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Déclarez votre patrimoine ! L'injonction émanerait, semble-t-il, du
Premier ministre, sans nul doute excédé par les accusations qui pleuvent sur
certains membres de son gouvernement.
Il aurait, selon ce qui a été rapporté par la presse, instruit les membres du gouvernement à l'effet d'entamer l'opération de remise de leurs déclarations de patrimoine, conformément à la réglementation en vigueur. S'agit-il d'une opération de transparence à laquelle souhaite se livrer Abdelmalek Sellal en perspective d'un remaniement de son staff qu'on dit imminent ? Ce qui est certain, se sont empressés d'écrire des journalistes, c'est que la parution du livre «Alger-Paris, une histoire passionnelle», a produit quelques effets, sans compter les accusations formulées par Louisa Hanoune à l'encontre de deux membres du gouvernement auxquels «elle a jeté son gant» en signe de défi. Démissionnez et je renoncerai à mon immunité pour vous rencontrer au prétoire, leur a-t-elle lancé publiquement ! C'est dans ce contexte que le Premier ministre aurait donc instruit les membres de son staff pour, dit-on, en finir avec la culture du « soupçon » pesant sur quelques uns de ses ministres qui auraient « oublié » d'expédier leur déclaration de patrimoine. Mais, c'est le timing choisi par Abdelmalek Sellal qui pousse l'observateur à poser la question de savoir pourquoi maintenant ? L'instruction du Premier ministre, si instruction il y a, s'assimile à un rappel adressé aux ministres et aux grands commis de l'Etat de s'acquitter d'une obligation légale ; elle donne donc à déduire que des manquements à cette obligation ont été constatés ! La déclaration de patrimoine, faut-il le rappeler, permet de faire la comparaison entre le montant de la fortune d'un responsable public au moment où il entre en charge et le moment où il en sort. Cela permettrait, ainsi, de répondre à la question : « a-t-il profité de ses fonctions pour s'enrichir ? ». Sa publication, outre la transparence qu'elle induit, permet aux tiers, citoyens ou autres, de saisir la justice en cas de soupçon de déclarations mensongères. La déclaration prend en compte tous les éléments composant le patrimoine quelles que soient leur nature, leur importance ou leurs situations géographiques. L'ensemble des biens doit être déclaré, y compris ceux détenus à l'étranger. Elle est souscrite dans le mois qui suit la date d'installation ou celle de l'exercice du mandat électif de la personne concernée. En cas de modifications substantielles de son patrimoine, cette dernière procède immédiatement, et dans les mêmes formes, au renouvellement de sa déclaration initiale. Rappelons aussi que la déclaration du patrimoine est également établie en fin de mandat ou de cessation d'activité. Ailleurs, dans le monde, on réfléchit à la mise en place d'une « Haute Autorité chargée de contrôler le patrimoine des ministres et d'un parquet financier », ce qui apparaît comme une urgence, après des années d'atermoiement et d'une ferme volonté de moraliser la vie politique entachée par des scandales à répétition dont le dernier en date portait le nom de Cahuzac. Des voix s'élèvent, pourtant, pour s'opposer officiellement, aux fuites dans la presse pouvant alimenter « une suspicion malsaine à l'égard des responsables politiques, notamment ». Un argument partagé par ceux, de bonne foi, qui redoutent que la culture de la transparence ne tourne au nettoyage des écuries d'Augias et ne fasse qu'accentuer la fracture entre les citoyens et leurs gouvernants. Reste à savoir aussi si c'est l'excès de transparence ou une trop longue tradition d'opacité qui est à l'origine de cette culture du soupçon que redoutent tant les politiques. Mais, pour rétablir la confiance, mieux vaut prévenir que guérir. En Algérie, grâce à la réglementation existante qui gagnerait pourtant à être renforcée par des outils de contrôle de la véracité de ce qui est déclaré, dans et en dehors du pays, et à cause de l'enrichissement sans causes de certains responsables, la transparence et la moralisation de la vie publique se sont inscrites au cœur du débat une fois encore. Mais attention tout de même à ne pas tomber dans le déballage qui ne serait pas sain pour le pays et qui, surtout, donnerait le sentiment qu'il y a des choses à régler. Mais tant mieux aussi