants résultats obtenus en chaque matière. Lui aussi, qu'est-il devenu ? Est-ce que, au printemps de leur vie, pour pasticher le poète, ils ont pu enrichir leur automne ? Et après ? Que deviennent ces «lumières» ? Aujourd'hui, comme des électrons libres, ou libérés, de temps en temps, les échos nous rapportent qu'un élève de l'école, collège, lycée et université algérienne s'est distingué dans le firmament - sans grandiloquence - des chercheurs, ou invité à occuper des chaires d'universités prestigieuses, ou encore se trouve être à l'origine d'une innovation qui changera nos vies. Ils ne furent ni identifiés dans notre nid, ni pilotés lors de leur envol. Un jour que je traversais un boulevard à la sortie du métro parisien, je m'étais porté au secours d'un très jeune aveugle pour le faire traverser. Chemin faisant, j'appris qu'il était de mauvais poil parce que sa note de mathématique était de 18,5 sur 20. Avant de lui dire que cette note relevait du rêve en ce qui me concernait, je lui demandais quel établissement il fréquentait. Réponse: Janson de Sally. En classe de prépa aux grandes écoles. Rien que ça ! Fils de travailleur émigré. J'en ai parlé autour de moi, écrit un article sur lui. Rien. Je l'ai vu, il y a quelques mois, donnant une conférence sur la chaîne de TV, TED. N'y intervient pas qui veut. Respectable et respecté ? Savant dans son domaine. Ecouté. Je me réjouis pour lui, aujourd'hui, comme je m'étais réjoui des succès des camarades de ma génération. Et je me demande, madame la Ministre, monsieur le Ministre, s'il ne faut pas, s'il n'est pas temps de tirer les enfants par le haut, générer, libérer les génies. Ce n'est pas - que Dieu m'en garde - privilégier une éducation à deux vitesses que dire cela. Mais la nature, les gènes, allez donc savoir, nous contraignent à admettre que l'enfant qui s'ennuie en classe n'est pas nécessairement un attardé. Seulement un enfant qui a assimilé trop vite ce qui lui était enseigné et que les répétitions l'accablent. Et qu'il risque parfois même de «décrocher». Acte criminel. Dans de nombreuses académies de par le monde, ces filles et ces garçons sont «extraits» de leur milieu, du circuit classique, pour être trempés dans un environnement plus favorable. Dans l'ex-Union soviétique, une ville entière, Akademgorodok, fut créée dans la périphérie de Novossibirsk, en Sibérie, dès 1958, pour «couver», entretenir ces êtres d'exception. L'ancien directeur d'El Moudjahed, Nour Eddine Naït Mazi, qui l'a visitée, racontait dans son reportage, y avoir croisé un enfant de 12 ans qui planchait sur la théorie de la relativité générale d'Einstein. Qui se souvient de l'article de Nour Eddine Naït Mazi ? Les mêmes écoles existent aux Etats-Unis, en Europe. Les élèves sont identifiés par leurs maîtres au niveau de chaque école, chaque collège et lycée et leur candidature proposée à des instances spécialisées, des comités de sélection sévères. Je ne dis pas que, dans un esprit d'égalitarisme de mauvais aloi, il faille créer de tels centres dans chaque wilaya. Mais de mettre en place les mécanismes de sélection de telles ressources pour les aider à vivre leur passion. Madame la Ministre, monsieur le Ministre, si, dans la lancée des fêtes scolaires et universitaires sanctionnant des succès scolaires, nous illuminions, un même jour, chaque 5 juillet, fête de la jeunesse, si nous illuminions donc toutes les écoles, les collèges, lycées et universités, d'une journée consacrée à la gloire du savoir ? Et si nous organisions des concours généraux en chaque matière ? Et si donc, nous tentions d'offrir l'excellence dans les centres d'excellence ? En somme, si nous créions l'envie d'avoir envie. Et l'envie de réussir. Et s'en donner les moyens. Ce sont là des virus qui méritent d'être inoculés. Au terme de cette chronique, ma crainte est qu'elle subira le même sort que l'article de Nour Eddine ? Mais l'essai peut très bien être transformé, n'est-ce pas ? |
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