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La question
s'impose à nous, d'autant plus qu'une partie infime de la population d'Oran, se
pensant éclairée et responsable de l'advenir d'une mémoire urbaine, s'emballe
dans un projet mitigé de sauvegarde et un discours aux contours imprécis sur ce
qu'elle appelle «Patrimoine». Des architectes et des universitaires de profils
différents veulent sauvegarder un héritage historique en voie de disparition.
Pour information, une enquête menée par quelques jeunes Français il y a
quelques années, et qui n'a pas été diffusée, démontrait que plus de 75% des
Oranais enquêtés ne se sentaient pas concernés par le devenir de Sid el Houari,
et que ce haï n'est pas historiquement significatif pour eux.
DONC, D'OU VIENT CETTE VOLONTE DE SAUVEGARDE DE SID EL HOUARI ? ET QUI VEUT SAUVEGARDER POUR QUI ? Nous pensons, tout d'abord, que l'histoire est oublieuse. La première tentative de sauvegarde remonte au siècle dernier, les débuts du vingtième. Les Européens de la ville basse se sont opposés au déplacement de la ville vers la haute plaine, et ont craint que les édifices relevant de la mémoire de leur présence à Oran ne soient abandonnés. La modernité qui s'esquissait sur la plaine, et qui par la suite allait tenter de reprendre le modèle de l'urbain touré des villes américaines, menaçait le caractère ancien de la ville basse. La modernité comme mode d'expression de l'identité, de l'adhésion à l'esprit progressiste et à l'usage des nouveaux matériaux, a toujours fait concurrence à la tradition des modes d'urbanisation statiques; elle a de tout temps divisé automatiquement les villes du monde entier en deux villes: la ville moderne et la ville ancienne. Oran n'a pas échappé à cette règle. Toutefois, lorsqu'elle s'imposa aux Européens, Oran le fit à l'époque dans une cohérence culturelle européenne, puisque les indigènes (expression dont nous récusons l'aspect péjoratif; dans les dictionnaires, indigène signifie premier habitant, donc les Algériens ne doivent avoir aucune honte à avoir été considérés tels que les premiers habitants de notre pays) étaient pour la plupart exclus du territoire des Européens et habitaient des quartiers lesquels possédaient une ambiance proche de la culture du localement enracinée, comme la nouvelle ville (une autre invention européenne !). Actuellement, quelques Algériens d'Oran paniquent à l'idée importée de voir Sid el Houari disparaître, alors que haï Medine Jdida, qui est largement représentatif de leur «urbanité oranaise» (à voir absolument les contributions du professeur des universités d'Algérie, ex-maire d'Oran, monsieur Saddek Benkada), ne mobilise presque pas leurs efforts. Cette tentation pour la mémoire européenne d'Oran à travers Sid el Houari, fut confortée ces dernières années par le passage d'un certain nombre d'Européens qui ont au moins le mérite d'avoir milité pour la sauvegarde de «leur patrimoine» qui n'est censé être qu'une affaire d'héritage historique pour les Algériens. Une foule de jeunes les a suivis, certes malheureusement, dans des randonnées lesquelles n'ont jamais regardé du côté de la mémoire proprement dite algérienne. Un haï comme Medine Jadida est un territoire algérien (Marcel Roncayolo nous affirmait que notre territoire est celui dans lequel nous nous reconnaissons et nous nous identifions, et où nous avons le sentiment profond qu'il nous appartient), il raconte l'histoire des anciennes familles algériennes d'Oran parmi lesquelles certaines ont fortement contribué à l'indépendance algérienne. A travers le choix de Sid el Houari, nous pouvons percevoir une forme de mépris de soi; ce n'est même pas une question de l'inconscience de soi que relevait Hadj Nacer dans son livre: La martingale algérienne. L'attrait pour l'Européen donne un statut, mais aussi l'illusion d'intégrer une culture supérieure, dès lors que la culture locale se confond avec l'idée du passéisme qui ne