si l'objectif visé concerne la préservation des deniers publics et des biens de l'Etat ! Même si les citoyens algériens, loin d'être dupes, sont très réservés concernant la véracité de déclarations de patrimoines faites par les uns et les autres responsables. On a même avancé un chiffre pour dire que 80% des grands commis de l'Etat et autres élus qui se sont succédés toutes ces dernières années ne déclarent pas leur patrimoine et conséquemment celui-ci n'a pas fait l'objet d'une publication. En effet, et à en croire ce qui a été rapporté par la presse (*) il y a quelque temps, l'ex-président du MSP (Abou Djerra Soltani à l'époque) a reconnu implicitement sur les ondes de la chaîne 2 que ni lui ni aucun ministre de sa formation n'ont été soumis à cette obligation quand ils étaient au gouvernement. Il aurait ainsi déclaré : « je suis pour la déclaration de patrimoine à condition qu'elle soit vraie, mais il faut savoir qu'aucun responsable en Algérie n'a de fortune en son nom (?) ; tous les biens des responsables algériens sont enregistrés sous des noms d'emprunts ». Prenant un ton ironique, il a aussi dit à propos de certaines déclarations des ministres d'alors : « le peuple algérien se réjouit de savoir que ses ministres sont pauvres ». Ce à quoi aurait répondu, l'ancien ministre Abdelaziz Rahabi : « l'appréciation de Soltani sur la déclaration du patrimoine est d'une gravité qui interpelle les consciences des serviteurs et commis de l'Etat quels qu'en soient la responsabilité ou le grade ; elle présente la corruption comme une fatalité et sa généralisation à ceux qui ont exercé ou exercent, encore, une responsabilité, comme une évidente réalité ». Il est intéressant de noter que dans ces cas-là, dans certains pays, européens notamment, c'est la cour des comptes qui prend sur elle de publier, sur son site internet, la liste des personnes n'ayant pas remis de déclaration de patrimoine initiale, après leur entrée au gouvernement ou à l'occasion de leur élection, ainsi qu'une liste de celles n'ayant pas remis de déclaration de patrimoine lors de leur cessation de fonction ou du non renouvellement de leur mandat électif. A ce propos, ouvrons une parenthèse, non pas pour excuser les cadres qui se dérobent à cette obligation, mais pour préciser que le formulaire est composé de sept pages à renseigner en arabe et en français ; la publication de toutes les déclarations de patrimoine, de l'ensemble des responsables en poste, aurait nécessité une ou plusieurs éditions de journaux officiels : faut-il, dans ces cas précis, recourir à des résumés, au risque d'amputer ces déclarations de leur contenu ? De plus, la publication au Journal officiel peut aussi déclencher des réactions en chaîne : -Les déclarants peuvent être amenés à faire des démentis ou d'apporter des éclaircissements, suite à des dénonciations par des tiers. -Les banques, les notaires, les services des domaines auront ainsi leur mot à dire, grâce à leurs fichiers. -Il en est de même des services de sécurité qui peuvent déclencher des enquêtes sur des richesses ou des biens non déclarés. Les déballages, les affaires et tous ces procès spectaculaires arrivent au moment où le gouvernement Sellal est malmené par la chute du pétrole et la crise qui s'est installée dans le pays. le Premier ministre doit faire aussi avec son staff ministériel loin de faire l'unanimité en termes de performance. Découvre-t-on, soudainement, en Algérie la nécessité de la moralisation de la vie publique ? Cela fait quelques temps déjà qu'il y a régulièrement des scandales financiers et de corruptions présumées qui sont révélés. En tous les cas, la triche et la fraude semblent faire partie du sport national, à tous les niveaux. Les Algériens veulent-ils, aujourd'hui, qu'on leur parle de chômage, d'emploi, de logement ou bien alors, de la moralisation de la vie politique ? Il serait intéressant de les sonder à ce sujet, même si leurs priorités sont connues. De ce qu'on a déjà entendu, on retient, bien évidemment, le fameux «tous pourris» qui prospère au fil du temps, notamment avec les présumées affaires «Sonatrach», «autoroute Est-Ouest» et aussi «Khalifa» et leurs aussi présumés auteurs. Le sentiment général révèle qu'il faut, nécessairement, lutter contre la corruption et la fraude et que, s'il y a encore des hommes politiques honnêtes, qu'ils