Les nouvelles restrictions économiques prêchées par le gouvernement pour
réduire la facture des importations, mettre de l'ordre dans le commerce
extérieur et encourager la production locale n'ont pas que des bienfaits.
Les revers immédiats de cette nouvelle politique défendue becs et ongles
par l'inamovible ministre du Commerce se font déjà ressentir par les
consommateurs algériens. Les étalages des superettes se vident, les délais de
livraison qui s'allongent, des prix en hausse et des emplois perdus tels sont
les premières conséquences de ces nouvelles restrictions économiques. Les
témoignages des premières «victimes» du tour de vis opéré par le gouvernement
dans le commerce extérieur affluent. Brahim, un fonctionnaire dans une
administration publique, a fait le tour des concessionnaires dans l'espoir
d'acheter une nouvelle voiture. Avec un budget entre 100 et 120 millions de cts,
il espérait dénicher une petite berline française, mais après quelques visites
dans les showrooms, il a rapidement déchanté. Certes, les prix des voitures ont
augmenté dans une fourchette entre 17 et 95 millions de cts selon les modèles
et selon les marques mais le plus frustrant pour les acheteurs potentiels est
que le temps d'attente pour avoir une voiture neuve dépasse tout entendement.
Les acheteurs doivent apprendre à être patients, l'attente peut s'avérer très
longue. «J'ai fait le tour des showrooms, Renault, Peugeot, Chevrolet? et j'ai
eu la même réponse: les voitures ne sont pas disponibles. Il faut verser une
première tranche de 10% du prix de la voiture et attendre en moyenne quatre
mois», regrette ce quinquagénaire qui a finalement abandonné son rêve d'avoir
une nouvelle berline. «Je vais attendre les promotions de la fin d'année,
peut-être j'aurais plus de chance», se console notre interlocuteur. Les délais
de livraison des voitures neuves s'allongent jusqu'à six mois chez certains
concessionnaires. La moyenne aujourd'hui est entre trois mois pour une Accent
Hyundai et quatre mois pour une Renault ou une Peugeot. Et même la Symbol
«Dernaha Djazairia» n'est pas disponible dans les showrooms. Seules les
voitures de luxe allemandes (BMW, Audi, Mercedes) ou asiatiques, dont les prix
donnent le tournis et dépassent souvent les 300 millions de cts, sont livrables
dans l'immédiat. Pour les concessionnaires, les pertes occasionnées par les
dernières restrictions (quotas d'importations, révision du cahier des charges
et de la fiscalité) se chiffrent en millions d'euros et nombreux importateurs,
en particulier les concessionnaires multimarques, risquent non seulement de
voir de grandes sommes d'argent s'évaporer mais ils sont aujourd' hui exposés à
des poursuites judiciaires de la part de leurs fournisseurs européens et
asiatiques. Les concessionnaires multimarques se trouvent entre l'enclume des
restrictions et le marteau des fournisseurs. Sur près de 160 concessionnaires
exerçant actuellement en Algérie, seule une trentaine sont des représentants
officiels de marques de véhicules. La majorité des concessionnaires sont des
multimarques. Ils commercialisent de nombreuses marques européennes et
asiatiques. Ils sont généralement approvisionnés par des revendeurs européens
ou asiatiques. Ces importateurs multimarques ont passé de grandes commandes
auprès de leurs fournisseurs qui les pressent d'honorer leurs engagements. Des
fournisseurs européens de ces multimarques et essentiellement français menacent
d'ores et déjà leurs clients de porter plainte devant les tribunaux. Ces
fournisseurs européens exercent également des pressions souterraines sur le
gouvernement algérien par le biais de leurs représentations diplomatiques en
Algérie. Les fortes pressions exercées ces derniers mois sur le gouvernement
ont réussi à faire reculer les responsables algériens qui ont revu et corrigé
certaines dispositions de l'arrêté ministériel de mars 2015 relatif aux cahiers
des charges sur les conditions d'exercice des activités de concessionnaires de
véhicules neufs avec un autre arrêté ministériel publié au Journal officiel
numéro 24 du 13 mai 2015. Les importateurs automobiles restent mieux nantis que
leurs collègues qui importent certains produits agroalimentaires inscrits dans la
liste noire du ministère du Commerce. La «blacklist» de 24 produits interdits à
l'importation est toujours appliquée dans les ports algériens, n'en déplaise
aux responsables du ministère du Commerce qui multiplient les démentis en
assurant qu'aucune liste noire n'a été établie pour interdire l'importation de
certains produits superflus qui ne font qu'alourdir la facture d'importation.
«Le ministre du Commerce n'a dressé aucune blacklist de produits importés. Du
moment que l'Algérie a opté pour la liberté de commercer, il n'est pas possible
d'interdire l'entrée au marché national d'un produit, sans motif valable»,
avait déclaré fin mai Lyès Ferroukhi, directeur général du Commerce extérieur
au ministère du Commerce, lors de son passage sur les ondes de la chaîne III de
la radio algérienne. Un démenti qui laisse perplexe les opérateurs du commerce
extérieur. «Cette blacklist est toujours en vigueur. Plusieurs produits de
large consommation sont interdits à l'importation», soutient cet importateur de
produits agroalimentaires qui exerce à Oran. Depuis début mai dernier, des
bateaux sont en rade et des conteneurs restent bloqués dans les ports causant
un grand préjudice aux opérateurs du commerce extérieur. Les pertes des
importateurs sont estimées à plusieurs milliards de cts. «Un importateur de
couches bébés perd en moyenne 17 millions de dinars par jour depuis l'entrée en
vigueur de cette liste noire», confie une source bien informée. La blacklist
est composée de produits fabriqués ou cultivés localement comme les couches
bébés, les oranges et les raisins ou considérés comme produits facultatifs et
susceptibles d'être produits localement (chips, moutarde, mayonnaise). Certains
importateurs de produits agroalimentaires frappés par cette interdiction se
sont reconvertis dans d'autres créneaux, alors que d'autres ont abandonné
définitivement leur activité, à l'exemple de cet importateur qui a fait de
grandes affaires en important certaines marques connues de café. «J'ai été
contraint de quitter mon poste de commercial chez une société de distribution
de produits agroalimentaires suite aux dernières restrictions. Mon patron qui
importait des dosettes de café d'Espagne a dû abandonner définitivement son
activité», explique le jeune Mahdi. Certains importateurs gardent toutefois
espoir dans une volte-face du gouvernement.