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On ne peut pas dire qu'il y a eu un débat de fond sur le thème de «la
liberté d'expression, droit et responsabilité», avant-hier lundi au siège du
pôle pénal spécialisé, rue Dr Benzerdjeb, Oran. En fait, magistrats et
journalistes ont à peine caressé cette problématique complexe et sujette à
maintes polémiques en Algérie comme ailleurs. Ni le court laps de temps
consacré (deux petites heures) ni le contexte (Journée arabe des droits de
l'Homme, le 16 mars) ne permettaient un traitement substantiel de ce sujet
autant important que délicat, que la citation du journaliste français André
Guillois esquisse si bien : « Dans la plupart des pays, les citoyens possèdent
la liberté de parole. Mais dans une démocratie, ils possèdent encore la liberté
après avoir parlé ». N'empêche, l'échange -libre et franc- de connaissances,
d'opinions et de points de vue entre hommes de loi et professionnels de
l'information (les magistrats et les journalistes, pour être plus précis) qui a
eu lieu dans la grande salle d'audience est intéressant et rentable à plus d'un
titre. « C'est en communiquant qu'on apprend à communiquer », observait, d'un
ton neutre, un journaliste en fin de rencontre. « C'est rarissime que nous, les
juges, nous réunissions sur des ordres du jour autres que les textes de loi.
C'est nécessaire et important que les magistrats se mettent à jour
régulièrement en matière de législation en général, mais c'est également vital
qu'ils rencontrent et échangent avec les autres. En plus d'être profitable et à
la justice et à la presse à la fois, cette rencontre magistrats-journalistes
est fort passionnante», a estimé le président de la cour d'Oran, M. Ahmed
Medjati, qui coprésidait cette conférence aux côtés du procureur général, M.
Mohamed Bekhlifi. Au bonheur de toute la salle, en premier lieu les
journalistes, le conférencier, un éloquent président de chambre près la cour
d'Oran, n'est pas resté confiné dans le thème officiel et a su surfer sur
divers aspects en rapport avec les lois relatives à la liberté d'opinion et
d'expression, notamment la loi organique sur l'information, les chartes
internationales y afférentes dont la Déclaration universelle des droits de
l'homme et le Pacte international sur les droits civiques et politiques, les
délits de presse, le droit à l'information et responsabilité, la liberté
d'expression et la protection pénale de l'honneur et la dignité du citoyen,
tout en faisant le parallèle avec d'autres modèles de pays occidentaux qui
connaissent une « effervescence culturelle et jurisprudentielle en matière de
liberté d'expression, notamment », à la l'instar de la Grande-Bretagne, la
Suisse et la France. Le débat qui s'en est suivi a surtout permis de corriger
certaines «fausses idées reçues», comme notamment la notion de la
«dépénalisation des délits de presse». En méconnaissance, aussi bien de la
législation pénale régissant le délit de presse, que de la notion de
dépénalisation, d'aucuns ont considéré que le journaliste est désormais (depuis
la promulgation du nouveau code de l'information (NCI), le 12 juin 2012) libéré
de la peur d'être emprisonné pour ses écrits et que, dans le pire des cas, il
ne peut être condamné qu'à une peine d'amende.
DEPENALISATION DES DELITS DE PRESSE : UNE FABLE En vérité, le NCI n'a nullement dépénalisé le délit de presse, bien au contraire, il n'a fait qu'exacerber l'ambiguïté qui entoure aussi bien la notion de «dépénalisation» que celle de «délit de presse». Plus grave encore, le NCI a, en définitive, transformé le délit de presse, délit spécial, assujetti à certaines règles et procédures particulières protégeant le journaliste à l'instar de la courte prescription des infractions de presse, en un délit de droit commun dont les règles sont plus rigoureuses. En droit, «dépénaliser» signifie «enlever le caractère pénal à une infraction déterminée pour en faire une infraction relevant du droit civil». Aussi, considérer que dépénaliser consiste à supprimer l'application de la peine de prison à l'encontre de l'auteur de l'infraction de presse est incorrect, a-t-on précisé. Le NCI, s'il a effectivement supprimé la peine de prison pour les infractions qu'il énumère, a, par contre, maintenu la peine d'amende. Donc, le terme dépénalisation est inadéquat, puisque le journaliste est toujours passible d'une peine correctionnelle. Il serait plus juste de parler de «dé-prisonnement». En outre, la quasi totalité des infractions de presse, y compris la diffamation, l'injure ou l'outrage, sont punis, non pas par le NCI, mais bel et bien par le code pénal. Et ces infractions sont toutes passibles de peines de prison dont certaines à des peines de réclusion criminelle, à l'instar du crime de divulgation de secret-défense ou d'apologie d'un acte subversif. On est donc loin de la dépénalisation du délit de presse. De plus, le NCI a «omis» la règle de l'«exceptio veritatis», qui permet au journaliste d'échapper à la répression en apportant la preuve de la véracité du fait diffamatoire. Du point de vue d'un journaliste, «pour concilier les deux grands principes de liberté et de responsabilité, il faudrait peut-être instaurer une législation spéciale, comme un code de l'information ou une loi sur la presse qui ne permette ni la totale impunité ni une excessive répression». Enfin, le président de la cour a répondu très favorablement à une proposition d'un journaliste pour l'organisation d'une session de formation, au profit de la presse locale, notamment en matière de lexique juridique pour les besoins de la chronique judiciaire. Le chef de la cour a donné son accord de principe pour cette suggestion « opportune». |
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