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3ère partie
Le temps religieux de la «Hidjra «est important dans l`histoire de l'Algérie contemporaine puisqu'il n'a pas épargné la plupart des grandes villes du pays. Il eut l'effet d'un choc dans la conscience des Algériens avec les départs signalés partout de jeunes, vieux, femmes et enfants. Les candidats à l`exil, abandonnaient le pays par vagues successives en cédant du jour au lendemain leurs biens, laissant derrière eux des quartiers entièrement vides. Sur le chemin de l`exil, nombreux mourront sans eau et sans provisions dans les cales des navires qui les embarquèrent de Tanger ou de Capo de Agua au large de Nador (Maroc), vers la Syrie ou la Turquie, deux pays envers lesquels les Algériens avaient de nombreuses affinités. Avant sa «Hidjra», Mohamed Meziane, fils du caïd Si Lakhdar, occupait le poste de répétiteur à la médersa. A son arrivée à Istanbul, il se chargea lui-même d'accueillir les émigrés. En raison de son dynamisme et de son engagement militant contre la colonisation, il sera parmi les signataires Algériens et Tunisiens de l'avant - garde maghrébine dont le tlemcencien Ahmed meziane, le juriste tuniien Mohamed Bach Hamba et Biraz al-Djazaïri, de la pétition adressée, en 1919, au président américain Wilson et aux membres de l'alliance réunis à Paris, à la fin de la première guerre, dans laquelle ils demandèrent l'autodétermination des peuples de l'Afrique du Nord. Il avait été aussi, quelques années avant, en 1917, l'envoyé de l`Etat ottoman pour participer au congrès des peuples sous domination coloniale qui s'était tenu à Berlin. Le temps religieux de la «Hidjra» qui a fait partie de la lutte menée par le peuple algérien contre la colonisation allait mettre en selle, pour la première fois, les jeunes de la nouvelle génération de l'élite formée à la double école arabo-française qui privilégièrent le côté politique, formulant les premières revendications de droits. Dans les milieux citadins ces jeunes évolués, étiquetés ironiquement de «Ashab el-politic» ou de «Cifilisés «ressuscitaient avec brio le code des bonnes manières ( costume traditionnel, chéchia kalabouch?) remplissant «politiquement «le vide créé par l'éclipse des élites traditionnelles. Le «Progrès» et la «Civilisation», tel était le parti-pris essentiel du programme du camp de ces jeunes évolués favorables à un renouveau «Tajdid»en Algérie. L'entrée en lice des élites dessinait déjà les premiers enjeux du nationalisme naissant. L'élan politico-culturel «Jeune-Algérie «était un phénomène essentiellement urbain. Il a constitué une étape politico-intellectuelle importante dans l'évolution des idées qui ont favorisé l'émergence d'une autre forme de lutte qui va accorder la suprématie à la cause nationale. Les «Jeunes-Algériens», dans l'engrenage du mouvement qu'ils ont créé, avançaient séparément des «Foqaha (s) «; les uns se faisant entendre dans les mosquées, les autres, dans des lieux modernes imaginés à l'instar de la Jeune Turquie, à savoir : les cercles ou «Nadi(s)». Les élites et les cercles ont dessiné le paysage socio- politique et culturel de la nouvelle sociabilité politique et culturelle citadine, à l'aube du XXème s. L'influence de la Turquie pré-kemaliste des réformes, le Tanzimat, était là présente dans ce modèle. Ces lieux de prise de conscience ont servi de cadre aux premières expériences politiques de cette transition urbaine originale qui s'est déployée petit à petit à travers les cités. Ce phénomène historique est malheureusement encore largement négligé dans le traitement du passé politique et culturel moderne de l'Algérie. Parmi les premiers cercles ou «Nadis «créés en Algérie sous l'influence du courant «Jeune- Algérie» nous pouvons citer, à titre d'exemple : «Nadi chabiba al-wataniya al-djazaîriya» fondé en 1904 , à Tlemcen ; «Nadi et-Tawfiqiya» en 1908 à Alger ; «Nadi Salah bey» , en 1908, à Constantine ? Cette dynamique politico-intellectuelle influencée par la Turquie des Réformes et le mouvement de la Renaissance, inspiré par les leaders de la «Nahda», avait mobilisé des personnalités intellectuelles et réformistes algériennes de la nouvelle élite qui se distinguait dans différents domaines de la pensée , de la religion , de l'art ? ( Larbi et son frère Bénali Fekar , les professeurs Abdeslam Aboubekr, Ghaouti Bouali, les instituteurs Mostefa Aboura, Mohamed Bensmaïl, Mohamed Bouayed, les réformistes Abdelkader Midjaoui , l'avocat Taleb Abdeslam auteur d'un projet politique autonomiste (voir son livre «Les