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La hideuse face cachée de la municipalité de Mers El-Kébir, daïra d'Aïn
El-Turck, s'illustre pitoyablement à travers le hameau communément appelé
Bastien, en référence au ru (oued Bastien) qui le traverse de part en part.
Constitué de 27 maisonnettes rudimentaires, essentiellement construites de
parpaing et de tôle ondulée, ce petit bourg s'étend en contrebas d'une petite
route franchissant partiellement le lieudit Sardina. Pour y accéder, on doit
emprunter un petit sentier en terre battue, dissimulé par d'abondants
feuillages d'arbres inconnus, qui longe en amont d'une rigole d'eaux usées,
véritable source de maladies où se reproduit une diversité d'espèces
d'insectes, et en aval l'oued Bastien où se lovent toutes sortes de reptiles.
C'est également le lieu où viennent s'abreuvoir, à la tombée du soir, des
meutes de sangliers. L'odorat est vivement agressé par la puanteur
insupportable émanant notamment des eaux usées mélangée à l'eau noircie de
cette petite rivière qui charrie des détritus et sort de son lit chaque hiver
pour envahir les petites habitations. Les forts effluves provenant de la
briqueterie qui surplombe ce hameau, ajoutent leur grain de sel en embaumant
encore un plus cet air presque irrespirable. L'étroitesse de la piste qui
permet d'accéder à ces lieux est inaccessible à n'importe quel véhicule et
rendent ainsi une évacuation d'urgence quasiment impossible pour une ambulance.
Un unique poteau électrique éclaire une infime zone où les maisonnettes sont
blotties les unes contre les autres, accrochées de part et d'autre du ru Bastien
à de petits monticules de terres humides qui risquent à tout moment de
s'effondrer. De vulgaires planches en bois sont disposées transversalement pour
permettre de passer à l'une ou l'autre rive. «Je vous laisse un peu imaginer
comment on s'y prend pour traverser les eaux en furie de ce ru en hiver», a
plaisanté, sans être vraiment joyeux, l'un des habitants qui a offert de nous
guider, jeudi après-midi, pour nous indiquer comment atteindre ce minuscule
bourg. A notre arrivée, nous avons aussitôt relevé qu'une grande tristesse se
lisait sur tous les visages de ses gens qui nous ont humblement reçus pour nous
narrer le calvaire auquel ils sont durement confrontés depuis près de cinquante
années. Les raisons de cette tristesse collective est que la veille de cette
visite, ils ont enterré l'une des leurs, en l'occurrence Mme Aggoun Abid
Khadra, dont le domicile se trouve juste sous la briqueterie, qui a succombé à
une fibrose à l'âge de 73 ans, après une longue maladie et ce, suite à
l'inhalation, des années durant, des fortes émanations de cuisson du ciment et
de la chaux, nécessaires à la confection de la brique. «Elle était la doyenne
du hameau. Sur son lit de mort, elle a vivement souhaité que ses enfants et ses
petits-enfants soient enfin relogés afin qu'ils n'endurent pas le calvaire qui
a meublé l'essentiel de sa vie depuis son installation dans le bourg. Nous
sommes malheureusement tous en sursis, plus particulièrement nos enfants.
Presque tous les habitants sont, en effet, atteints d'infections respiratoires
en raison des exhalaisons putrides qui se dégagent des eaux de la rivière et de
la briqueterie», a fait remarquer avec une pointe de dépit, au Quotidien
d'Oran, M. Ferrat Aïssa, demeurant depuis cinq décennies dans une habitation
dont une grande partie du toit s'était effondrée. «A la veille de chaque
campagne électorale pour les législatives particulièrement, on nous fait
miroiter la possibilité d'être relogés dans le but évident de nous convaincre à
donner nos voix. Puis, plus rien du tout. On nous oublie carrément jusqu'aux
prochaines élections. Nous sommes las des promesses qui n'ont jamais été
tenues», s'est insurgé un autre habitant de ce bourg, recensé en 2007, puis en
2008, dont les pistes serpentant entre les habitations se transforment, durant
la période des pluies, en de véritables marécages à la faveur du débordement de
l'oued Bastien. «Nos enfants doivent patauger dans la boue, qui atteint leurs
mollets, pour se rendre à leur écoles», a expliqué une mère de famille. «Un
enfant de 14 ans, s'est noyé, emporté par les eaux en crue de la rivière, deux
ans auparavant, en se rendant à son école tôt le matin pour se présenter aux
examens de sixième», ont évoqué avec une grande tristesse nos interlocuteurs
qui ont également déploré à l'unanimité leur marginalisation par les élus et
les autorités, qui se sont succédés aux destinées de cette partie de la wilaya
d'Oran.
LA LONGUE ATTENTE D'UN LOGEMENT DECENT Personne n'a daigné nous rendre visite pour s'enquérir de nos déplorables conditions de vie. On préfère s'inquiéter beaucoup plus des aménagements destinés à embellir la façade». Il est nécessaire de signaler que ce hameau est dépourvu de réseau d'assainissement, d'éclairage public, de gaz de ville et surtout d'un cadre de vie décent. Les 27 familles qui tentent d'y survivre depuis cinq décennies, sont toutes issues de couches sociales très modestes qui trouvent d'énormes difficultés à joindre les deux bouts. Les responsables de familles sont en général des smicards dont certains ne subsistent que grâce à une pension de retraite. En revanche, toutes ces familles disposent, chacune, de documents en bonne et due forme, attestant la conformité et autorisant à l'époque la construction de leur habitation. «Ces documents prouvent au moins que nous existons», a ironisé un habitant avant de renchérir «nous vivons à l'âge de pierre et les hommes des cavernes ne nous envieront certainement pas». Notons que le hameau Bastien est sorti de l'anonymat quelques jours auparavant à la faveur d'une protesta qui a failli basculer vers l'irréparable, orchestrée par ses habitants pour exprimer leur ras le bol et attirer l'attention des autorités sur leur situation de déliquescence à l'extrême. Celle-ci, qui tend à s'embourber au fil des jours, devant l'indifférence de tout un chacun, devrait en principe alerter en urgence les autorités sur les éventuelles conséquences fâcheuses. Rencontré sur le chemin du retour, un vieux riverain du lieudit Sardina nous a confié sans ambages que «le hameau Bastien est une véritable bombe à retardement qui risque d'exploser à n'importe quel moment». Des déclarations similaires et encore lourdes de sens ont été formulées par d'autres riverains qui ont été abordés à ce sujet par le Quotidien d'Oran sur la place de Mers El-Kébir. |
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