vaut pas la peine d'être revisité. SID EL HOUARI EST DELAISSE Une partie de la rue des Jardins s'est écroulée récemment. Longtemps des rumeurs ont circulé sur la possibilité d'une démolition massive du haï, et l'octroi d'assiettes foncières à des investisseurs étrangers, provenant particulièrement du Golfe arabe. Il est sûr et certain que ce haï représente pour les investisseurs une aubaine économique exceptionnelle. Les problèmes d'héritage, de propriété non avérée et de squattement constaté, ont tous contribué à l'accélération de la détérioration du haï. Cependant, il faut rappeler qu'au cours des années 1980, de nombreuses études d'inventorisation, de mise en valeur de Sid el Houari ont été menées avec la participation d'équipes nationales et internationales. Cela n'a pas empêché la destruction définitive de La Calère dans des conditions qui méritent de faire l'objet au moins d'une monographie urbaine. Il y eut même la volonté de parcellariser ce quartier. Les années 1990 et la montée du terrorisme ont freiné la cadence de ces études, et il faut dire aussi que tout le monde (y compris les architectes) s'est rabattu sur la construction de projets neufs au prix de destructions importantes, comme celles qui ont transformé la place Hoche, et qui ont effacé la notion d'échelle harmonieuse de l'environnement direct. SID EL HOUARI EST UN SITE EXCEPTIONNEL Il ravive la convoitise des autorités et des investisseurs. Coincé entre le relief de la montagne du Murdjadjo et la falaise de la haute plaine, il bénéficie des atouts de vue de mer et de microclimat. Il s'agit d'un site qui jouit d'une position urbaine très intime, une sorte d'enracinement à ciel ouvert. AINSI DONC,NOUS EN VENONS A NOTRE PROPOS Architecturalement parlant, les immeubles qui constituent haï Sid el Houari posent des problèmes d'orientation et de vis-à-vis, et ne possèdent généralement aucune exception, nous pouvons retrouver des répliques dans d'autres quartiers d'origine européenne sur la haute plaine, dont certains d'ailleurs sont dans de meilleurs états. La question de la sauvegarde n'est donc significative que pour les édifices majeurs, lesquels pour la plupart ne donnent presque jamais l'impression qu'ils font partie d'une cohérence urbaine. Nous osons même dire que c'est cette architecture importée qui a blasé Le Corbusier à Alger. Heureusement, pour ceux qui connaissent l'histoire, que le hasard lui a fait découvrir La Casbah, et par la suite Le M'Zab. SID EL HOUARI FONCTIONNE COMME LE BIDONVILLE DE NANTERRE Le rapprochement apparait brutal. Pourtant il reflète la réalité. Gaston Bardet, dans sa topographie sociale d'Oran, a bien noté dès 1936 que La Calère et La Marine avaient des maisons qui tombaient en ruine, d'autres que les Européens abandonnaient, ce qui encourageait les indigènes, selon son propos, à s'insinuer. Cet habitat occupé illégalement constituait l'occasion d'une ascension sociale, et se poursuivait aux alentours des tensions en exacerbation entre les communautés urbaines. EN REALITE, LES POPULATIONS SE SONT TOUJOURS DEPLACEES Lorsque les Français ont quitté le pays, les Algériens ont à leur tour quitté la ville basse pour occuper la ville haute, moderne !, laissant ainsi la place à d'autres arrivants urbains d'habiter dans des conditions acceptables. Ce mouvement continue à ce jour avec le déplacement des populations vers l'est et la naissance d'une centralité nouvelle que capte haï Akid Lotfi. En fait, le véritable patrimoine de l'Algérien c'est le neuf. Il cherche constamment une image qui lui rappelle l'Europe moderne. Son patrimoine est culturellement différent du patrimoine européen, car d'autres considérations le régissent. Cela ne sert à rien de calquer le choix de l'autre. Il faut «iciser» notre vision des choses. * Architecte (USTO), docteur en urbanisme (IUP) ** Architecte et ex-chef du département d'architecture d'Oran |
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