se mettent au travail sur ces sujets. De toutes les façons, les déclarations de patrimoine ne changeront pas grand-chose et n'empêcheront pas la malhonnêteté, la corruption et l'enrichissement sans cause de croître. La focalisation sur la transparence du patrimoine peut être, aussi, assimilée à une gesticulation qui risque de produire des effets inverses de ceux escomptés. Si personne ne conteste qu'un ministre, élu ou autre wali, doivent être totalement transparents, c'est d'abord dans leur action et dans l'exercice de leur mandat ou de la fonction que cette transparence doit être radicale. Ceci étant dit, tous ceux qui viendraient à critiquer le procédé réglementaire en vigueur, celui qui oblige les responsables à déclarer leur patrimoine, auraient été les premiers à s'émouvoir, voire même à s'indigner, s'il n'y avait pas de mesures réglementaires à même de cadrer cela ! Mais, il ne faudrait pas confondre publication du patrimoine, ce qui est obligatoire, et publicité autour du patrimoine ce qui au regard des concernés, est considéré comme une atteinte à leur vie privée. C'est l'avis de Nicholas Sarkozy, l'ancien président français qui fait, aujourd'hui, campagne contre la transparence absolue ! Un thème racoleur, a-t-il dit, qui est sorti à la veille de chaque élection. Et, a-t-il ajouté, quand il n'y a plus de sphère privée, cela s'appelle le « totalitarisme ». Déclarer, contrôler, sanctionner, c'est de la transparence, alors que rendre public, participerait du « voyeurisme », selon certains. L'opinion publique, quant à elle, est favorable à cette mesure même si celle-ci risque de gêner ceux qui craignent ce grand déballage et qui permettrait, à une certaine presse, d'établir, par exemple, les palmarès des ministres ou des walis les plus fortunés. Mais beaucoup pensent également que cette mesure, soit la déclaration de patrimoine, est une triple erreur car : 1- Elle lance une course à la transparence, dont il est difficile d'imaginer les limites. 2- Elle n'empêchera pas de soustraire des biens, voire des fonds douteux aux déclarations officielles. 3- Les responsables issus du secteur privé ou de la société civile seront, encore un peu plus, dissuadés d'entrer dans un champ politique qui leur promettra, ainsi, la suspicion, en plus de la précarité financière, s'ils ne devaient se contenter que de leur salaire officiel, eux qui percevaient des émoluments considérables avant de s'engager en politique. Le président de la République a apposé son paraphe sur la loi 06/01 de février 2006 relative à la Prévention et la Lutte contre la corruption qui fait obligation de déclaration de patrimoine et des textes majeurs comme le projet de loi modifiant et complétant l'ordonnance du 23 août 2005 relative à la lutte contre la contrebande qui a permis à certains d'accumuler des fortunes colossales, bâties sur des alliances plus que douteuses, puisque, et c'est un fait avéré, l'interconnexion « contrebande-terrorisme» ne fait plus de doute ! Son geste est peut-être révélateur de sa volonté de faire de son mandat celui de la moralisation de la vie publique et de l'éradication de la corruption qui asphyxie la République irréprochable, empoisonne le gouvernement, pollue le climat des affaires et intoxique un régime qui n'arrive pas, depuis plus de cinquante ans, à arracher la politique à l'argent. La première vertu de la transparence, c'est de dissiper les rumeurs et les fantasmes. Personne ne conteste son importance, mais on peut se demander si l'excès de lumière ne conduit pas, aujourd'hui, à l'aveuglement, a résumé un expert de la chose. Autrement dit, il ne faut pas simplement assurer la publicité de l'information, mais son explication, sa hiérarchie et sa vérification sans céder à un voyeurisme gratuit. C'est précisément le rôle de la presse mais aussi des instances de contrôle. La transparence ne se réduit pas à la publication des déclarations, elle suppose un travail d'expertise et de contrôle. C'est toute la subtilité de cette mission : pointer du doigt les abus, sans jeter le discrédit sur toute la classe politique et les responsables ! Pour en finir, peut-être, un jour, avec les brebis galeuses qui alimentent, quotidiennement, ce sentiment de « tous pourris » ! Renvoi : (*) Nissa Hamadi, in Liberté du 05 octobre 2006 |
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