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«Il venait de
retrouver son assurance et ce sourire en coin, volontairement affiché, qui ne
laissait aucun doute sur la confiance que lui renouvelait la plus haute
hiérarchie de l'Etat. Il respirait de nouveau, à pleins poumons, l'oxygène des
plus hautes cimes du pouvoir.»
C'est ainsi que Nasreddine (Nacer) Akkache décrit Ahmed Ouyahia lorsqu'il a été appelé à former son gouvernement après les fameuses élections législatives de 1997. Akkache lui a consacré un livre -ou presque- qu'il a intitulé «Les coulisses d'une décennie algérienne (Témoignage d'un commis de l'Etat)» paru en 2014. Dans sa préface, Bakhti Belaïb affirme que «j'ai particulièrement apprécié dans l'analyse de cette période (la décennie noire ndlr), la force et la justesse des arguments qui ont admirablement permis à l'auteur de mettre en évidence la duplicité, la fausse sincérité ainsi que la prétention démesurée, sans le nommer, d'un responsable qui n'a cessé de croire à son destin national.» Les destins de Akkache et de Belaïb, eux, se sont croisés au milieu des années 90 au palais du gouvernement où ils ont été tous deux chargés de missions et conseillers, le premier est devenu en 1998, directeur de cabinet du chef du gouvernement, le second a été nommé, bien avant, ministre du Commerce. La description, à cette période, du caractère, du comportement ou de l'attitude de Ouyahia, n'a pas pris une ride. Elle lui colle à la peau aujourd'hui encore. Ce qui est rapporté dans l'ouvrage de Akkache le rappelle davantage. «Ce personnage, inconnu jusque-là, s'était fait connaître à l'opinion publique quelques jours auparavant en s'autoproclamant, dit-on, porte-parole et conseiller à la présidence de la République, lors des pourparlers avec Ali Belhadj et Abassi Madani, qui s'étaient déroulés à la prison militaire de Blida», écrit Akkache. L'écrivain convoque toujours l'histoire pour rappeler que «c'est dans un climat assez tendu mais porteur de promesses, qu'intervint la nomination de Ahmed Ouyahia en qualité de chef du gouvernement en remplacement de Mokdad Sifi». Liamine Zeroual venait d'être élu le 16 novembre 1995 comme président de la République. Dès son installation au Palais du gouvernement, Ouyahia a dressé, selon l'auteur, un véritable réquisitoire «contre les dérives de l'ancienne équipe gouvernementale, son manque de courage politique, son manque de vision». Akkache note ainsi qu' «avec ses airs de premier de la classe, en ajustant nerveusement ses grosses lunettes, il observait nos réactions et jetait des regards froids pleins d'insinuations.» L'écrivain affirme «témoigner pour l'histoire que ce gouvernement (de Sifi ndlr) a été innovant en dépit de l'étroite marge de manœuvre qui était la sienne, il a introduit de la souplesse dans les maîtrises d'œuvre et d'ouvrage et favorisé l'ouverture vers d'autres moyens de réalisation.» Il dit que «Mokdad Sifi était d'une décontraction et d'une bonhomie qui ne laissaient aucun doute sur sa sincérité et sa volonté d'être proche du petit peuple auprès duquel, j'ai pu le constater lors de nos multiples déplacements, il bénéficiait d'un préjugé favorable. En dépit de son apparence indolente, il ne manquait pas de spontanéité et d'idées, sa capacité de travail était phénoménale et il avait un sens inné de la communication, du reste, il avait une totale confiance en ses collaborateurs.» «NOUS N'AVIONS PAS EU LE DROIT DE LE SALUER» Mokdad Sifi, ajoute encore Akkache, «savait vous faire oublier les affres d'un quotidien qui se confondait avec les incertitudes de l'avenir, tant l'instant d'après semblait improbable.» L'auteur regrette : «nous n'avions même pas eu le droit de le saluer ; son départ s'était fait en catimini pour des raisons que j'ignore encore à ce jour, bien qu'il eut été nommé au poste de ministre d'Etat auprès du président de la République». Il tient cependant, à préciser que «l'homme m'importait peu mais sa fonction était respectable et il l'avait exercée avec honneur et dignité dans des moments difficiles.» La parenthèse Sifi fermée, Akkache interroge plus loin «comment imaginer arriver à 7h30 comme à l'accoutumée alors que Ouyahia était là depuis les aurores ?» Il décrit l'atmosphère qui régnait au Palais du gouvernement. «Lorsque les changements ont lieu aux niveaux de responsabilité les plus élevés, il est fréquent que certains hauts fonctionnaires disparaissent en s'enfermant à double tour dans leurs bureaux et qu'ils restent isolés dans leur trou de bouteille en attendant les fumées blanches comme lors de l'élection du pape. Les petits rapporteurs étaient aux aguets d'une attitude ou d'une réflexion négative.» Il dit de Ouyahia alors nouveau locataire du Palais, qu' «il