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La
ministre de l'Education n'a pas tort quand elle affirme que l'avenir de l'école est en danger. L'Inspecteur
général de l'administration au ministère de l'Education nationale, Messeguem
Nedjadi, va évidemment dans le même sens en mettant en cause les grèves
«récurrentes» et affirmant que l'école algérienne «a régressé de deux années»,
et que le «niveau scolaire ne cesse de baisser depuis 10 ans». Des responsables
qui confirment ce que tout le monde savait. Le diagnostic fait l'unanimité.
Mais dire que cet état de fait s'explique seulement par les mouvements de
protestation des enseignants pose problème. Evidemment, ces derniers ont leur
part de responsabilité mais ils ne représentent qu'une partie de la
problématique. Que doit-on enseigner à l'école, qui décide des programmes, des
recrutements, de la désignation des gestionnaires, de la carte scolaire, des
infrastructures ? Ceci pour dire que les intervenants sont multiples et que les
exécutants que sont les enseignants ne sont assurément pas au centre de la
décision concernant le système éducatif. Ce qui, bien sûr, ne les dédouane pas
totalement. Face à la baisse du niveau, le phénomène des cours particuliers a
pris aujourd'hui une ampleur jamais observée auparavant. Une école parallèle,
une véritable industrie. Des parents d'élèves peuvent en témoigner, des
enseignants en grève dans le secteur public ne boycotteront pour rien au monde
les cours payants qu'ils assurent. Ces cours ont toujours fait partie du
paysage de l'école mais ce qui est ahurissant aujourd'hui, c'est que cela soit
devenu un recours systématique. Auparavant destinés aux élèves qui avaient des
lacunes à combler, ils sont devenus maintenant «indispensables» pour nombre de
parents d'élèves dont les enfants, même les plus brillants, assurent ne pas
pouvoir suivre. Il y a bien sûr des raisons à cela. Il ne faut pas aller vite
en besogne et accabler le personnel enseignant de tout, comme semblent vouloir
le faire les responsables de l'Education. Car si sous d'autres cieux, l'on
semble faire les mêmes constats quant au niveau général des élèves qui baisse,
l'on ne cède pas à la facilité pour montrer du doigt celui qui n'est en fait
que le dernier maillon de la chaîne. L'école algérienne, malgré l'importance du
budget qui lui est consacré, n'a pas les moyens de sa politique. Le dernier des
profanes conviendra qu'on ne peut assurer un enseignement correct avec des
classes de 45 élèves. Mais ceci semble un détail pour les gestionnaires. De
même pour l'outil pédagogique dépassé. Pourtant, et pour faire face à la grève
du Cnapeste qui perdure, des dispositifs pédagogiques de soutien dont des CD
des cours pour les élèves de terminale avec accès à la plateforme de l'Office
national d'enseignement à distance (ONEFD) ont été mis en place en un temps
record. D'aucuns auraient applaudi la démarche si cela procédait d'une intention
réelle de moderniser l'école et non pas une simple réponse à une situation
d'urgence. On peut comprendre la réaction des responsables du secteur, parce
qu'on ne peut rester les bras croisés alors que des élèves sont pris en otage
par un conflit syndicats-tutelle récurrent. Mais jusqu'à quand l'école sera
gérée dans l'urgence ? La réforme est par définition réfléchie, elle ne peut
s'accommoder de rafistolages. Ainsi, l'une des mesures annoncées pour cette
année, la fiche d'évaluation continue de l'élève de terminale est reportée. Il
en sera peut-être de même pour le fameux «seuil» des cours qui tire depuis des
années l'école vers le bas. Des responsables de l'Education accusent des
syndicats de verser un peu dans le politique, c'est peut-être pas faux, mais
comment qualifier alors la démarche même du ministère depuis ces dernières
années, obligé de céder sur beaucoup de points (notamment le fameux seuil) pour
acheter la paix sociale ? Ces mêmes responsables ont-ils les coudées franches
pour mener à bien les réformes annoncées sans interférences ? C'est la
quadrature du cercle.