ambitions algériennes» ,Tlemcen , 1919) ; l'agrégé en littérature arabe Abdelkader Mahdad, cofondateur de l'Union du manifeste algérien (U.D.M.A?) qui ont compté parmi les membres les plus influents de leur temps. C'est dans le milieu de la sociabilité politique nouvelle créée autour de ces cercles que la personnalité du héros moderne, Messali Hadj (1897-1972) est née. Cette sociabilité nouvelle était suscitée par ces «Nadi(s)» qui fonctionnaient comme des lieux de vie, de convivialité et de rencontres remplaçant les traditionnelles «masriya-s», ces «homes» de vieille tradition citadine qui assuraient l'intimité des discussions et des échanges. C'est là, dans ces lieux innovants de partage que le sentiment national de la nouvelle élite politique modérée des «Jeunes Algériens «s'avisa. Ces lieux vont proliférer et cela dans un milieu ambiant souvent difficile entretenu d'un côté par les colons trop méfiants et, de l'autre, par les doctes souvent zélés et conservateurs. En proliférant, ces lieux du jeune patriotisme algérien ont jeté les bases d'une vie pré-démocratique où toutes les tendances culturelles et obédiences politiques se sont petit à petit illustrées. Au tournant du XIXe siècle, une dizaine de cercles verront le jour modifiant le paysage de la cité, en devenant des lieux dynamiques d'évolution de la société du «Tamaddoun», concept cher à l'illustre historien maghrébin Abderrahmane Ibn Khaldoun. Ces «Nadis» manifestaient les tendances : «Cercle des Jeunes patriotes algériens» (libéral),» «Nadi saada «(nationaliste), «Nadi ittihad «(progressiste), «Nadi islami», «Nadi Sanousiya «,«Nadi chorafa» (Oulamas)? Messali Hadj était membre de l'association «Jeunesse littéraire musulmane «fondée en 1917 par les médersiens Abdelkader Mahdad, Mustapha Benyelles, futur muphti de la grande mosquée d'Alger, Mohamed Tchouar, dont le siège comprenait une bibliothèque et une salle d'alphabétisation. Cette association avait pour président d'honneur le délégué financier Si M'hamed Ben Rahal (1858-1928). Dans cette dynamique sociale et politique nouvelle, le mouvement de la «Hidjra» offre au moins deux lectures, l'une théologique exacerbant le sentiment religieux, l'autre, politique, résultat d'une prise de conscience en matière de droits et de libertés. Sur l'aspect politique de la «Hidjra» «clercs» et «Jeunes-Algériens» devaient avancer séparément, revendiquant les premiers, le retour à la justice des cadis et la séparation du culte de l'Etat français, les seconds, la reconnaissance des droits minimums. La nouvelle génération de l`élite a, ainsi, du fait de son influence, motivé le contexte de la lutte politico-culturelle mettant au premier plan l'humanité, le droit, la justice, le devoir. L'idée de la «hidjra» fut en ce moment, exacerbée également par le projet déjà en l'air au même moment, celui de la conquête du Maroc, voire le refus de servir dans les rangs de l'armée coloniale pour «combattre les frères marocains», les trois pays du Maghreb fonctionnaient encore symboliquement, en tant qu'unité. Parmi les personnalités intellectuelles et politiques qui ont émergé en se positionnant autour de la question il y a notamment le docteur en droit, Bénali Fekar. Bardé de diplômes en qualité de juriste, politologue et économiste, fils d`un théologien-réformateur de la génération de Cheikh Abdelkrim Medjaoui, Moulay Driss Ben Tabet,? ce Jeune-Algérien très distingué issu des médersas de Tlemcen et de l`école des Belles lettres d'Alger, ancien élève des orientalistes Godefroy Demonbynes, A. Fagnan, René Basset, ?était considéré comme l'intellectuel Algérien et Arabe le plus titré de son temps. Premier docteur en droit es sciences politiques, économiques et juridiques il est lauréat de la faculté de droit de Lyon, en 1908. Sa thèse de doctorat en droit consacrée au sujet concernant l'usure en droit musulman (Arthur Rousseau éditeur , Paris 1908) rehaussera son prestige dans le monde de la pensée et de la politique jugée d'intérêt par le fondateur de l'islamologie moderne Ignace Goldziher (1850-1923), l'historien et sociologue Maxime Rodinson ( 1915-2004) ? Dans la capitale du Rhône-Alpes, son souvenir est resté rattaché à l`image soignée qu'il a laissée, celle d'un Algérien cultivé et fier de ses origines. Il fut un proche ami des hommes politiques et hommes d'Etat français Charles Célestin Auguste Jonnart (1857-1927), Edouard Herriot (1872-1957) ?. Auguste Jonnart fut gouverneur d'Algérie de 1903 à 1911, sous Waldek Rousseau. A suivre |
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