recourait à un vocabulaire qui se voulait dense, mais exprimé dans un style touffu, volontairement sinueux et plein d'aspérités. Toutes les circonvolutions et les tournures qui ne laissent aucune chance à la transparence et à la clarté, reflètent la complexité du personnage.» Il pense de lui que «loin d'être un tribun, il avait cependant, le bagout et la logorrhée du discoureur ainsi que l'assurance du locuteur qui aime s'écouter parler non pour faire passer un message utile mais pour tenter de produire une bonne impression sur l'assistance.» Pour ce faire, «il jouait tour à tour tous les personnages convenables et parfois enviables, le prolétaire, le bon père de famille, le ankaoui, le belda, le populiste, il lui arrivait même de prendre des airs boumediéniens». PONCTION DES SALAIRES ET «ROUBLARDISE» Dans la même période, Ouyahia annonçait, dit, Akkache, sa fameuse mesure de ponction sur les salaires. «Nous l'avions appris presque en même temps que l'opinion publique, si bien que nous étions incapables d'en expliquer la genèse et d'en convaincre dans notre propre entourage». C'est, dit-il, ce qui a fait de Ouyahia le chef du gouvernement le plus impopulaire depuis l'indépendance. «Avec le recul et connaissant parfaitement la roublardise du personnage, il est fort à parier que cette histoire de ponction n'était pas au départ une idée de lui, il l'aurait saisie au vol bien avant son intronisation, ses talents incontestables d'adaptateur ayant fait le reste,» assure l'auteur. Akkache avoue que «malgré l'indifférence qu'il semblait éprouver à l'endroit des critiques assez dures mais souvent fondées qui pleuvaient sur lui (décidément rien ni personne ne l'épargnait), il n'en était pas moins profondément atteint. S'il mettait en avant sa grande faculté pour encaisser les coups, en réalité, tous les dénigrements dont il faisait l'objet, l'affectaient profondément en lui causant des blessures narcissiques.» Cet ancien directeur de cabinet à la chefferie du gouvernement fait savoir que «nos interlocuteurs au sein du gouvernement comme à l'extérieur nous reprochaient de ne pas agir assez afin de lui éviter toutes ces casseroles.» Mais dit-il, «ils ignoraient l'entêtement du personnage et la devise qui était la sienne en toute circonstance : chaouar ou khalef» (demande conseil et agit à ta guise.)» En fait, il ajoute «tous lui reprochaient son arrogance et condescendance.» Pour avoir, selon lui, été au départ «un fervent défenseur de la fameuse matrice ou feuille de route du FMI, qui nous plaçait sous étroite surveillance, il s'interdisait de la commenter défavorablement.» Akkache explique dans son livre que «la démarche du gouvernement Ouyahia se voulait en rupture totale avec les méthodes de ses prédécesseurs qu'il jugeait peu hardies, populistes et archaïques.» «LES YEUX BLEUS» ET «LE LIQUIDATEUR EN CHEF» Selon lui, «il troquait son costume de commis de l'Etat contre celui de liquidateur en chef des restes de l'économie nationale. (?), il considérait le secteur public comme la source de tous nos ennuis.» D'après lui, Ouyahia disait «plus vite on s'en débarrasserait et mieux cela voudrait pour la nouvelle image du pays (?).» Paradoxe avec un homme voulant rompre avec l'Etat interventionniste, écrit Nacer Akkache, pour dire de l'actuel secrétaire général (par intérim ?) du RND qu' «il ne portait aucune estime au secteur privé qu'il traitait de prédateur.» Son cheval de bataille, ajoute-il, les travailleurs de l'entreprise publique, premières victimes expiatoires des licenciements en masse(?). «Ouyahia tenait une comptabilité macabre qu'il mettait à jour d'une manière particulièrement minutieuse», sur la base, faut-il le souligner, des comptes-rendus de Sid Ahmed Tibaoui alors DPE (Délégué aux participations de l'Etat). Akkache affirme que «le bilan n'était jamais présenté au cours des réunions officielles.» La mise à la trappe de milliers de travailleurs conformément à la feuille de route du FMI qu'Ouyahia appelle, selon l'écrivain, «les yeux bleus» ne faisaient pas vraiment réagir l'UGTA. «Les réactions du partenaire social étaient molles voire inexistantes,» écrit-il. Des centaines d'entreprises locales de services, de bâtiment et travaux publics qui rendaient d'énormes services à la collectivité (?) furent ainsi liquidées (?). «La page de l'entreprise locale définitivement fermée, notre bonhomme venait de gagner à la hussarde ses premiers galons. Encouragé par cette insolente réussite, il fonça sur le gros morceau : les entreprises publiques à gros potentiel de main-d'œuvre (SNVI El-Hadjar (?.),» dit Akkache. Il voulait selon lui «mettre sur le carreau, la RSTA en encourageant par le biais de prêts bancaires, le foisonnement de fourgons transformés à la hâte sans