
Les
collèges de citoyens vont en parallèle, mais ne se déplacent pas à la même
vitesse et ne se croisent pas comme en géométrie. Ceux qui sont sur les
hauteurs de l'obélisque rappellent les dignitaires des reliques beylicales. Ces
notabilités féodales des Caïds et autres Bach-aghas que les plus naïfs ont cru
que novembre les avait affaiblies et que les trois révolutions du socialisme
spécifique les ont définitivement fait décimer. Grotesque mensonge. La réalité
est là pour le crier depuis les porte-voix des tombes des sacrifiés, creusées
jusqu'après leur mort, pour couvrir leurs mémoires de trahisons indignes. La
distance ne cesse d'éloigner ceux qui sont des citoyens accomplis de la
République privatisée et ceux qui ne le sont pas, encore et qui l'attendent,
depuis la Toussaint, pour le devenir.
La
citoyenneté n'est, en fait, qu'un rapport de force. Illusion aveuglante.
Certains ont compris. Pour avoir quelque chose, il faut occuper les bois,
couper la route, brûler des pneus, prendre des écoliers en otage... La justice,
aussi, a son penchant. Pourquoi ne l'aurait-elle pas ? Elle se fait balancer
entre ceux qui siphonnent le sous-sol, ceux qui s'approprient le sol, ceux qui
squattent l'espace dit public et ceux qui sont en concurrence avec les rats
dans les interstices et dans les petits trous, à chacun son rang, les derniers
n'en ont pas, ils sont au fond des trous. Parfois, certains vieux chacals dont
les crocs équarrisseurs sont usés par les os et la chaire, sont envoyés dans
l'arène aux crédules ruminants. Comédie amusante. Saisons divertissantes. Les
vrais rapaces ont pris de l'élan et l'essor et volent dans les airs, les yeux
rivés aux ports. Imprenables, aujourd'hui, demain sera un autre jour. De petits
nababs sadiques surgis, çà et là, s'exaltent en bravant la loi et les règles
sociales. De petites pontes, arrivistes d'un système frauduleux : creux, sec et
stérile, ne savent répercuter que l'immobilité rythmée, au son des échos des
timbales et des cornemuses, sur fond de mélodies dansant le ventre, tube
alimentaire, eux aussi singent leurs mentors accrochés au perchoir. Ils sont
immunisés contre la loi, mais pas contre la peste, ils sont les vrillons du
choléra endémique. L'espace dit public est, en fait, privé, leur propriété
inscrite à la conservation domaniale, en minute notariale. La chaussée leur
appartient, leurs berlines enchaînées aux mats des plaques de signalisations
«interdit de s'arrêter ou de stationner», comme le faisaient les cow-boys, au far
west, avec leurs mustangs qu'ils attachaient devant les saloons. Les flics
n'osent pas les ensaboter, ils ne peuvent rien. Le trottoir aussi est leur
parking sans parc-mètre, d'autres intouchables le barricadent pour que personne
n'y mette le nez, sinon les mines anti-personnes leur arrachent les pieds.
Bizarre, on ne s'offusque plus. Normal, tout est norme mais sans ISO. Le public
se privatise puis se monarchise, les têtes couronnées se clonent et se
multiplient, le bas monde des indignés creuse des trous, que de petits trous,
rien que de petits trous et de, plus en plus, rapprochés sous les pieds des
amuseurs des galeries, l'écroulement est inévitable. Alarmiste ? Non, parce que
l'Histoire est un éternel recommencement.