étude préalable, en moyens de transport pour voyageurs. Ces fourgons furent suivis par des minibus qui sèment la terreur parmi les usagers de la route sous l'œil indifférent des pouvoirs publics.» Ce problème est encore loin d'être réglé (?), en raison, relève Akkache, «d'une gouvernance à courte vue qui persiste dans ses erreurs.» LA «CHARRETTE» DE OUYAHIA Les entreprises du bâtiment et des travaux publics furent la cible suivante. «Ouyahia est d'une susceptibilité et d'un entêtement maladifs et ne tolère pas la contradiction,» indique l'auteur. «Ce furent quand même 380.000 travailleurs qui connurent le funeste sort du couperet social et ont fait partie de cette charrette comme il se plaisait à qualifier impudiquement ces démantèlements,» écrit encore Akkache. Toutes les entreprises publiques de services, telles les grandes surface et galeries algériennes, les bureaux d'études, subirent les assauts d'Ouyahia que l'auteur surnomme «Terminator» dans son livre. Apparaît alors la vérité des prix dans des boutiques rapaces, une nouvelle race de commerçants (?). Vérité des prix qui, écrit Akkache, était accompagnée d'une libération des prix, laissant libre cours à la voracité de commerçants véreux, arrivistes et incléments. «L'argent sale était gagné sur le dos d'une population impuissante, sous le regard complice de nos apprentis sorciers qui osaient affirmer que le filet social était la trouvaille du siècle(?). Notre chef était tout fier de se voir souvent qualifié -à juste titre- d'homme des sales besognes,» ajoute l'écrivain qui pense que «les contrecoups de cette braderie à ciel ouvert étaient préalablement (et courageusement) amortis par notre collègue Sid Ahmed Tibaoui (?).» Rappels de Akkache : Ouyahia décide d'effectuer ses premières sorties sur le terrain. Seul le chef de région militaire l'intéressait. Première règle dans ses sorties, interdiction absolue de prévoir des infrastructures à inaugurer. Seconde règle, mener à la hussarde ses sorties sur le terrain. Troisième règle, des repas marqués par la simplicité et la frugalité, en était banni le méchoui, «symbole de tous les excès», selon l'ancien chef du gouvernement. «Ses sorties lui ont permis de roder substantiellement son discours et de se construire un personnage qu'il qualifiait lui-même de saisonnier de la politique insinuant qu'il avait incontestablement la capacité de damner le pion aux plus chevronnés des permanents de la politique,» souligne Akkache. «LA DISCIPLINE DU POTACHE» L'auteur continue de faire découvrir Ouyahia : «Ce qui ne l'empêchait pas de jurer ses grands dieux, sous le sceau de la confidentialité, qu'il n'était nullement là dans le but de faire carrière en politique et que son passage, purement fortuit, répondait à un appel du cœur. Ce n'était pour lui qu'une modeste contribution à la réhabilitation de l'image de l'Algérie afin de l'aider, de toutes ses forces, à sortir de cette douloureuse épreuve. A la suite de quoi, il s'en irait, l'âme légère et la conscience tranquille, rejoindre sagement son corps d'origine en l'occurrence la diplomatie.» Akkache rappellera en plus du passage aisé de Ouyahia d'éradicateur à réconciliateur, «la chasse aux sorcières» ou la lutte contre le crime économique. «Il était très rare que cela ne prit pas toutes les allures d'un règlement de comptes. Notre homme ne se priva pas d'en user démesurément et de montrer ainsi l'étendue de son pouvoir, toute requête anonyme se traduisait par une procédure qui envoyait les présumés coupables devant les barreaux. Il devint l'homme politique qui emprisonna par brassées entières des cadres, des élus et d'anciens DEC,» fait savoir l'auteur. «Je l'ai vu ensuite(?) enfourcher le cheval du protectionnisme et s'engager virtuellement dans le sauvetage du secteur public et dans son renforcement,» dit-il encore de lui pour souligner qu'en définitive «je finis par me rendre compte(?) quant à la faculté d'autonomie de décision de notre homme qui n'était en fait qu'une apparence à égale distance entre la soumission et la discipline du potache.» Son dernier rappel en date du 12 mars 2014 pour exercer les fonctions de directeur de cabinet du chef de l'Etat, après 18 mois d'hibernation, nous renseigne sur les capacités et l'extrême patience du «saisonnier de la politique», écrit Akkache. Ahmed Ouyahia a été rappelé le 10 juin dernier pour diriger encore une fois le RND. Retraité à 44 ans, vivant aujourd'hui au Qatar, l'auteur a attendu plus d'une vingtaine d'années pour dire ce qu'il pensait de celui qui a été «son chef» et avouer que «j'étais partie prenante d'une redistribution du pouvoir que j'ai parfois tenté de combattre de l'intérieur, mais sans succès». |
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